Quand le procureur fut dans la rue, Mlle Nichette vint retrouver sa maîtresse. – Il est là ! dit-elle… – Faites-le entrer !… Et M. Macallan entra dans le boudoir de Liliane. Celle-ci lui sourit : – Comment va le comte ? demanda-t-elle. – Très bien, belle Cécily ! – Il sera content… Tout est arrangé… Tenez, vous lui remettrez ceci… – La petite maison de la rue des Saules ? interrogea le gnome en exécutant une pirouette galante… All right ! – Hélas ! non… – Oh ! Liliane ! What is it ? fit le gnome avec mépris. – Cela a été impossible… Il n’a rien voulu savoir !… Mais j’ai la propriété de Brétigny. – Très bien, belle Cécily ! Avec cela, Me Mortimard s’arrangera, susurra le gnome rasséréné. Vous êtes une jolie fille, by jove. Et Macallan prit le papier que lui tendait Liliane. Liliane fit signe qu’elle ne comprenait pas. Mais elle avait promis au comte de Teramo-Girgenti d’agir sans essayer de comprendre. – Vous direz aussi au comte que tout est arrangé également pour cette nuit… – Pour cette nuit ?… interrogea le gnome soudain anxieux… Comment, pour cette nuit… ? – Le comte ne vous a rien dit de ce que nous devons faire cette nuit, monsieur Macallan ? Alors, fit Liliane en souriant, c’est que ça ne vous regarde pas !… – En effet ! avoua Macallan, très contrarié… Ça ne me regarde pas… Ce sont des choses qui arrivent… dans les Chevaliers du lansquenet, de M. Xavier de Montépin… – Vous êtes très ferré sur notre littérature, monsieur Macallan. – Je connais M. de Montépin par cœur, madame… Et l’avorton fit une virevolte savante qui lui mit, comme par hasard, le nez sur un coupon de théâtre qui traînait sur une psyché… Il eut le temps de constater que ce coupon donnait droit, ce soir-là même, à la baignoire 8, pour la représentation des Martyrs à la Porte-Saint-Martin, et il se dit à part lui : « Je sais toujours où tu iras après dîner ! » Sur quoi, il salua profondément la demi-mondaine en lui jetant ces mots : – À bientôt, divine Cécily !… Quand il fut dehors, M. Macallan jura et dit : – Il va donc faire quelque chose cette nuit ? Pourquoi ne m’en a-t-il rien dit ? Il se doute donc de quelque chose ? Ah ! c’est un type ! c’est un type ! Restée seule, Liliane se disait : – Pourquoi le comte a-t-il besoin de cette petite maison de la rue des Saules ? Et pourquoi, n’ayant pu l’obtenir, a-t-il besoin de la propriété de Brétigny ? Elle sonna Mlle Nichette. – Habille-moi, Nichette !… Bah ! ajouta-t-elle tout haut, tout cela s’expliquera un jour… – Madame, fit Nichette, je voudrais demander quelque chose à madame… – Va, mon enfant… – Pourquoi le mal-né… – Tu veux dire sans doute M. Macallan… – Oui ; pourquoi M. Macallan appelle-t-il madame quelquefois Liliane et quelquefois Cécily ?… – Ma fille, je le lui ai demandé et il m’a répondu qu’il ne pouvait pas me le dire… – Il est un peu fou… Mais j’avais pensé que Cécily était le vrai nom de madame… – Non, mon vrai nom, Nichette, si cela peut te faire plaisir de le savoir, est Clotilde, expliqua Liliane d’une voix subitement grave. – Clotilde, c’est un joli nom. Pourquoi cet imbécile vous appelle-t-il Cécily ?
Le soir de cette journée où nous avons assisté tour à tour à l’émoi d’Eustache Grimm, de Régine et de Sinnamari lui-même, entre dix et onze heures, Robert Pascal travaillait encore dans son atelier de l’hôtel de la Mappemonde. Sous les rayons éclatants de sa lampe, il achevait de buriner l’argent d’une boîte à montre qu’il destinait au nielle ; il avait promis ce bijou à Marcelle Férand pour la récompenser de toute la grâce qu’elle mettait dans les soins dont elle entourait Mlle Desjardies, quand celle-ci se rencontrait avec elle dans l’atelier de Raoul Gosselin. Robert Pascal semblait prendre à ce travail un plaisir