Le lendemain matin, Flaviana se rendit à l’école de sa sœur. Elle avait pris soin de se maquiller légèrement, de porter une robe simple mais élégante, et sa voiture noire aux vitres teintées attira aussitôt l’attention sur le parking. Elle attendit que Léandra sorte de son dernier cours, adossée à la portière. La jeune fille arriva, son sac sur l’épaule, l’air surpris mais heureux de la voir.
— Tu voulais me voir ? demanda Léandra.
— Oui. Viens, je t’emmène manger.
Elles montèrent dans la voiture. Flaviana démarra et elles roulèrent jusqu’à un petit restaurant du centre-ville. Une fois assises à la terrasse, un silence confortable s’installa, jusqu’à ce que Léandra pose son regard sur le tableau de bord en cuir.
— Ta voiture est trop jolie, dit-elle. Sérieux, t’as tout ce que tu veux… j’aimerais bien être comme toi.
Flaviana releva les yeux de la carte.
— Ne dis pas ça. Je ne suis pas une référence, Léa.
— Je m’en fiche, répliqua sa sœur en haussant les épaules. J’en ai marre des parents, de l’école, des profs… Et en plus, tout le monde me parle de toi. Ils disent que t’es une p**e, que t’as été virée à la télé… J’en peux plus. Je veux juste être libre. Comme toi.
Un pincement serra le cœur de Flaviana. Elle posa la carte et prit les mains de sa sœur.
— Ce n’est pas ça, la liberté. C’est un piège, Léandra. Je préférerais que tu fasses de bonnes études, que tu trouves un travail stable, une vie à toi… Crois-moi, ce que je vis, ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air.
Léandra haussa les épaules sans répondre, le regard perdu. Elles finirent par commander, et pendant le repas, elles rirent un peu, comme avant. Flaviana lui proposa ensuite de faire quelques magasins. Elle voulait toujours gâter sa petite sœur. Elles achetèrent quelques vêtements, un parfum, des bijoux bon marché. Léandra retrouvait le sourire.
En fin de journée, Flaviana la déposa devant la maison familiale. Léandra descendit, son sac rempli de nouvelles affaires, et l’embrassa sur la joue.
— Merci, Flavia. T’es la seule qui me comprend.
— Prends soin de toi.
Mais à peine Léandra avait-elle mis un pied sur le trottoir que la porte d’en face s’ouvrit violemment.
— Encore toi ?!
C’était Donata.
Elle hurlait dans la rue, ses talons claquant violemment sur le trottoir alors que les voisins commençaient à sortir, curieux. La tension flottait dans l’air comme une poudre prête à exploser.
— Espèce de traînée ! Qu’est-ce que tu foutais chez moi hier soir ?! rugit-elle en s’approchant de Flaviana, le visage déformé par la haine.
Flaviana, appuyée contre sa voiture, leva les yeux avec un calme glacial.
— Je suis venue voir ton mari. Je lui ai dit de remettre sa petite femme à sa place… Mais bon, les choses ont un peu… dérapé.
— Tu mens ! cria Donata, les yeux écarquillés. T’as pas osé toucher à Esnesto ?! Mes enfants m’ont dit qu’une femme leur avait apporté du lait ! Tu les as embobinés aussi, hein ?
— J’ai juste été gentille avec eux. Ils avaient soif. Je me suis occupée d’eux… Contrairement à toi.
Donata s’approcha, tremblante, ses mains crispées.
— Et Esnesto ?! hurla-t-elle. Tu crois que j’suis conne ? Tu crois que j’vois pas clair ? Qu’est-ce que t’as fait avec lui, dis-le !
Flaviana sourit, narquoise.
— Esnesto ? C’est un animal quand il b***e. T’as aucune idée de ce que tu rates, Donata.
Donata la fixa, choquée, muette un instant. Puis, elle leva la main pour la gifler. Mais Flaviana lui attrapa le poignet sans ménagement.
— Ne me touche pas, dit-elle, la voix coupante. T’as déjà assez perdu la face comme ça.
Soudain, la porte de la maison s’ouvrit brutalement. Agnella, la mère de Flaviana, apparut sur le seuil. Elle portait son foulard noué à la hâte, les yeux fatigués mais remplis de colère.
— Qu’est-ce qui se passe ici ?!
Agnella s’avança lentement.
Donata se tourna vers elle, hurlant comme une possédée :
— Ta p**e de fille ne doit plus jamais foutre les pieds dans ce quartier ! Elle salit tout, elle détruit tout !
Puis, elle tourna les talons et s’en alla, son pas lourd, furieux, claquant sur le bitume.
Flaviana resta là, le regard figé dans le vide. Agnella s’approcha, plus calme.
— Flavia… tu devrais éviter de revenir ici. Ça devient dangereux. Tu jettes l’opprobre sur la famille. Tu attises la haine.
