Chapitre 19

1489 Words
Silvano avait vu son regard, ses silences, ses gestes discrets. — Je croyais qu’on était ici pour parler d’investissements, pas pour jouer à un autre jeu, dit-il, un sourire au coin des lèvres. — Je ne joue pas. C’est juste que… t’es pas comme les autres. — Peut-être. Mais toi, tu devrais te concentrer sur ton avenir. Sur ce que tu veux construire, pas sur ce que tu veux consommer ce soir. Flaviana rit doucement. Ce genre de réponse ne la freinait pas. Au contraire, elle adorait quand on lui résistait. — Et si c’était ça, mon avenir ? Un peu de passion, un peu de sérieux… Flaviana détourna les yeux un instant, presque gênée de dire ce qu’elle pensait réellement. Puis, avec cette franchise crue qui lui servait parfois de bouclier, elle lâcha : — Si ça avait été un autre homme… j’aurais déjà couché avec lui. Silvano la regarda sans juger, juste avec cette intensité calme qui la déstabilisait plus que les reproches. — Tu veux coucher avec des hommes comme on coche une liste de fantasmes. Pour savoir ce que ça fait d’être désirée par tel ou tel type. Un vieux, un riche, un doux, un v*****t. Mais tu peux pas vivre comme ça toute ta vie, Flaviana. Elle haussa les épaules, un rire nerveux au bord des lèvres. — Je sais… mais j’sais pas aimer, Silvano. Le sexe… c’est la seule chose qui me donne l’impression d’exister. De contrôler quelque chose. C’est là que je me sens vivante, désirée. Pas inutile. Silvano la fixa, puis posa doucement ses mains sur ses genoux, penché légèrement vers elle. — Ce que tu ressens, c’est pas du désir, c’est un vide. Et tu essaies de le remplir comme tu peux. Mais t’es pas une chose qu’on touche, qu’on prend et qu’on jette. T’as des rêves, t’as un feu en toi. Tu crois que le sexe te libère, mais t’es enchaînée à lui. Tu mérites mieux. Les mots étaient simples, mais dits avec une telle sincérité qu’ils fissuraient doucement les murailles intérieures de Flaviana. Elle resta silencieuse. Ses yeux se perdirent un instant sur les papiers étalés sur la table. Pas pour les lire. Juste pour ne pas le regarder. Puis, d’une voix plus basse, elle murmura : — Merci. T’es… t’es un mec bien, Silvano. Il se leva, remit ses affaires dans son sac. — Je vais y aller. Réfléchis à ce que tu veux vraiment faire. Pour toi. Pas pour faire taire les autres ou combler quelque chose. Si t’as besoin, je suis là. Il s’approcha. Elle se leva aussi. Il la prit doucement dans ses bras. C’était un câlin simple, sans tension, sans arrière-pensée. Flaviana s’y laissa aller, les yeux fermés, juste un instant. — Merci d’être venu, souffla-t-elle. — Merci de m’avoir écouté, répondit-il. Puis il s’en alla, la laissant seule avec ses pensées, ses envies floues, et ce vide qu’elle allait peut-être, enfin, commencer à apprivoiser. • Les jours s’égrenaient, lents et pesants, comme des gouttes d’eau tombant sur une pierre déjà fendue. Flaviana tentait de garder la tête hors de l’eau, accrochée aux épaules solides de Silvano. Il l’aidait, patiemment, à explorer les idées de projets. Restauration, esthétique, boutique en ligne… rien ne l’inspirait vraiment. Silvano ne la pressait pas, il disait simplement : — Le bon projet, ça se sent. Mais ça demande du silence et de l’honnêteté. Alors prends ton temps. Elle hochait la tête, mais à l’intérieur, tout bouillonnait. Rien ne faisait vraiment sens sans Léandra. Elle continuait à passer du temps avec sa petite sœur dès qu’elle le pouvait. Elles riaient, discutaient, mangeaient des gaufres comme si rien d’autre ne comptait. Mais cette parenthèse fragile fut brisée par Donata. Encore elle. Toujours elle. Cette voisine acide aux jugements tranchants avait été parler aux parents. Elle avait raconté, avec son ton mielleux et hypocrite, que Léandra traînait encore avec « la honte du quartier ». Elle avait tout fait pour faire passer Flaviana comme un danger. Et elle avait réussi. Depuis ce jour, c’était Cesare, leur père, qui passait chercher Léandra à l’école. Il la déposait et la reprenait sans lui laisser le moindre espace. Les parents, avaient confisqué le téléphone que Flaviana avait offert à sa soeur. Plus de message. Plus d’appel. Plus de petite main glissée dans la sienne. Flaviana restait seule. Dépossédée de tout ce qu’elle avait encore de précieux. Elle avait voulu se racheter, mais ils la repoussaient. Elle avait