Il ouvrit les yeux en souriant.
— Tu n’en as jamais assez ? murmura-t-il.
— Pas quand c’est bon, répondit-elle, espiègle.
Ils refirent l’amour, plus tendrement cette fois. Sans précipitation, sans masque. Juste deux corps qui s’épousaient, deux inconnus se perdant dans un instant de répit.
Quand elle se leva, Massimo l’observait depuis le lit.
— Tu vas déjà partir ? demanda-t-il.
— Il faut bien rentrer un jour.
Il se leva à son tour, enroulé dans un peignoir, et prit un petit billet dans sa veste posée sur le fauteuil. Il le tendit à Flaviana sans un mot.
Elle leva les yeux, surprise, puis secoua la tête.
— Je n’ai pas fait ça pour de l’argent.
— Et moi je ne te le donne pas pour ça. Je te le donne parce que j’en ai envie. Pas de condition, pas d’attente. Juste... pour toi.
Un silence léger passa entre eux. Elle prit le billet, le glissa dans son sac et murmura :
— Merci.
Elle s’habilla lentement, vérifia son maquillage, ajusta sa robe. Massimo l’accompagna jusqu’à l’ascenseur. Il l’embrassa sur la joue.
— Appelle-moi quand tu veux, dit-il. Ou ne m’appelle pas. Mais je suis content que tu sois venue.
Flaviana lui lança un dernier regard avant que les portes ne se referment.
Une fois dans sa voiture, les vitres baissées, l’air frais du matin lui donna une sensation de liberté. Elle mit la radio, les infos défilaient en arrière-plan jusqu’à ce qu’un nom attire soudain son attention.
Elle augmenta le volume.
« ... a été arrêté tôt ce matin. L’ancien dirigeant de la boîte de marketing digital NovaPulse, accusé depuis plusieurs mois de harcèlement sexuel, d’exploitation et de diffusion d’images privées, a finalement été interpellé dans son appartement du centre-ville… »
Flaviana écarquilla les yeux.
— Salopard...
C’était lui. Son ancien patron. L’homme pour qui elle avait travaillé à une époque où elle croyait encore que le monde de l’entreprise pouvait lui offrir une vraie chance. L’homme qui glissait des mains sur les hanches sans prévenir, qui soufflait des mots obscènes à l’oreille dans les couloirs, qui lui avait proposé une promotion contre des soirées « privées ».
Elle avait fui. Comme d’autres. Mais lui, il était resté en poste, couvert, intouchable.
Jusqu’à aujourd’hui.
Flaviana se laissa aller contre le siège, un petit sourire au coin des lèvres. Une satisfaction rare, douce, presque amère. Ce monstre allait peut-être finir ses jours là où il méritait d’être : en prison.
Elle coupa la radio, redressa son dos, et redémarra.
Ce matin-là, le monde tournait un peu plus juste.
Arrivée chez elle, Flaviana retira ses talons, balança son sac sur le canapé et alluma brièvement la télévision, sans vraiment la regarder. Son téléphone vibra dans sa poche arrière. Un message de Silvano. « T’as vu les infos ?! Ce bâtard d’ancien patron a enfin été arrêté 😂 ».
Elle sourit. Ce simple message résonnait comme un petit goût de revanche bien méritée.
« Bien sûr que j’ai vu. Justice divine 😏 », répondit-elle.
Quelques secondes plus tard, un autre message s’afficha : « Faut fêter ça. Demain ? Le resto en face de NovaPulse, pour l’ironie. »
« Marché conclu. À demain. »
Ce soir-là, Flaviana dormit avec le cœur plus léger que jamais. Pour une fois, ses pensées ne la tiraillaient pas. Pas de doutes, pas de regrets. Juste une satisfaction douce et rare, comme un baume sur ses cicatrices invisibles.
Le lendemain matin, elle passa voir Léandra à son école. C'était devenu leur petit rituel ces derniers jours. Flaviana adorait ces moments. Léandra parlait de tout et de rien avec une fraîcheur qui la touchait toujours. Après un déjeuner simple dans un petit bistrot, elle déposa sa sœur devant la maison familiale, échangea un regard prudent avec sa mère derrière les rideaux, puis rentra chez elle pour se préparer.
Elle prit le temps de choisir sa tenue. Un pantalon en cuir noir et une blouse satinée au col large. Élégante. Un brin provocante. Fidèle à elle-même. Elle se regarda dans le miroir, retoucha son rouge à lèvres, puis sortit.
Le restaurant faisait face à l’ancien immeuble de NovaPulse, comme une provocation discrète. Silvano était déjà là, installé en terrasse, vêtu d’un blazer clair et d’une chemise ouverte. Il se leva en la voyant, la salua d’un sourire large.
— Toujours aussi flamboyante, Flavia, dit-il en lui tirant la chaise.
— Toujours aussi galant, répondit-elle en s’asseyant.