— Pourquoi, maman ? demanda-t-elle, le ton plus froid. Parce que je vous fais honte ? C’est ça ? Je devrais me cacher, c’est ça ?
Agnella ouvrit la bouche, mais Flaviana leva la main pour l’arrêter. Elle n’attendait pas de réponse.
Elle tourna les talons, remonta dans sa voiture, referma la portière d’un geste sec et démarra, laissant derrière elle une rue pleine de rumeurs, de regards et de silence.
Flaviana décida de faire un détour. Elle s’arrêta dans un supermarché discret, prit un panier et y déposa de quoi cuisiner un plat simple : des pâtes, du parmesan, des tomates cerises, du basilic. Elle prit aussi une bouteille de vin, sans réfléchir.
Une fois chez elle, elle rangea ses achats, se changea en quelque chose de confortable et se mit aux fourneaux. Le silence de l’appartement était pesant. Le cliquetis du couteau contre la planche, le glouglou de l’eau bouillante, le parfum des herbes… tout cela lui donnait un semblant de normalité.
Elle s’assit devant la télévision avec son assiette, le verre à moitié rempli. Les chaînes d’info passaient en boucle des reportages sur le scandale du club de Ruggerio. Les rumeurs, les moqueries, les critiques… Elle savait que certains la pointaient du doigt, la traitaient de p**e, mais dans le fond, beaucoup aimeraient être à sa place : libre, désirée, entourée d’hommes riches.
Elle se sentait vide malgré tout. Seule.
Elle posa son verre et se leva. Sur la commode, il y avait cette petite carte de visite, reçue depuis un moment, au restaurant, quand elle déjeunait avec Léandra. Un homme l’avait regardée longuement, puis, avant de partir, lui avait discrètement glissé cette carte.
Elle la prit.
Hésita.
Puis composa le numéro.
— Allô ?
— Bonsoir, répondit une voix grave.
— C’est Flaviana.
— Flaviana ? Je dois dire que je n’y croyais plus…
— Et pourtant, me voilà.
— Je suis ravi. On se retrouve ce soir ? Je connais un endroit calme, discret, près du lac.
Flaviana se regarda dans le miroir. Elle n’avait rien à perdre. Elle voulait penser à autre chose.
— D’accord. Envoie-moi l’adresse.
Elle choisit une robe noire, élégante, et attacha ses cheveux en un chignon flou. Un peu de parfum. Un trait de rouge à lèvres. Et elle partit.
L’endroit était magnifique. Un restaurant raffiné au bord du lac, où la lumière se reflétait doucement sur l’eau. La terrasse était presque vide. L’homme l’attendait déjà.
— Flaviana, dit-il en se levant, charmant. Moi, c’est Massimo Del Canto.
— Enchantée, Massimo, répondit-elle en lui serrant la main.
Il portait un costume sobre mais luxueux. Son regard était clair, assuré. Ils s’installèrent.
— Je pensais que tu ne me rappellerais jamais, avoua-t-il en riant doucement.
— Disons que j’ai eu quelques… complications.
Ils discutèrent longuement. Il lui parla de ses affaires dans l’immobilier, de ses voyages, de sa passion pour la voile. Elle, un peu plus réservée, lui offrit quelques bribes de sa vie soigneusement choisies.
Le vin coulait doucement. Les verres se vidaient sans qu’ils s’en rendent compte. La complicité s’installait.
Massimo posa sa main sur la sienne.
— Viens. Je ne veux pas que cette soirée se termine ici.
Flaviana ne répondit pas. Elle savait ce que cela impliquait. Mais elle n’avait pas envie de rentrer chez elle. Pas envie de penser. Pas envie d’être seule.
Ils quittèrent le restaurant et prirent la direction d’un hôtel discret et luxueux, niché dans une ruelle de pierre.
Dans la chambre, il n’y eut pas de mots inutiles. Il la déshabilla lentement, avec douceur et attention, comme s’il déballait un secret. Elle se laissa faire, savourant le moment, cherchant à oublier la honte, la colère, les cris.
Massimo la pénètre.
Ils firent l’amour longtemps, sans précipitation. Flaviana s’abandonna au plaisir, aux sensations nouvelles, à cette légèreté temporaire qui lui faisait tant de bien.
Et lorsqu’ils s’endormirent, leurs corps mêlés sous les draps blancs, elle savait que demain la réalité la rattraperait.
Mais ce soir… elle voulait juste respirer.
Le soleil perçait à peine les rideaux lorsque Flaviana ouvrit les yeux. Elle se tourna lentement dans les draps soyeux, étira son corps nu et sentit la chaleur d’un autre corps contre le sien. Massimo dormait encore, ses cheveux en bataille sur l’oreiller, son torse large respirant lentement. Elle le regarda un moment, puis glissa sa main le long de son flanc.
A suivre