Flaviana monta directement dans la suite du cheikh Khalid. Il l'attendait, assis dans un fauteuil, un verre à la main.
- Désolée pour le retard, dit-elle en s'avançant. Il y avait des bouchons sur la route.
- Je comprends, répondit-il en lui tendant une enveloppe plus épaisse encore que la précédente. Tu as rempli ta mission.
Flaviana, surprise, hésita.
- Mais je n'ai rien fait de spécial...
Le cheikh Khalid sourit calmement.
- C'est ce que tu crois.
Il fit quelques pas vers la table basse, ouvrit un petit coffre posé là, en sortit une clé de voiture - une Lamborghini noire, neuve. Il la tendit à Flaviana.
- C'est à toi.
- Non... je ne peux pas accepter ça, dit-elle aussitôt, reculant d'un pas. C'est trop.
- C'est ce qui te revient, Flaviana.
Elle le fixait sans comprendre.
- Pourquoi tu fais tout ça pour moi ? On se connaît à peine...
- Justement, dit-il en lui remettant les clés dans la main. Parce que tu ne m'as jamais rien demandé.
Flaviana resta un instant figée, troublée. Puis il s'approcha, lui donna encore une enveloppe remplie d'euros, la dernière.
- Il est temps que tu partes, dit-il calmement.
Mais elle ne bougea pas. Le cœur battant, elle fit un pas vers lui.
- Je peux pas partir comme ça...
Elle leva les yeux vers lui, posa une main sur sa poitrine. Puis, sans prévenir, elle l'embrassa. Un b****r profond, silencieux, chargé d'une tension qui avait longtemps flotté entre eux.
Il y répondit doucement, puis recula, la main encore sur sa taille.
- Je dois quitter l'Italie ce soir.
- Tu pars ? chuchota-t-elle, les lèvres à peine remuées.
- Oui. Et... il se peut qu'on ne se revoie pas.
Flaviana resta, le souffle suspendu.
Il attrapa sa veste, lui jeta un dernier regard, puis quitta la suite sans un mot de plus.
Le silence qu'il laissa derrière lui pesait lourd.
Flaviana descendit de la suite en silence, les clés en main et l'enveloppe dans son sac. Le hall de l'hôtel lui parut irréel, comme si tout ce qu'elle venait de vivre flottait encore autour d'elle comme un parfum lourd. Elle s'installa derrière le volant de la voiture, une berline discrète, mais récente. Ce n'était pas une voiture de luxe, pas une de ces machines tapageuses qu'on offrait aux maîtresses. C'était... simple. Humain. Et ça lui convenait parfaitement.
Elle roula à travers les rues de Rome sans penser à rien, sans musique. Son esprit bourdonnait de tout ce qu'elle venait d'entendre. De ce b****r. De cette absence de promesse. De ce départ.
En rentrant chez elle, elle balança distraitement son sac sur le canapé, alluma la télévision et s'arrêta net.
L'image d'un bâtiment en flammes s'imposa à l'écran, les lettres rouges « URGENT » tournoyant en bas.
- Incendie criminel au club Lux Inferno, dans le quartier sud de Rome. Plusieurs arrestations ont eu lieu sur place. Le propriétaire présumé, un certain Ruggerio Caravella, est actuellement en fuite...
- Le Lux Inferno... souffla-t-elle.
Elle s'effondra lentement sur le canapé, bouche ouverte.
- ...Soupçonné d'être à la tête d'un réseau mafieux, Caravella aurait utilisé son établissement comme vitrine pour le trafic d'êtres humains, blanchiment d'argent et proxénétisme. Selon les enquêteurs, son organisation a été démantelée grâce à une opération discrète menée en collaboration avec des services étrangers...
Flaviana porta une main à sa bouche.
- ...Des femmes ayant travaillé pour lui ont témoigné. Parmi elles, Soraya L., son ancienne compagne, qui l'accuse publiquement d'abus, de menaces, et même de meurtre.
Sur l'écran, Soraya parlait, maquillée, entourée de micros. Flaviana sentit son estomac se tordre.