Ils passèrent commande, et tandis qu’ils attendaient, Silvano la dévisagea un moment.
— Tu sais, tu pourrais être un peu plus... couverte, lança-t-il, presque sur le ton de la plaisanterie.
Flaviana arqua un sourcil, surprise.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Tu deviens prude, maintenant ?
— Non, c’est pas ça. Tu peux être sexy... mais avec un peu de mystère. L’élégance dans la retenue, tu vois ? Pas besoin d’en montrer trop pour faire tourner les têtes.
Elle le fixa un moment, puis haussa les épaules.
— Tu parles comme un vieux moine. Moi, j’aime me sentir désirable. J’ai passé trop d’années à me cacher. Maintenant je vis pour moi. Si ça dérange les gens, qu’ils détournent les yeux.
Silvano sourit, presque admiratif.
— Touché. Tu restes fidèle à toi-même. Et c’est pour ça que je t’apprécie.
Leur repas arriva, interrompant la discussion. Ils mangèrent avec appétit, se remémorant les pires moments chez NovaPulse.
— Franchement, ce type méritait bien sa chute, dit Silvano en plantant sa fourchette dans une bouchée de risotto. Moi, j’ai jamais regretté d’avoir démissionné. Maintenant j’ai ma propre boîte de design. Ça n’a pas été facile, mais je suis libre.
— Tu gères ça tout seul ? demanda Flaviana.
— Ouais, j’ai quelques freelances qui bossent avec moi, mais tout passe par moi. Et toi alors ? Tu fais quoi de tes journées, à part être belle et mystérieuse ?
Flaviana rit.
— Rien, justement. J’ai envie de faire quelque chose. Investir, peut-être. Mais je sais pas encore dans quoi.
Silvano la fixa un instant, l’air sérieux.
— T’as acheté une voiture, tu vis seule, t’as du goût et du culot. T’as tout pour réussir. Faut juste canaliser tout ça dans un vrai projet.
— Tu parles comme un coach de vie, lança-t-elle en souriant.
— Je suis sérieux. Si tu veux, je peux t’aider. J’ai des contacts, je connais des gens qui cherchent des associés ou des partenaires. Tu peux trouver quelque chose qui te correspond. Je ne te juge pas, Flavia. Au contraire. Je crois en toi.
Elle sentit un pincement au cœur. Des mots comme ça, elle n’en avait pas entendu depuis longtemps. Depuis trop longtemps.
— Merci, Silvano.
Ils trinquèrent doucement, leurs verres s’entrechoquant dans la lumière dorée du soleil couchant. Pour la première fois depuis longtemps, Flaviana entrevit la possibilité d’un avenir plus clair, construit non pas sur les erreurs du passé, mais sur une nouvelle version d’elle-même.
Ils rentrèrent chacun chez soi après ce dîner marquant, mais Flaviana se sentait différente. Le monde n’avait pas changé, ses blessures non plus, mais avoir rencontré quelqu’un comme Silvano, droit, posé, attentif, mettait un peu d’ordre dans son chaos intérieur. Ce n’était pas de l’amour, pas encore, mais une lumière douce dans son horizon instable.
Deux jours plus tard, Silvano sonna à sa porte. Elle l’avait invité pour discuter sérieusement de projets, autour d’un bon dîner qu’elle avait pris soin de préparer elle-même. Flaviana avait mis une robe fluide, élégante, pas trop provocante juste ce qu’il fallait pour désarmer doucement. Elle voulait paraître sérieuse, mais son instinct restait joueur.
Ils mangèrent dans le petit salon, à la lueur chaude d’une lampe d’appoint. Une playlist jazzy tournait doucement en fond sonore. Après le repas, ils s’assirent sur le canapé avec des verres de vin rouge, et Silvano sortit une pochette pleine de notes et de graphiques.
— Alors, dit-il en posant les documents sur la table basse, j’ai réfléchi à quelques idées dans lesquelles tu pourrais investir. Rien de trop risqué, mais avec un potentiel de croissance intéressant. Regarde…
Il lui montra un projet de coworking, puis un autre de petite marque de cosmétiques artisanaux, et enfin un concept de food truck pour la côte estivale. Il parlait avec passion, l’enthousiasme d’un homme qui croyait en ce qu’il faisait.
Mais Flaviana ne l’écoutait plus vraiment. Elle le fixait. Ses lèvres, sa mâchoire tendue quand il parlait sérieusement, le pli de sa chemise au col. Tout en lui éveillait chez elle un trouble inattendu. Une chaleur lente, tenace.
Silvano finit par s’arrêter de parler. Il leva les yeux vers elle et plissa légèrement les paupières, intrigué.
— Tu m’écoutes pas, hein ?
Flaviana ne répondit pas tout de suite. Elle s’humecta légèrement les lèvres et répondit, la voix plus basse :
— Tu m’intrigues, Silvano.
Il se redressa légèrement, croisant les bras. Il savait.
A suivre