CHAPITRE UN

838 Words
CHAPITRE UN Gwendolyn pleurait et hurlait, déchirée par la douleur. Étendue sur le dos dans un champ de fleurs sauvages, le ventre plus douloureux qu’elle ne l’aurait cru possible, elle poussait et se tordait pour tenter de faire sortir le bébé. Une partie d’elle voulait tout arrêter, espérait avoir le temps de rejoindre la sécurité avant d’accoucher. Toutefois, au fond d’elle, elle savait que le bébé allait arriver d’un instant à l’autre, qu’elle le veuille ou non. S’il vous plait, mon Dieu, pria-t-elle. Donne-moi quelques heures. Laisse-moi rejoindre une maison d’abord. Mais Dieu en avait décidé autrement. Gwendolyn sentit une vague de douleur la traverser de part en part et renversa la tête. Le bébé se retourna en elle, tout près de sortir. Elle ne pourrait jamais l’arrêter. Au lieu de lutter, elle se mit à pousser, en se forçant à prendre de grandes inspirations, comme les sages-femmes le lui avaient demandé. Cela n’avait pas l’air de marcher et Gwen poussa un gémissement d’agonie. De nouveau, elle s’assit sur son séant pour apercevoir un signe d’humanité. — À L’AIDE ! cria-t-elle à pleins poumons. Aucune réponse ne vint. Gwen demeura allongée seule au milieu d’un champ, loin de toute vie, son cri perdu entre les arbres et emporté par le vent. Gwen voulait se montrer forte mais elle était terrifiée. Pas vraiment pour elle, surtout pour le bébé. Qu’arriverait-il si personne ne la trouvait ? Même si elle finissait par accoucher toute seule, aurait-elle ensuite la force de quitter cet endroit avec son bébé ? Elle commençait à penser qu’elle mourrait ici avec son fils. Le souvenir des Limbes traversa son esprit. La libération de Argon. Le choix que Gwen avait dû faire. Le sacrifice. La terrible décision qu’elle avait été forcée de prendre : son bébé ou son mari. En se rappelant son choix, Gwen se remit à pleurer. Pourquoi la vie demandait-elle toujours des sacrifices ? Gwen retint sa respiration quand le bébé s’étira dans son ventre. La douleur lui transperça le corps du crâne jusqu’aux orteils. Elle eut soudain l’impression d’être un vieux chêne, scié en deux par un bûcheron. Elle renversa la tête, le regard tourné vers le ciel et la bouche ouverte sur un cri. Elle tâcha de s’imaginer n’importe où ailleurs, essaya de conjurer une image dans sa tête, quelque chose qui lui apporterait un sentiment de paix. Elle pensa à Thor. Elle se vit avec lui, le jour de leur première rencontre, tous deux marchant dans les champs, les mains nouées entre leurs deux corps, en compagnie de Krohn qui gambadait. Elle prit soin de donner vie à ce tableau et de se concentrer sur les détails. Cela ne marchait pas… Elle ouvrit les yeux dans un sursaut, comme une pointe de douleur la ramenait à la réalité. Comment était-elle arrivée là, toute seule ? Aberthol. Aberthol lui avait parlé de sa mère mourante et Gwen s’était précipitée pour lui rendre visite. Sa mère était-elle en train de mourir ? Gwen poussa soudain un hurlement. En baissant les yeux, elle vit la tête du bébé apparaître. Elle s’allongea à nouveau, poussa, poussa, poussa, le visage écarlate. Enfin, elle sentit que c’était fini et un cri perça le silence. Le cri d’un bébé. Le ciel se couvrit alors de nuages. Sans aucun signe avant-coureur, l’agréable journée d’été se transforma en nuit d’hiver. Sous les yeux de Gwen, les deux soleils disparurent soudain, éclipsés par les deux lunes. Une éclipse totale des deux soleils. Gwen en croyait à peine ses yeux : cela n’arrivait qu’une fois tous les dix mille ans ! À sa grande horreur, elle se retrouva plongée dans l’obscurité. Soudain, des éclairs zébrèrent le ciel noir et Gwen sentit des gravillons de glace la bombarder. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait de grêle. Tout cela arrivait au moment de la naissance de son fils. Gwen le savait : c’était un présage. L’enfant serait plus puissant qu’elle ne pouvait l’imaginer. Il venait d’un autre royaume. Il pleurait. Gwen tendit instinctivement les bras pour l’attirer contre sa poitrine avant qu’il ne glisse dans l’herbe et la boue, pour le protéger de la grêle. Il poussa un gémissement et la terre se mit à trembler sous le corps de Gwen. Au loin, d’énormes rochers dégringolèrent des hauteurs de la montagne. Gwen eut l’impression de sentir le pouvoir de son enfant courir à travers elle, avant de se répandre dans tout l’univers. Elle le serra contre elle, plus faible à chaque instant : elle perdait trop de sang. La tête lui tournait. Elle n’aurait jamais assez de force pour se relever, pour retenir son enfant qui ne cessait de pleurer contre sa poitrine. Ses jambes ne la portaient plus. Elle allait mourir ici, dans ce champ, avec son enfant. Elle ne se souciait plus de sa propre vie, mais elle ne pouvait imaginer la mort de son enfant. — NON ! hurla-t-elle en rassemblant ses dernières forces pour que son cri de protestation atteigne les cieux. Elle renversa la tête, étendue sur le sol, quand un cri répondit au sien. Non pas un cri humain, mais celui d’une ancienne créature. Gwen se sentit partir. En levant les yeux, elle vit quelque chose apparaître dans le ciel, comme une hallucination. Une bête immense, qui plongea vers elle. Gwen réalisa faiblement qu’elle connaissait cette bête et qu’elle l’aimait. Ralibar. Avant de ses paupières ne se ferment, elle vit Ralibar piquer vers elle : ses grands yeux verts, ses vieilles écailles écarlates, ses serres tendues vers Gwendolyn…
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