Tu cherches les ennuis (3)
1154 Words
Il restait deux places : une pour Rocco et une pour Costa.
« Apportez-lui une chaise. » C'est Rocco qui donna l'ordre, sans que personne en particulier ne s'y arrête. Il s'attendait à ce que quelqu'un obtempère, mais personne ne le fit.
« Ne. » (Non) Un autre homme parla en serbe en secouant la tête. « Elle peut s'asseoir sur vos genoux ou avec l'autre kurve. » (Putains)
Aucun de nous ne parlait serbe, mais la tension de Costa confirmait que kurve n'était pas un mot poli.
« Rocco. » Costa donna l'ordre à Rocco qui le passa sans hésiter à Aidan. D'un regard, Aidan se leva et m'apporta une autre chaise. Il en profita pour fusiller du regard Aco Petrovic, qui n'apprécia visiblement pas cette attitude.
J'adressai à Aidan le sourire reconnaissant que je pus esquisser avant de m'asseoir à côté de Costa.
Costa était entre Rocco et moi, juste en face d'Aco.
Du jour au lendemain, Costa était aux commandes. On aurait dit qu'il était l'hôte plutôt que le chef du crime serbe en ébullition.
Aco avait perdu le contrôle de la partie et je pense qu'il le savait.
Costa se renversa dans son siège, les jambes écartées dans la posture classique d'un homme. Il passa un bras autour du dossier de ma chaise. Ses yeux se plissèrent en direction d'Aco et il se frotta la lèvre inférieure de sa main libre.
« Alors, tu vas distribuer les cartes ? » s'exclama Costa, son accent italien si prononcé et si séduisant.
Pas le moment.
Cela sembla sortir Aco de son état second. Il appela le croupier professionnel pour qu'il mélange et distribue les cartes selon les règles standard du Texas Hold'em.
Tout au long de la partie, ses yeux étaient rivés sur le bras de Costa enroulé paresseusement autour du dossier de ma chaise.
Aco préparait mon meurtre – je le sentais bien.
À mesure que la partie avançait, les enjeux devenaient de plus en plus importants. Les mises augmentaient à chaque tour, et bientôt, ils commencèrent à miser des actifs commerciaux.
L'enjeu était colossal et ne cessait de grimper. Finalement, les joueurs néerlandais se sont retirés après avoir perdu environ 20 millions de dollars.
Costa est resté calme et serein tout au long du jeu. Il n'a jamais dit un mot qui ne soit directement lié au jeu. Rocco était là pour les soutenir, mais ils n'avaient besoin que de brefs regards pour transmettre leurs messages.
Moi, par contre, j'étais juste là pour rappeler à Aco sa guerre avec ma famille. Chaque fois qu'il me regardait, il perdait son sang-froid. C'était le moyen idéal pour le déstabiliser tandis que Costa gardait le visage impassible.
Je n'avais aucune idée des cartes de Costa. Il ne les a regardées qu'une fois lorsqu'on les lui a données. Rocco a également checké, mais je ne l'ai jamais fait.
Je n'avais donc aucune idée de la force de sa main. Il aurait pu être sûr de gagner ou de bluffer.
Lorsqu'il ne restait plus que lui et Aco dans la partie, la tension atteignit son paroxysme. Le croupier distribua le flop, le tournant et la rivière, et le dernier tour d'enchères commença.
« Alors, dis-moi, pourquoi as-tu accepté mon invitation ce soir, Costa ? » Aco tira une bouffée de cigare en regardant mon mari. Le croupier distribua le tournant, et le tour d'enchères suivant était arrivé.
C'était la première fois qu'ils parlaient d'autre chose que du poker.
« Je voulais peut-être juste te rappeler à quel point je peux facilement te battre au poker. »
« Ah. » Aco força un rire. « Je ne pense pas. Tu veux quelque chose. »
« Tout le monde ne veut-il pas quelque chose quand il vient à une partie de poker ? » ricana Rocco, sans prendre la peine de feindre l'amusement comme Aco.
« Je suppose. Mais ce que je veux savoir, c'est ce que tu attends de moi. » Il voulait que Costa admette à voix haute ce qu'il était venu chercher. Mais cela impliquerait aussi de dévoiler ses cartes, pour ainsi dire.
On adore les jeux de mots sur le poker.
Il dira à Aco à quel point il est désespéré pour cet atout en particulier. Au poker, c'est jouer l'homme, pas le jeu.
« Comment va ta sœur ? » demanda soudain Costa, un léger sourire narquois aux lèvres. « Elle va bien ? »
« Qu'est-ce que tu as à faire avec elle ? » C'est un autre des frères Petrovic qui a sauté sur l'occasion, les yeux rivés sur mon mari.
« Nos chemins se sont croisés plusieurs fois. C'est une gentille fille. » Costa haussa les épaules en tirant une bouffée de son cigare.
« L’as-tu touchée ? » Cette fois, c'était le type qui insistait pour qu'on nous fouille tous. Il s'appelait Milo.
« Toucher ? » Costa fronça les sourcils, les incitant visiblement à une réaction plus forte.
« Vous avez couché avec elle, šupak ? » (Connard) cracha Milo.
Et Costa gagna encore.
Sérieusement, ces frères Petrovic ne sont pas très futés.
« Eh bien… un gentleman embrasse et raconte, Rocco ? » Costa donna un coup de coude à son frère qui adressa un sourire narquois aux frères Petrovic.
« Non, monsieur. » Rocco rit. Je résistai à l'envie de lever les yeux au ciel face à la tournure soudaine de la conversation. Je ne suis certainement pas venu ici pour écouter Costa se vanter d'avoir couché avec leur sœur.
« Tu sais, Costa ? » dit Aco en sirotant son whisky. « Tu n'as pas autant… de classe que ton père. Ton père a plus d'honneur, plus de sophistication dans ses affaires. »
C'était maintenant à son tour de frapper Costa là où ça fait mal.
C'est ça le poker dans le monde souterrain.
À ce stade, ils savaient s'ils pouvaient gagner avec les cartes qu'ils avaient en main. Maintenant, il s'agit de jouer les hommes.
Qui peut pousser l'autre à abandonner autant que possible ? Qui peut le pousser à commettre une erreur stupide dans un accès de rage incontrôlable ?
« Mon père… » soupira Costa en levant la tête pour expirer la fumée de son cigare. « Mon père a plusieurs facettes, Aco. Moi aussi, et je suis sûr que toi aussi. Peut-être que si nous nous étions rencontrés dans d'autres circonstances, tu en verrais une autre facette. »
« Peut-être. » Aco hocha la tête. « Mais pour ce soir, gardons les fausses subtilités. Tu veux les contrats. Tu sais que je pourrais facilement les parier. »
« Tu pourrais facilement parier sur beaucoup de choses. Ce sont peut-être les contrats que je recherche, ou autre chose. » murmura Costa en tapotant la cendre de son cigare.
« Eh bien, je vais te dire ce que je veux. En échange des contrats, tu paries ton usine d'armes à Montréal. »
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