Chapitre I

996 Words
ISur la place Alexis Gourvennec, deux marchands ambulants, désemparés, tuent le temps et bavardent, espérant que la tempête mollisse enfin. * Saint-Pol-de-Léon - Parvis de la cathédrale Pol Aurélien - mardi 30 octobre 2018 - Jour de marché - Vers 7 heures du matin - Forte pluie et vent tempétueux Une violente tempête avait soufflé toute la nuit, accompagnée de pluies torrentielles. Un vent de galerne v*****t balayait en rafales la place Alexis Gourvennec, au centre de Saint-Pol-de-Léon. Il secouait les fils électriques qui sifflaient et faisait claquer les enseignes des magasins. Les feuilles mortes, les emballages, les papiers gras, les bouteilles en plastique, tout allait se perdre sous les voitures et dans les petites rues pavées du centre de la ville. Les rares passants, le dos arrondi et la tête baissée sous leurs capuches ou désespérément accrochés à leur parapluie, luttaient pour l’empêcher de se retourner, en vain. Toutes sortes d’objets volaient en tous sens. Ce matin-là, il paraissait impossible et même imprudent de se hasarder dans les rues. La place du marché hebdomadaire était encore déserte. Les marchands attendaient que la pluie se calme un peu, avant de s’installer et de déballer leurs marchandises. Les étals n’avaient pas été dressés. Les fourgons attendaient en désordre sur la place et toute activité semblait suspendue. La masse de la cathédrale, frappée par la pluie dominait la place, ses sommets encore noyés dans la nuit. Elle avait quelque chose d’un gros monstre assoupi et repu et semblait encore plus massive dans la tempête. La place luisait sous la pluie. Petites vaguelettes d’eau poussées par le vent. Tout remuait en tous sens, tout était brassé, et violemment secoué. L’antique vaisseau de pierre, construit en pierre de Caen transportée par la mer depuis la Normandie, sur le modèle de la cathédrale de Coutances, faisait la fierté de la ville. Elle représentait son principal attrait touristique avec la chapelle du Kreisker, dont le clocher, le plus haut de Bretagne, se dressait, plus bas, face aux imposants bâtiments du lycée de la ville. L’état de la cathédrale rendait nécessaire un chantier de restauration long et coûteux. Les travaux de la tour nord étaient achevés. Ceux de la tour sud étaient en cours. Des échafaudages impressionnants, étagés, qui s’élevaient vers le ciel, en paliers réguliers vers le sommet, jusqu’à l’extrême pointe de la tour. Ils emprisonnaient l’édifice et l’emballaient dans une vaste cage de tubes en acier et de bâches en plastique et en faisaient comme un immense paquet cadeau. Ou comme ces palettes de marchandises que les livreurs déposent à la porte des magasins au petit matin, emmaillotées dans des films transparents. Un désordre ordinaire régnait sur un chantier de cette importance ; des cabanes de chantier, des tas de planches, de sable et de gravats. Des matériaux divers s’étalaient en grand désordre devant le porche ; rouleaux de grillage, étais et sacs de ciment protégés par des bâches en plastique transparent. Des pierres anciennes rongées par le temps allaient être remplacées par de nouvelles, numérotées à la peinture rouge. Une grande plaque de chantier fixée sur le grillage qui claquait dans le vent, portant le nom des différentes entreprises qui intervenaient sur le chantier, menaçait de se détacher. Le coût des travaux et la répartition entre la commune, le département et les différents services de l’État s’affichaient sur une autre plaque. Le déluge ne se calmait guère et le marché hebdomadaire semblait suspendu, guettant une possible amélioration. Les camions magasins attendaient sur la place. La plupart des marchands ambulants n’en sortaient pas, craignant que leurs barnums ne s’arrachent et s’envolent. Ils patientaient dans leurs fourgons, les coudes sur leur volant ou le journal du jour à la main. Ils se disaient que leurs clients ne sortiraient pas de chez eux par un temps pareil. François, le bouquiniste, péchant par excès d’optimisme avait déjà installé des tréteaux et ses tables, avait descendu quelques caisses de son fourgon, commencé à déballer quelques cartons de livres, mais, surpris par l’averse, les avait rapidement recouverts d’une bâche en plastique noir. Maintenant la pluie, mêlée de grêle, redoublait et éclatait en grains de plus en plus violents. François avait rejoint Marc, son voisin de marché, marchand de chapeaux, de casquettes, de gants et d’écharpes, sous l’auvent de son camion magasin. Réfugiés à l’abri de la bourrasque, ils regardaient la pluie tomber de la toile, les gouttes s’écraser à leurs pieds et mouiller leurs chaussures. Ils hochaient la tête, échangeaient des remarques désabusées et des mimiques désolées, regardaient le ciel par-dessus les toits de la rue des Minimes et les nuages noirs qui, par-delà les flèches de la cathédrale Pol Aurélien précipitaient leur galop effréné vers le nord. Nos deux marchands attendaient, sans trop y croire, depuis deux heures déjà, que la pluie se calme et que le vent faiblisse enfin. Ne sachant s’il fallait continuer à déballer leur marchandise ou s’ils devaient y renoncer, rentrer chez eux et se mettre à l’abri. Peut-être même retourner s’abriter sous leur couette. Tous deux regardaient le ciel et filer les nuages en maugréant, et comméraient encore et encore, interminablement, parlaient des marchés qu’ils fréquentaient, de leur organisation, des placiers avec lesquels ils se frottaient à longueur de semaine et d’année. Des collègues, enfin de certains collègues pas toujours faciles d’abord ainsi que de certaines femmes au caractère particulier, exigeantes et acariâtres et dont la conduite n’était pas toujours en accord avec les grands principes qu’elles proclamaient. Ils projetaient d’aller sans attendre davantage se mettre au chaud au café du Parvis, juste en face, de l’autre côté de la place Budes de Guébriant. Mais il leur aurait fallu se décider à quitter leur abri et à faire quelques pas sous le déluge. Ils savaient qu’ils allaient être trempés jusqu’aux os en quelques secondes pour un trajet de quelques mètres seulement. Prudents, Ils décidèrent finalement d’attendre que l’averse cesse ou du moins se calme quelque peu. Pas question, comme ils disaient, de se faire doucher, d’attraper la mort pour un malheureux café, tout juste un autre, un de plus, comme chaque matin, et dont ils n’avaient même pas envie. Ils se serraient sous l’auvent, le dos contre le camion, figés et raides comme des statues de sel. Ce qui ne les empêchait nullement de parler, encore et encore. Et la pluie tombait toujours, drue, lourde et opiniâtre.
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