extrême, moins peut-être à cause de la satisfaction d’artiste qu’il devait ressentir en terminant cette jolie chose, qu’à cause de la douce musique qui accompagnait son labeur tardif. Cette douce musique lui venait d’une voix adorée et révélait dans l’ombre la présence d’une jeune personne à qui Robert Pascal avait, depuis quelques semaines, abandonné son cœur. Gabrielle Desjardies se plaignait délicieusement, mélodieusement pour les oreilles enchantées du pauvre orfèvre, de ne jamais voir celui-ci que la nuit, furtivement, quand tout semblait dormir au fond du « Conservatoire », car la chambre de Mlle Desjardies et l’atelier de Robert Pascal se trouvaient dans cette partie de l’hôtel de la Mappemonde. Certes, elle aimait la parfaite tranquillité de ces rendez-vous où les jeunes gens échangeaient d’ardents mais encore chastes baisers, en attendant ce qu’ils appelaient tous deux le moment de leur délivrance, c’est-à-dire le moment où l’innocence de Desjardies apparaîtrait éclatante aux yeux de tous, et que seraient en même temps confondus ses ennemis. Mais, quand donc viendrait ce moment-là ?… Gabrielle avait naturellement demandé des nouvelles de son père, qu’elle n’avait pas le droit de voir, pour leur sécurité à tous les deux, mais qui lui écrivait souvent pour relever son courage. Robert Pascal avait répondu que son ami R. C. avait trouvé ce jour-là à M. Desjardies la plus belle mine du monde, relevée par la certitude où il était qu’il touchait à la fin de leurs maux. – Et d’où lui est venue cette certitude ? demanda Gabrielle. – De mon ami. – De votre ami !… Toujours votre ami !… Comme vous l’aimez Robert, cet ami-là ! – Comme moi-même… Vous devriez l’aimer aussi, Gabrielle. Il a fait beaucoup pour vous… C’est lui qui a tout fait… vous le savez bien… – Oh ! Robert ! Je ne puis croire que vous n’avez pas été pour quelque chose dans tout ce qu’a fait votre ami. Il y a dans tout ce qui vous entoure, Robert, tant de mystère, que je crois toujours plus que vous ne me dites ou moins… – Où voyez-vous du mystère en moi, Gabrielle ?… La jeune fille soupira encore : – Enfin, dites à votre ami de se presser… – Vous trouvez donc, Gabrielle, qu’il a perdu du temps !… fit Robert Pascal sur un ton de reproche. – Je ne dis pas cela, mais c’est une chose si affreuse de ne pouvoir agir quand il y a tant à faire… Je voudrais tant agir… Et me voilà condamnée à rester là… dans cet hôtel… prisonnière… On m’a accordé une promenade par jour… On m’a permis d’aller à l’atelier de Gosselin, comme on permet à un détenu d’aller au préau, pour qu’il prenne un peu d’air !… Et je suis, moi aussi, toujours accompagnée d’un gardien… » Si je savais au moins où nous en sommes, je serais moins impatiente… Ah ! vous n’êtes donc pas pressé, vous, Robert ? – Pas pressé !… Pas pressé ! répéta le jeune homme. Pas pressé !… Mais, Gabrielle, si je pouvais d’une minute précipiter le cours des événements qui se préparent dans l’ombre, j’achèterais cette minute de toute la fortune de mon ami le roi Mystère ! Ah ! si vous saviez ce que je suis pressé !… Pressé de partir, loin, loin… si loin !… De n’être plus rien, dans un coin béni de la terre, qu’un homme parmi les autres hommes… qu’un peu d’amour, à vos côtés, Gabrielle !… Puis il se tut. Robert Pascal, le premier, rompit le silence. – Je comprends, Gabrielle, votre impatience de voir surgir enfin la preuve de l’innocence de votre père… Soyez heureuse donc, à votre tour… Puisqu’il vous est défendu d’aller au-devant de ces preuves, le moment arrive où elles vont venir à vous… – Oh ! Robert, fit Gabrielle, est-ce bien possible ?