voulu aimer, mais ils lui interdisaient. Et dans le silence de son appartement, entre deux séries qu’elle regardait à moitié et des repas qu’elle mangeait sans faim, une haine lente, tenace, s’installait. Donata. Elle n’avait jamais cessé de la juger. Elle avait monté tout le quartier contre elle, et maintenant elle lui avait arraché Léandra. Flaviana avait envie de mordre. D’arracher ce masque de vertu que Donata portait si mal. De la briser comme elle avait brisé sa relation avec sa sœur. La vengeance, ce mot qui jusque-là avait toujours été un fantasme lointain, prenait forme. Elle allait lui rendre la pareille. Mais elle ne se précipiterait pas. Elle allait choisir le bon moment. Et quand il viendrait, Donata comprendrait ce que ça fait de tout perdre. Comme elle. Ce soir-là, le ciel était noir et calme, comme complice du plan que Flaviana nourrissait depuis des jours. Elle savait que la veille de prière organisée à l’église du quartier rassemblait toutes les femmes du voisinage, y compris sa mère. C’était Léandra qui le lui avait soufflé au téléphone, deux semaines plus tôt, avant que leur père ne découvre leur échange et confisque son portable. Depuis, Flaviana n’avait plus aucun moyen de joindre sa sœur. Et cela l’avait rongée chaque jour un peu plus. Alors, quand le soir venu, les rues s’étaient peu à peu vidées de leurs bavardages féminins, elle avait enfilé une robe provocante, moulante, couleur sang, qui attirait l’œil comme un cri dans la nuit. Elle n’y allait pas pour séduire, mais pour déranger. Elle voulait marquer les esprits. Et surtout, régler ses comptes. Elle savait que Léandra serait cloîtrée à la maison sous la surveillance étouffante de leur père. Alors, elle prit une autre direction. Celle des Bellini. Elle s’arrêta devant la porte et frappa. Après quelques secondes, Esnesto ouvrit, la mine fatiguée, les yeux hésitants. Il la dévisagea sans un mot, balayant du regard sa silhouette et l’heure tardive. Il s’interposa dans l’encadrement de la porte. — Tu peux pas entrer, dit-il fermement. Flaviana arqua un sourcil, un sourire narquois aux lèvres. — Depuis quand tu me refuses l’entrée ? T’as peur de quoi, Esnesto ? Que ta femme rentre plus tôt que prévu ou que tu perdes le contrôle ? Il baissa les yeux, mal à l’aise, avant de refermer la porte à moitié, comme pour éviter qu’on les voie. — Il y a les enfants, murmura-t-il. Ils sont là, je veux pas d’histoire… — Ah. Mais tu voulais pas d’histoire non plus la dernière fois, et pourtant t’étais bien dedans, non ? Elle parlait à voix basse, son ton plus coupant qu’un rasoir. Esnesto déglutit, tira nerveusement sur le col de son t-shirt. — Flaviana… rentre chez toi. C’est pas le moment. — C’est jamais le moment avec toi, hein ? Ni pour t’expliquer, ni pour t’excuser, ni pour me défendre quand ta femme me crache dessus. Mais c’est toujours le moment pour me prendre entre deux murs. Elle se pencha un peu plus vers lui, proche, trop proche. — Tu sais pourquoi je suis là, Esnesto ? Parce que ta femme a brisé le peu de lien qui me restait avec ma sœur. Et toi, tu fermes ta gueule, comme un lâche. Esnesto détourna le regard, secoué. Il ouvrit un peu plus la porte, mais resta devant. — Je suis désolé pour Léandra. Mais faut pas tout foutre en l’air. Donata soupçonne déjà quelque chose… — Elle soupçonne ? souffla Flaviana en ricanant. Mais elle va avoir bien plus qu’un soupçon quand j’aurai fini avec elle. Puis elle le regarda longuement, ses yeux chargés d’une fureur froide. Esnesto la regarde un moment, un peu trop longtemps, sans dire un mot. Il tient toujours Flaviana contre lui, et malgré la tension qui tremble encore dans son corps, elle se laisse aller, quelques sanglots résonnant doucement dans le silence du hall d’entrée. Son mascara a coulé, ses yeux sont rouges, mais son regard est clair, déterminé. Flaviana avait besoin de sortir cette rage, cette peine accumulée. — T’as vu ce qu’elle a fait ? murmure-t-elle, la voix brisée. Elle leur a monté la tête. Même Léandra, ils l’ont enfermée. Elle n’a plus de téléphone, elle peut plus me parler, elle est seule et c’est de ma faute... — C’est pas de ta faute, souffle Esnesto. — Si. C’est moi qui ai été faible, qui ai laissé passer les choses. Et maintenant c’est elle qui paie. Il ne répond rien. A suivre
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD