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1967 Words
Son regard erra à la recherche des autres. Au niveau de la table principale, se trouvaient la tzarine, le duc et quelques autres qui devaient être des favoris de la cour. Figuraient aux autres tables les principaux personnages du Tucken, chefs de quelques dizaines, centaines ou peut-être milliers de lances, chacun d’eux constituant un formidable guerrier. Aux yeux de g*n, ils ressemblaient plus à d’authentiques barbares qu’à des nobles, mais il préféra garder ça pour lui. Ils étaient tous des alliés de l’empire ces gens et les maîtres en quelque sorte de cette nation. Cela n’avait jamais été une bonne idée d’attirer leur attention. g*n avait suffisamment traîné ses guêtres dans les diverses cours pour savoir cela. À l’autre bout de la table principale, semblant aussi mal à l’aise qu’un homme attendant son exécution, il y avait aussi Malekith Dems, le seul Tueur qui ait accepté l’invitation du duc à dîner ce soir. Comme tous les nains, Dems était d’une taille modeste, mais il était très, très large d’épaules. Sans cette crête de cheveux graisseux qui surmontait son crâne par ailleurs chauve, il serait arrivé à peine au niveau de l’estomac de g*n, mais il était de toute évidence d’un poids bien supérieur au sien, poids composé en grande partie de muscles. Une paire de bésicles était posée sur son front, on aurait dit les yeux d’un énorme insecte. Un casque d’aviateur avait été rabattu sur sa nuque. Un gilet de fourrure et de cuir couvrait à grand-peine sa large poitrine et des tatouages représentant des dragons entrelacés lui recouvraient les bras, jusque sur le dos de ses mains. C’est sûr que le tout petit rikiki être à senti que g*n l’observait et lui adressa un sourire complice avant de porter la pinte de bière à sa bouche. g*n lui rendit son sourire. Il appréciait Dems, il était toujours d’une humeur aussi amicale que pouvait l’être un Tueur nain, et il s’agissait d’un génie dans son domaine. Gun était sorcier, pas ingénieur, mais il avait eu l’occasion de voir Dems au travail et ne pouvait que reconnaître que le nain était une sacrée pointure dans une matière dont la puissance était comparable à celle de la sorcellerie. Il avait vu le vaisseau des airs, l’Esprit de Megalith, briser le siège de Pràgu en utilisant des substances alchimiques. Il l’avait vu résister aux assauts d’un dragon et mettre en déroute une complète armée orque. Il avait vu les armes à feu du Tueur faucher par dizaines des gobelins en une poignée de secondes. Il avait entendu raconter pas mal de choses sur toutes sortes d’armes et de navires conçus par ce nain-là et reconnaissait sans peine être en présence d’une intelligence largement égale, même si elle était un peu dérangée, à ce que pouvaient produire les universités ou les Collèges de Magie de l’Empire. Et peut-être était-elle même d’un niveau plus grand. — C’est bien dommage qu’aucun de vos camarades n’ait pu se libérer ce soir, ironisa le duc à l’attention de Malekith Dems. Ils n’éprouvaient donc aucun honneur à dîner avec la tzarine ? Le Tueur ne montra nul signe d’embarras. — Ça, c’est leurs oignons, vot’ sire, lui répondit le nain. J’peux pas répond’ pour eux. Glenn Francis et Chinxua Kumlow y sont les pires gamins qu’il m’ait jamais été donné de voir. — Ce n’est rien de le dire, appuya la Reine de Glace. Le trait d’humour fut souligné par les rires des favoris autour d’elle. — On s’rait chez nous, ça s’rait sans doute un compliment, répondit Dems avec beaucoup d’intelligence, d’autres y auraient vu de la moquerie. Le nain était peut-être un peu trop sûr de lui pour remarquer cela, se dit g*n, ou peut-être avait-il décidé d’ignorer toutes les règles de la diplomatie. g*n considérait peu probable la seconde hypothèse, mais on ne savait jamais. Personne n’avait jamais dit que Dems était stupide, juste qu’il était fou. — Peu importe sa présence ici, intervint