… Quand cela, mon ami ? – Tout de suite… L’heure est venue, Gabrielle. La fille de Desjardies fut debout dans une agitation extrême. – Calmez-vous, mon amie… Vous allez avoir besoin d’un peu de sang-froid pour saisir le premier anneau de la chaîne de l’innocence de votre père… Mais comptez sur moi… – Sur votre ami… fit Gabrielle, avec un doux reproche dans la voix. – Oui, sur mon ami… Quand vous tiendrez le premier anneau, toute la chaîne viendra ! – Que faut-il faire ? – Vous allez descendre chez Mme Didier. – Chez cette pauvre femme… à cette heure ?… elle est couchée avec toute sa petite famille. – En êtes-vous sûre ?… – Si j’en suis sûre ! Avant de venir chez vous, j’ai été lui porter du bouillon pour elle et les petites, qui toussent à vous arracher l’âme… – Toujours bonne, Gabrielle… Mme Didier n’a rien à vous refuser… N’est-ce pas vous qui avez payé son terme ? – Avec quel argent, mon ami ? – Puisqu’elle est couchée, vous la prierez de se lever… C’est nécessaire… – Elle était si faible… si faible tout à l’heure… Mais puisque vous me dites que c’est nécessaire… – … Quand elle sera levée, elle s’habillera et puis elle vous suivra… – Où donc, mon ami ? – Elle vous suivra là où je vais vous dire d’aller, Gabrielle… Entendez-moi bien… il ne faut pas que cette femme vous quitte d’un pas, d’un seul pas… Du reste, puisqu’elle est faible, vous lui donnerez le bras. – Bien !… Et où devons-nous aller ?… – Vous descendrez toutes deux sous le porche de l’hôtel et vous entrerez, par la petite porte qui donne sous ce porche, dans la salle du cabaret des Trois-Pintes. – Au cabaret des Trois-Pintes ? À cette heure ?… Deux femmes… Oh ! Robert, c’est entendu… c’est entendu… Tout ce que vous ordonnerez, mon ami, sera fait, je vous le jure… Mais que faut-il faire ?… – Vous irez demander à messire Thiébault qui se trouve sans doute à son comptoir, de vous prêter de la bougie… – De la bougie ?… – Oui, de la bougie… Voilà une chose toute naturelle… Vous n’avez plus de bougie chez vous et vous êtes descendue en demander… – Et si M. Thiébault n’est pas à son comptoir ?… – Eh bien ! Il y aura une autre personne à qui vous demanderez également de la bougie. – Et après ? – Après ?… C’est tout !… – Comment, c’est tout ?… – Oh ! Gabrielle, vous verrez que vous trouverez que c’est déjà quelque chose !… Quand vous aurez votre bougie, vous remonterez, vous reconduirez Mme Didier chez elle et puis vous viendrez me retrouver ici, tout de suite. – Bien, mon ami. – Allez, Gabrielle… Je vous attends. – À tout à l’heure, Robert !… Et, de plus en plus émue, la jeune femme s’enfuit rapidement de l’atelier. Robert Pascal écouta son pas s’éloigner rapidement dans l’escalier, puis dans le corridor… Puis il alla à la porte qui donnait de l’atelier sur sa chambre, ouvrit la porte secrète qui donnait sur l’escalier secret conduisant sur le derrière de l’Hostellerie de la Mappemonde, descendit cet escalier et ouvrit la porte donnant sur le terrain vague. La nuit était très obscure. On ne voyait pas devant soi à trois pas. Robert Pascal siffla. Aussitôt une ombre se détacha de l’ombre et vint à lui. – Monte ! fit Pascal à l’ombre. L’ombre pénétra dans l’étroit escalier. Robert Pascal la suivait. Dans la chambre du jeune homme, l’orfèvre, qui paraissait assez inquiet, demanda : – Eh bien ?… – Eh bien !… C’est lui qui est à la tête de tout, maître !… C’est lui, j’en ai la preuve !… – Fais bien attention à ce que tu dis, Cassecou, gronda Robert Pascal… Il y va de ta tête… – Sur ma tête, souffla Cassecou en étendant la main, sur ma tête, le Vautour trahit ! – Oh ! fit Robert Pascal, moi qui l’aimais comme un frère… Moi qui l’ai sauvé de Macallan… – C’est le tort que vous avez eu, maître… Ah ! vous êtes trop bon !… – Alors, les fuites qui se produisent depuis quelque temps… c’est lui ?… – Lui ou Patte-d’Oie !… c’est la même chose ; Patte-d’Oie marche pour le Vautour ! Robert Pascal pencha tristement la tête et longtemps réfléchit. Tout à coup, il entendit du bruit dans l’atelier. Il fit signe à Cassecou de rester à sa place et sortit de la chambre, dont il referma soigneusement la porte. Il se trouva en face de Mlle Desjardies.
