je déteste les soirées caritatives
Jamais Samos ne s'était imaginé se rendre à une de ces soirées caritatives ennuyeuses. Pas qu'il ne soutienne pas leur cause ; il était simplement persuadé que les personnalités y allant ne faisaient cela que pour entretenir leur précieuse image. Peut-être devrait-il s'inquiéter de son état mental pour avoir accepté de ramener sa poire à la soirée de ce vendredi soir, alors qu'il avait déjà prévu de squatter son canapé devant une série au hasard. Son plaid lui manquait, tandis qu'il montait dans le taxi qui allait le conduire à sa potence. En plus de ne pas aimer cela, il n'aimait pas non plus jouer l'un des acteurs remplissant la totalité d'une si grande pièce. Le pire de tout était qu'il se sentait coupable de la raison de sa venue.
L'épaisse odeur de l'alcool lui piquait le nez, ses muscles s'étaient tendus au premier contact d'un serveur et d'un de ses collègues qu'il avait malencontreusement croisé. Ses "collègues" ne se comptaient plus sur les doigts d'une seule main au fil des années d'expérience, et Samos n'avait aucune affiliation particulière avec eux, que ce soit professionnellement ou personnellement. Les puissantes lumières de la grande salle agressaient sa rétine alors qu'il passait les portes grandes ouvertes, anxieux. Pour calmer ses tics, le photographe plongea ses mains au fin fond des poches de son jean blanc immaculé. D'ailleurs, il était élégant ce soir, et avait attiré pas mal de regards ambigus sur son passage au bar. Bar où il allait justement élire domicile pour la soirée. Seulement une heure ou deux ; il ne voulait pas rester trop longtemps. Ses cheveux noirs étaient laissés au naturel, ceux-ci étant peu épais et lisses ; ils tombaient simplement de part et d'autre de son visage, malgré leur courte longueur. De nature à geler dès qu'il posait un pied dehors, il n'avait qu'un simple pull noir au col remontant sur sa gorge avec, par-dessus pour augmenter ses chances d'hyperthermie, un long gilet en coton bleu tapant dans l'œil qui s’étendait jusque ses mollets. Une chose qu'on rognait du regard en le fixant en plus de son physique et de sa mâchoire carrée, était les fines lunettes qui habillaient le haut de son visage, mettant en valeur ses yeux ébènes qui captaient l'attention des femmes aussi bien que celle des hommes. Ça ne l'empêchait pas de refuser les tentatives de séduction des deux sexes, qui, ce soir-là, comptèrent dans les vingtaines.
Beaucoup de pensées avaient traversée la petite tête embrumée de Samos. Comme le but réel de cette soirée : il n'y avait eu aucune annonce ni de scène où le plus riche présent s'exposa, et Samos commençait vraiment à s'ennuyer, seul en tête-à-tête avec son verre à moitié vide. Où peut-être était-il à moitié plein. Il se demanda plusieurs fois à lui-même pourquoi il était venu au final. Par ennui, sadisme ? Ou était-ce parce qu'il voulait voir du monde, ou pour le voir, lui ? Ses pensées tournaient à l'obsession. La statue grecque humaine dont il avait les Polaroïds hantait ses nuits depuis leur séance d'il y a trois semaines. Samos en avait été tellement refroidi et abasourdi qu'il ne l'avait pas rappelé depuis. Pourtant, il avait accroché ce mouchoir, sur lequel le numéro de cette statue grecque était gribouillé, sur la porte de son réfrigérateur qu'il n'osait plus approcher. C'était comme si le numéro qui y était inscrit surveillait chacun de ses pas, de ses doutes, de ses craintes. Il finissait tremblant comme une feuille en sortant une simple barquette de lait de son frigo.
Seulement, une faible, vraiment très faible partie de lui --la seule profondément enfouie dans son être-- lui murmurait que peut-être, ce qu'il voulait réellement, c'était ressentir le picotement qui s'était emparé de ses membres que ce singulier mouchoir qui lui avait été donné par ces doigts encore une fois. Il hantait son esprit. Il hantait ses vieilles espérances. Ces espérances chuchotant une question incessante qui venait tâtonner ses doutes jour et nuit. Il aurait sans aucun doute paniqué et bégayé si le mannequin était venu à sa rencontre.