Gizmo Anthelm, ils se sont rudement bien comportés durant la bataille. — Ils ont rendu de grands services au Tucken et en seront récompensés, reprit la souveraine. Malekith Dems entreprit d’achever sa bière. g*n se demanda s’il allait finalement expliquer la situation à la Reine de Glace. Glenn et Chinxua ne couraient pas après les récompenses et les honneurs, mais après la mort en rémission de leurs fautes. Sans doute décida-t-il que ce n’était ni le lieu ni le moment d’aborder ce sujet, mais la tzarine avait la réputation d’être une personne extrêmement bien renseignée, et elle devait sans aucun doute déjà savoir tout ça. — Nous allons avoir grand besoin de ce genre de guerriers avant la fin de cette guerre, continua la reine. Gun frissonna. Il s’agissait en effet d’une authentique guerre, peut-être la plus grande de toute l’histoire. Avant que ne se tienne ce siège, il n’avait pas eu l’occasion de s’en rendre vraiment compte tant il avait été absorbé par ces inévitables combats qui s’annonçaient. Il était maintenant évident que tout le Vieux Monde était en lutte. Cette invasion massive descendant du nord en était une preuve indéniable. La Reine de Glace reporta à nouveau son attention vers Dems et les raisons qui l’avaient poussé, lui, à accepter cette invitation devinrent évidentes. — Vous avez mené vos réflexions à notre proposition, Herr Dems ? Le nain sirota une nouvelle gorgée de bière et leva les yeux pour croiser le royal regard. — Si j’peux aider, vot’ altesse, j’aiderai. Mais mon rafiot et ma pomme on est déjà au service de quelqu’un d’aut’. Y faut que je r’tourne à Baraîjan, eul’ Roi Tueur y doit rassembler ses soldats. — Je ne doute pas que vous puissiez nous accorder quelques jours, Herr Dems, une semaine, peut-être ? proposa la tzarine. Son ton restait aimable, mais g*n percevait la détermination qui se cachait derrière. Que ferait-elle si l’ingénieur avait l’aplomb de refuser ? Elle ne donnait pas l’impression d’être une femme habituée à ce qu’on lui tienne tête. Votre vaisseau vaut une armée d’éclaireurs à lui tout seul, poursuivit-elle. Vous pourriez en quelques jours couvrir plus de terrain que dix mille de mes meilleurs cavaliers en un mois. — Ah ! pour sûr, vot’ dame, répondit Malekith, j’pourrions. Et j’comprends bien qu’ça vous filerait un sacré coup d’pogne. Qui sait où qu’y vont aller après ces enfants de saloperie de bâtards du Chaos… ’scusez mon langage. — Alors vous allez le faire ? insista la reine. — Ben, j’va faire eud’ mon mieux, mais y’a d’aut’ truc à pas oublier. Et si qu’mon rafiot y s’fait descendre, ou esploser en vol par la sorcellerie, ou même attaquer par ces foutues chauves-souris qui suivent toujours les gaziers du Chaos ? Hein ? Ça ficherait tout l’monde dans un sacré boxon. Et c’est qu’il est pas à moi l’Esprit eud’Megalith, j’suis seulement l’fabricant. C’est pas vraiment à moi d’prendre c’te décision. Gun était presqu’à même d’intervenir. Il s’était personnellement occupé de tisser les sortilèges de protection qui entouraient l’Esprit de Megalith et les savait plutôt très bien opérationnelles. Peu de mages pourraient en venir à bout aussi facilement. Et il était de plus persuadé que le vaisseau était suffisamment armé pour repousser toute tentative d’agression à son égard. De plus, puisqu’on en était à évaluer les risques qu’il fallait ou pas faire prendre à l’engin, le Tueur ingénieur n’était pas le mieux placé pour faire la morale à qui que ce soit. Mais il préféra se taire, Malekith devait savoir tout ça lui-même et s’il estimait devoir refuser l’offre de la Reine de Glace, c’est qu’il devait pouvoir en justifier de ça. L’ingénieur était sujet à un autre de ses regards de la souveraine qui ne disaient rien de bon. La plupart des hommes auraient capitulé devant cette menace à peine cachée, mais Dems se contenta d’avaler une autre lampée de bière. — Nous pourrions, bien sûr, vous dédommager pour tous ces risques encourus… reprit finalement la tzarine d’une voix plus basse. Gun s’attendait à ce que l’intéressé proteste du fait qu’il était Tueur et que les risques n’entraient pas en ligne de compte, mais la réponse de Dems le prit au dépourvu. — Ben… ça s’discute. Ça dépend de qu’est-ce que vous entendez par dédommager. Chacun des deux se contenta alors de hocher la tête. g*n ne savait pas s’il devait être surpris par la tournure des événements. Malekith Dems était un nain, après tout, un peuple connu pour son amour de l’or. C’est juste que, le fait que des intérêts personnels soient aussi présents dans des relations censées être basées sur une alliance en tant de guerre n’était pas forcément bon signe pour la suite des opérations. Newton Miller n’en croyait pas ses yeux. Le White Giber était toujours debout. Enfin dans l’ensemble. Une partie du toit était partie en fumée et avait été rafistolée à la hâte avec des poutres empruntées à quelques maisons alentour en bien plus mauvais état. Une couverture remplaçait la porte et deux malabars peu engageants se tenaient de part et d’autre, posant un œil suspicieux sur quiconque faisait mine de s’approcher. Newton se redressa, faisant de son mieux pour oublier ces regards inquisiteurs. Lorsqu’il fut à l’intérieur, nouvelle surprise, l’endroit était plein à craquer. C’était comme si la moitié des mercenaires de la cité étaient venus s’y entasser pour échapper à la froidure. Même sans la cheminée qui abritait un respectable foyer, le seul nombre des clients aurait suffi à réchauffer la salle. Il entendit deux voix familières par-dessus le brouhaha général et n’eut aucun mal à repérer la table où les deux Tueurs se livraient à un concours de bras de fer. Glenn Francis semblait plutôt bien se remettre de toutes les blessures subies durant le siège. Les prêtresses du temple de Redinga avaient fait du bon boulot. Son unique œil brillait d’une concentration presque démente, les veines de son front étaient gonflées par l’effort, et sa crête orange tenait toujours aussi bien debout. Il avait le crâne en sueur et celle-ci lui coulait du front jusque dans les yeux, enfin dans l’œil, puisque l’autre orbite, cachée derrière un bandeau, était vide. Les muscles de son bras étaient tendus comme des haussières alors qu’il luttait contre un autre nain, encore plus imposant que lui. Chinxua Kumlow semblait pour sa part encore plus taré que jamais. Il se passait sans arrêt la langue sur les lèvres, comme si ce bras de fer lui demandait un effort cérébral colossal. Les trois boulons qui lui sortaient du crâne étaient l’étendard de sa brutalité primitive. Il était presque aussi horrible à voir que ce qu’avait été Bouchers Boucherssson. Il lui manquait une oreille entière et l’autre était aussi mal en point qu’une feuille de salade attaquée par les limaces. Son nez avait été brisé tant de fois qu’il en était devenu difforme. Mais chacun de ses bras était aussi gros que les deux cuisses réunies d’un humain. Ses biceps se contractaient au rythme de son empoignade avec Glenn. Lentement, inexorablement, la force du nain borgne commençait à prendre le dessus et Chinxua ne put que lâcher un juron lorsque sa main heurta la surface de la table, manquant de renverser sa bière. — En outre tu m’dois une aut’ pinte de c’te pipi d’chat d’humain, Chinxua Kumlow, annonça Glenn, une pointe de satisfaction indiscutable dans la voix. — Chinxua croit qu’on d’vrait l’jouer sur une manche à vingt-sept. — Cependant tu ne gagnerais quand même ! répondit Glenn persuadé de ce qu’il disait. — Taratata, Chinxua y pourrait t’surprendre, Glenn Francis. — Tatatata toi-même, t’y es encore jamais parvenu. — Tout commence quelque part, conclut Chinxua, d’un air bien présomptueux selon Newton. — Dis nous alors où qu’t’as traîné tout c’temps, l’humain ? demanda Glenn. T’as l’air de ne pas être dans ton assiette.
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