l’heure où Robert Pascal et Gabrielle Desjardies, dans l’atelier du « Conservatoire », commençaient à s’entretenir de la façon que nous avons dite plus haut, il y avait grande liesse au cabaret des « Trois-Pintes ». C’était ce jour-là la fête d’une des principales personnalités de la « Littérature ». Il y avait tant de fêtes et de réjouissances à propos de tout et de rien au cabaret des Trois-Pintes, qu’on avait fini par ne plus se préoccuper précisément du personnage qui en était le héros. Une telle solidarité réunissait les membres de la confrérie que la fête de l’un était inévitablement la fête de l’autre, et il n’était point de gentillesses que ces garçons-là ne se fissent en une telle occurrence, pour se prouver leur bonne amitié. Ce soirlà, le Professeur venait de demander à messire Thiébault : – Messire, quelle heure avez-vous ? Sans empressement, l’hôtelier, ayant consulté sa montre, car le coucou de l’établissement avait renoncé à marquer l’heure depuis des années, avait répondu : – Dix heures ! – Dix heures ! avait répété le Professeur. Passez-moi votre toquante que je voie bien qu’elle marque dix heures !… Et le Professeur s’était, malgré quelques protestations grognonnes, emparé de la montre de messire Thiébault et l’avait déposée sur la table, où il venait de commencer une partie de dames avec le poète Sésostis, cependant que Maïs, le marchand d’olives, marquait les coups avec un sérieux d’arbitre. – Quel besoin avez-vous de savoir l’heure à ma montre ? questionna, maussade, le sieur Thiébault. Alors, le professeur, gonflant la voix, avait fait assavoir à la « Littérature » attablée aux Trois-Pintes, que, vu la solennité du jour – il avouait avoir, du reste, oublié laquelle – il louait au sieur Thiébault, pendant deux heures, les deux robinets de sa pompe à bière ! Des clameurs enthousiastes accueillirent cette proclamation, mais le cabaretier, derrière son comptoir, eut une mine si soucieuse que la gaieté générale s’en montra tout de suite inquiète. Le Professeur crut de son devoir de lui demander des explications. – Quelle tête faites-vous là, messire Thiébault ? demanda-t-il. Le jour où, pour la première fois, j’ai franchi le seuil de votre modeste demeure, vous m’aviez promis patron charmant. Le chœur des locataires reprit, énumérant d’une façon retentissante un programme illustre : – Patron charmant, clientèle choisie, frais ombrages. Le Professeur voulut continuer son beau discours, mais messire Thiébault, qui, depuis quarante-huit heures, ne décolérait pas, l’interrompit et lui fit entendre que toute sa mauvaise mine venait de ce que la « Littérature » abusait vraiment de ses bontés, buvant toujours et ne payant jamais. Aussi avait-il résolu, lui, Thiébault, de laisser désormais mourir de soif la « Littérature ». Celle-ci éclata de rire, car elle savait bien que sire Thiébault avait confiance en elle, ne lui accordant un si long crédit que pour le mieux payer « quand la Littérature aurait réussi », ce qui ne pouvait trop tarder. Au fond, l’hôtelier montrait cette méchante humeur, tout simplement parce qu’il n’était pas encore revenu de la surprise qu’il avait éprouvé en retrouvant l’un de ses pensionnaires quasi-mourant de faim au « Mont-de-Piété », ainsi appelait-on, à l’hôtel de la Mappemonde, cette sorte de cave, ou plutôt de sous-sol, dans lequel le père Thiébault emmagasinait les pauvres meubles de ses locataires chassés de