- Je veux juste que tu dégages de ce quartier. T'es un danger pour nos filles. Elles n'ont pas besoin de traînées comme toi pour modèle.
— Je suis pas venue pour elles. Je suis venue voir ma famille.
— Ta famille t’a déjà rayée. C’est que t’as tout foiré. Elle monta dans sa voiture. Reste loin de chez moi, Flaviana. Je te préviens.
Elle démarra, laissant derrière elle l’écho grinçant de ses pneus sur le bitume et un parfum trop fort. Flaviana, toujours assise, ferma les yeux un instant pour ravaler ses sanglots. Quand le silence fut revenu, elle se leva lentement.
Elle traversa la rue, le regard durci par l’humiliation, et alla frapper à la porte de Donata.
Contre toute attente, c’est Ernesto, son mari, qui ouvrit. Il semblait surpris, gêné même.
— Flaviana ? Je…
— Épargne-moi ton air choqué, coupa-t-elle froidement en le bousculant légèrement pour entrer. Je vais parler. Et cette fois, personne ne me coupera.
— J’en ai marre de ta femme ! cria Flaviana en entrant dans le salon, les joues encore humides et les nerfs à vif. Elle me harcèle, elle me crache dessus dès qu’elle ouvre la bouche, et toi tu restes là, comme si tout allait bien !
Ernesto referma doucement la porte derrière elle, les yeux fuyants, la mine lasse.
— Flaviana… calme-toi, s’il te plaît.
— Non ! Non, je me calmerai pas ! Elle me traite comme une moins que rien devant tout le quartier, et maintenant elle dit que je suis un danger pour les enfants ?! Elle a pété les plombs, Ernesto !
Il s’approcha lentement et lui prit la main, avec une douceur inattendue. Le contact la surprit, la fit se taire un instant. Leurs regards se croisèrent. Il y avait de la fatigue dans ses yeux, mais aussi autre chose… une tendresse confuse.
— Regarde-moi… souffla-t-il. Juste un instant. Respire.
Mais ce moment fragile fut interrompu par une voix d’enfant.
— Papa… on veut du lait, dit doucement le petit garçon, apparaissant au bord de l’escalier, main dans celle de sa sœur.
Flaviana tourna la tête vers eux, prise de court. Elle se redressa, effaça ses larmes d’un revers de main et leur adressa un sourire chaleureux, bien que forcé.
— Coucou les amours… Mais je suis en train de discuter avec votre papa. Montez à l’étage, d’accord ?
Mais la petite, une frimousse entêtée et curieuse, fronça les sourcils.
— Mais on veut boire maintenant!
Flaviana échangea un regard avec Ernesto, puis s’agenouilla pour être à leur hauteur.
— D’accord, princesse, dit-elle avec un sourire attendri. Montez dans votre chambre, je vais vous rejoindre avec deux grands verres de lait, promis.
Les deux enfants obéirent sans protester et montèrent l’escalier à pas pressés, intrigués mais dociles. Flaviana les suivit du regard jusqu’à ce qu’ils disparaissent au tournant, puis se tourna brusquement vers Ernesto, les bras croisés.
— Et toi, tu comptes rester planté là à me fixer comme un chien perdu ? Va leur préparer leur lait, au lieu de faire semblant de réfléchir à la vie !
Ernesto haussa un sourcil, un rictus agacé se dessinant sur ses lèvres, mais il ne répondit rien. Soudain, une odeur âcre se fit sentir, un relent de brûlé qui piqua la gorge.
— C’est quoi cette odeur ? demanda Flaviana, plissant le nez.
— m***e… le four ! lâcha Ernesto.
Ils se précipitèrent tous les deux dans la cuisine. Ernesto ouvrit en vitesse la porte du four, laissant échapper une bouffée de fumée noire. Une plaque de cookies calcinés en sortit, durs comme du charbon.
— Voilà ce que je faisais, grogna-t-il en posant la plaque sur le plan de travail. Des cookies. Pour mes enfants. Mais évidemment, madame a débarqué avec ses grands cris…
Flaviana porta une main à sa bouche, prise d’un fou rire incontrôlable, malgré l’odeur et l’ambiance tendue.
— Oups… dit-elle en étouffant son rire. Je t’ai saboté ton moment de père parfait, on dirait.
— Tu crois ? marmonna-t-il en jetant un torchon sur les cookies carbonisés. Bon, je vais sortir le lait, c’est plus sûr.
— Laisse, je m’en occupe, répondit-elle en ouvrant le frigo. Je vais me rattraper avant que tes enfants me déclarent persona non grata eux aussi.
Ernesto secoua la tête en esquissant un léger sourire.
— Tu sais, malgré ta grande bouche, ils t’aiment bien. C’est peut-être moi qui devrais me méfier…
Flaviana le regarda en coin, tout en versant le lait dans deux grands verres.