Heureusement pour lui, celui-ci n'apparaîssa qu'en fin de soirée.
"Bonsoir, Samos." Le concerné s'était paralysé et il avait mit une seconde de trop à passer le menton par-dessus son épaule. C'était lui. Quand on pense au loup, s'était maudit le photographe en tournant cette fois-ci son corps vers le jeunot.
"Bonsoir, Eliott... tu peux m'appeler Sam, tu sais", avait-il rajouté, un petit sourire au coin des lèvres -- qui disparut bien vite quand le jeune homme offrit une moue innocente à Sam, qui reprit son air froid et distant. Il avait baissé les yeux, ne savant où poser le regard, et, impoli comme il était, Samos se permit d'observer le style de la soirée de son mannequin. La surprise ne fut pas vraiment complète en découvrant l'accoutrement du jeune homme, celui-ci même qui par son physique l'attirait irrésistiblement. Comme lors de leur rencontre, Eliott portait un pull gris au col légèrement roulé, ses cheveux bruns éclairés par les puissantes lumières prenaient une teinte rousse qui coupa court le souffle du cœur de Samos. Eliott plongea une main à l'arrière de sa tête, l'air de se reprendre en main, geste qui attira l'attention du photographe. "Je croyais que vous ne sortiez pas le soir.
- Il y a des exceptions à tout, je suppose", murmura presque Samos. "En réalité... on m'a forcé la main." C'était un mensonge. Qui sonnait comme la vérité.
Eliott gloussa et le rejoignit contre le bar. "Moi qui vous croyez du genre à ne pas vous laisser faire." La certitude avec laquelle il avait sortit cela aurait pu faire rougir Sam si ce n'était pas une semi-insulte. "Du genre mystérieux, ténébreux, et tout le package qui va avec", avait continué le jeune, ne se rendant certainement pas compte de la portée de ses paroles tombantes comme de la pluie sur le plus vieux.
"Qui dit que je ne le suis pas ?" Leur épaules s'effleuraient.
"Ce n'est pas ce que j’ai dit, c'était une simple supposition." Il le provoquait. Et Sam ne se cachait pas d'aimer ce comportement.
"Pour le moment.
- Dîtes." Eliott sembla hésiter à continuer. Il se mordillait la lèvre inférieure, d’une pureté incertaine. "Vous ne m'avez pas rappelé... vous ne comptiez pas le faire ?" Si Cupidon existait, il savait viser juste et fort. Tout ce qui vint en tête au photographe à ce moment, fut de légèrement détourner la tête. Il ne savait pas quoi répondre. À en observer le soif de vérité qui dévorait les yeux du jeune homme, Samos serait tenté de dire la vérité, celle qui compliquerait les choses et pas de la plus belle des manières. Mais en à analyser les petits tremblements intérieurs de son corps en imaginant ces possibles scenari, il serait tenté de mentir.
Alors ?
Tu comptes encore te défiler, grand frère ?
Je ne veux pas dire la vérité, se confit Samos. Et pourtant, mentir ne semblait pas la meilleure solution.
Sammy... j'ai peur. Je n'ai pas eu le cran de lui avouer.
Je regrette un peu. Tu crois qu'elle m'aime ?
L'alcool devait lui monter à la tête.
Eliott lui donna un petit coup d'épaule, le ramenant sur terre. Soudainement exténué, Samos souffla profondément, les yeux clos. Puis, il les rouvrit. "Je comptais te rappeler." Eliott esquissa ce qu'il crut être un discret rictus, masqué par l'ombre de son appréhension. "Tu as du potentiel, et j'aimerais en explorer les limites." Il se rendait à peine compte de ses paroles. "J'ai juste..." Le regard d'Eliott le sondait. "--perdu ton numéro.
- Dans ce cas, je peux vous le redonner." Le grain de familiarité dans sa voix rassura Samos. Il redonna son numéro, cette fois-ci en s'assurant que le photographe l'enregistre dans son téléphone.
Les choses avaient repris leur cours initial. Un mélange de fierté, de joie et d'une ténacité saupoudré de désir couvert lui-même par les marques de bonne volonté bouillonnait. Et Samos détestait les soirées caritatives pour lui avoir fait ressentir ces idioties.