l’Hôpital ou du Conservatoire à la suite de quelque fâcheux accident de la mémoire à l’époque du terme. Nous avons dit que le père Thiébault était aussi féroce pour le Conservatoire et l’Hôpital qu’il était bon pour la Littérature. Ce sous-sol, ce Montde-Piété dans lequel on descendait par une trappe qui donnait dans la cour, était une chose fort curieuse à visiter et que le père Thiébault montrait certains jours où il était bien « luné », avec cette espèce d’orgueil qu’on ne voit qu’aux collectionneurs. Il y avait là des trapèzes, des barres fixes, des mannequins, des machines à coudre, des cornets à piston, d’énormes basses et violoncelles, et des clarinettes, tous instruments à cordes ou à vent créés pour l’harmonie, des défroques de clowns, jusqu’à des cravaches de dompteur. Quand on avait fait le tour du Mont-de-Piété, on était l’ami du père Thiébault, et pour longtemps. Jamais il n’essayait de vendre un objet quelconque de sa collection. Lorsqu’il se trouvait dans la nécessité de saisir le gage d’un locataire insolvable, il ne savait au juste s’il devait se désoler de n’être point payé de sa location ou se réjouir de voir son Mont-de-Piété s’enrichir de quelques pièces nouvelles. Or, dernièrement, un grand scandale avait éclaté à l’Hostellerie de la Mappemonde. On n’a pas oublié que le père Thiébault avait loué sa grotte à deux phoques qui payaient fort congrûment ; or, un beau matin, on s’aperçut que l’un des phoques avait disparu. On le chercha en vain partout, de la cave au grenier : on demanda de ses nouvelles aux voisins ; on s’adressa même au commissaire de police du quartier, qui fit une enquête. On ne retrouva pas le phoque, qui s’appelait d’un nom pourtant bien connu et populaire : Henri IV. Le père Thiébault marquait autant de douleur de la disparition d’Henri IV de son hôtellerie qu’une mère abbesse de la fuite d’une nonne. Il se disait déshonoré et s’arrachait ce qui lui restait de cheveux, quand, ayant décidé pour se consoler de faire une visite au Mont-de-piété, il fut accueilli dans le « magasinage » par des gémissements plaintifs. C’était Henri IV, qui se mourait de faim. Et Dieu sait, cependant, ce qu’il avait mangé ! Il avait mangé la plus belle partie de la collection du père Thiébault : violoncelles, clarinettes, mannequins n’étaient plus que des débris informes. Il ne restait plus que quelques fétus de la barre fixe. On ne saura jamais ce qu’un phoque enfermé dans un Mont-de-Piété est capable de faire servir à son déjeuner. La tragédie qui avait résulté de cette découverte devait vivre longtemps dans les mémoires. Persuadé qu’il était victime d’une basse vengeance de la Littérature, qui se plaignait du manque de sommeil par la faute des locataires phoques, le père Thiébault, outragé comme hôtelier et comme collectionneur, avait résolu de donner congé d’un coup à toute la Littérature. Il l’avait assemblée dans la cour, lui avait craché à la face tout son mépris, et lui avait ordonné de faire ses paquets, déclarant qu’il ne voulait conserver aucun souvenir d’elle. Mais il est probable que ce mouvement héroïque était le résultat d’une exaltation passagère, car la Littérature s’étant jetée à ses genoux avec des gémissements affreux, le père Thiébault, qui n’était point au fond un méchant homme, lui avait pardonné ; si bien qu’il semblait que, ce soir-là, elle montrait tant de joie et liesse moins pour fêter la fête du jour, que pour se réjouir d’avoir retrouvé le patron charmant qu’elle avait failli perdre ! Tout de même, de l’aventure, Thiébault avait conservé une malheureuse rancune, et nous avons vu de quel front hostile il avait accueilli l’offre du Professeur de lui louer, pendant deux heures, les deux robinets de sa pompe à bière.