— T’as bien raison. Je suis redoutable. Surtout avec les cookies.
Flaviana monta à l’étage, les deux verres de lait à la main. Les enfants l’attendaient sur le tapis de leur chambre, sagement installés.
— Voilà, mes trésors. Bien frais, comme promis.
— Merci, tata Flaviana, répondit la petite avec un grand sourire.
Flaviana caressa doucement leurs cheveux, puis redescendit à la cuisine. Ernesto était en train de ranger la table, silencieux.
— Le lait est servi, dit-elle.
— Merci, répondit-il sans la regarder. C’est gentil.
Elle s’appuya contre le cadre de la porte, l’observant.
— Tu devrais parler à ta femme. Sérieusement. Elle va trop loin avec moi.
Ernesto leva enfin les yeux vers elle. Ils se fixèrent un long moment, sans un mot.
— Je vais y aller, murmura-t-elle en se redressant.
Ernesto la suivit jusqu’à la porte. Flaviana posa la main sur la poignée, mais à peine l’eut-elle ouverte qu’il la referma d’un coup sec.
— Ernesto ? Qu’est-ce que tu fais ?
Il ne répondit pas. Il s’approcha lentement, le regard ancré dans le sien. Les lèvres de Flaviana frémirent, hésitantes.
— Ernesto…
Mais il était déjà là. Ses lèvres effleurèrent les siennes, timidement d’abord, puis avec plus de fièvre. Flaviana ne bougea pas. Elle se laissa faire. Il l’embrassait comme un homme affamé.
— On ne devrait pas… murmura-t-elle quand leurs bouches se séparèrent.
— Ce que je ne devrais pas, c’est te laisser partir comme si de rien n’était, dit-il en commençant à déboutonner sa chemise. Je te dois ça depuis longtemps.
— Tu sais que tu es marié, Ernesto.
— Et alors ? C’est pas une raison pour continuer à me priver de ce que je veux.
Flaviana sourit légèrement. Cette audace l’excitait. Elle adorait découvrir les hommes comme on découvre un nouveau territoire. Lentement, elle ôta sa veste.
— Alors viens… prouve-le.
Leurs corps se retrouvèrent, avec cette urgence désordonnée, presque brutale. Les mains tremblaient, les soupirs montaient, les vêtements disparaissaient.
Esnesto prend un préservatif et l'enfile puis très excité il la pénètre.
Ils s’étaient connus autrement. Mais là, dans le secret de cette cuisine silencieuse, c’était une autre vérité qui se disait, sans mots. Seulement la peau, les souffles, les gestes. Le désir.
— Oh.... Oui... T’es dingue, gémit-elle contre son oreille.
— Et toi, t’es pire…
Quand enfin le silence reprit ses droits, Flaviana se rhabilla lentement, remettant de l’ordre dans ses pensées. Ernesto, torse nu et essoufflé, alla s’asseoir dans le salon sans dire un mot, la tête entre les mains. KO.
Flaviana passa devant lui sans le regarder, une lueur trouble dans les yeux. Elle n’avait pas encore décidé si elle regrettait ou non. Mais ce qu’elle savait, c’est qu’elle venait encore une fois de faire voler en éclat une ligne qu’on ne devrait pas franchir.
— Qu’est-ce qu’on vient de faire, Ernesto ?
Il releva lentement la tête, les yeux perdus.
— J’en sais rien… murmura-t-il. J’ai pas réfléchi.
— Moi non plus, répondit-elle en détournant les yeux. Et c’est bien ça, le problème.
Elle attrapa son sac, remit ses chaussures à la hâte, sans un regard en arrière, puis ouvrit la porte. Une bouffée d’air chaud lui caressa le visage.
Sur le trottoir, plusieurs voisines étaient sorties. Des femmes d’un certain âge, leurs bras croisés sur leurs poitrines, les sourcils levés. Une poussa un petit rire méprisant. Une autre chuchota quelque chose à l’oreille de sa compagne.
— C’est elle, non ? Celle qu’on a vue sur les photos…
— Tss, elle ose encore revenir ici…
Flaviana garda la tête haute, mais son cœur battait vite. Soudain, elle vit une femme sortir son téléphone et composer un numéro à toute vitesse.
— Donata va être ravie d’apprendre ça, glissa-t-elle à voix haute.
Flaviana accéléra le pas, atteignit sa voiture en quelques secondes. Elle sentait les regards brûlants dans son dos comme des flèches. Ses doigts tremblaient en insérant la clé dans le contact.
Elle démarra en trombe, sans jeter un seul coup d’œil dans le rétroviseur. Mais elle savait. Elle savait que l’histoire allait se répandre comme une traînée de poudre dans tout le quartier. Que Donata serait prévenue dans les minutes qui suivent.
Et que le feu, cette fois, ne viendrait pas seulement du four d’Ernesto.
A suivre