- C'était un monstre. Il nous faisait peur. Il a frappé des filles devant moi...
Flaviana se leva brusquement. Son cœur battait à tout rompre. Elle marcha dans l'appartement comme une bête en cage. Puis son esprit fit un bond en arrière. Le cheikh. Les conversations à voix basse. Les rencontres discrètes dans l'hôtel. Les hommes en costume qui parlaient italien, mais aussi arabe. Les questions subtiles sur Ruggerio, glissées entre deux verres de vin.
- Oh mon Dieu... chuchota-t-elle.
Elle se laissa tomber sur le lit. Elle comprenait maintenant. Ce n'était pas une simple visite d'affaires. Le cheikh Khalid n'était pas venu pour elle. Il était venu pour lui faire tomber lui.
Ruggerio.
Et elle avait été l'une des clés.
- Il savait tout... Il m'a utilisée sans que je m'en rende compte.
Elle ferma les yeux, incapable de savoir si elle se sentait trahie... ou sauvée.
Le lendemain matin, Flaviana fut tirée du sommeil par une série d'appels incessants. Elle tendit la main vers son téléphone, encore à moitié endormie, mais lorsqu'elle vit les noms s'afficher Papa, Maman, Maison une angoisse glaciale lui traversa le ventre. Elle décrocha.
- Allô ?
- Tu n'as plus honte ?! hurla son père. Tu veux encore nous humilier comme ça, hein ?!
- Papa... Qu'est-ce qui se passe ? Je comprends pas...
- Tu n'as rien à comprendre. T'es une honte. Une malédiction. Je ne veux plus jamais entendre parler de toi !
La ligne se coupa brutalement. Flaviana resta figée, le cœur battant. Une notification arriva aussitôt. Un message de Léandra. Juste un lien. Elle cliqua.
Et là, tout son monde s'écroula.
Des photos d'elle, prises dans le club de Ruggerio, circulaient sur les réseaux. On la voyait danser, sourire, porter des tenues provocantes. Des vidéos montées, des commentaires abjects. Certains médias la présentaient comme une des « filles du réseau ». Son nom apparaissait en gros caractères. Les images dataient d'il y a plusieurs mois.
- C'est pas possible... murmura-t-elle, la gorge serrée.
Elle se leva d'un bond, enfila un jean, un pull, attrapa les clés de la voiture. Elle devait parler à ses parents. Leur dire que tout ça, c'était avant. Que ce n'était pas ce qu'ils croyaient.
Elle roula vite, trop vite peut-être. En arrivant dans la rue familiale, elle se gara à peine et courut jusqu'à la maison. Elle toqua, essoufflée.
La porte s'ouvrit brusquement sur son père. Il avait le visage dur, fermé.
- Tu n'entres pas ici.
- Papa, écoute-moi, je t'en supplie... Ce sont des photos anciennes, c'était avant !
- Et tu nous en as parlé, peut-être ?! rugit-il. Tu as menti à tout le monde ! Tu as couvert ta honte avec des habits de luxe et des voitures achetées avec quel argent, hein ?!
- Ce n'est pas comme ça... Je... Je ne suis plus cette fille, je voulais pas vous faire du mal.
Sa mère apparut derrière lui, les bras croisés, le visage marqué par la colère et la déception.
- Et cette voiture, là ? Tu l'as eue comment ? Tu crois qu'on est aveugles ? T'as juste changé de client, c'est tout.
Flaviana sentit les larmes monter. Elle secoua la tête, en reculant d'un pas.
- Non... Non, je vous jure... Je ne fais plus ça... Je...
Elle voulut parler à Léandra.
- Léandra ! Léa, s'il te plaît, parle-moi !
Mais sa sœur était dans le couloir, immobile. Le regard triste. Elle ne dit rien. Leur père referma violemment la porte, qui claqua comme une gifle dans le silence du matin. Flaviana resta seule, figée devant le bois clos.
Ses larmes roulèrent enfin. Elle venait de tout perdre.
Flaviana s'assit sur les marches de la maison familiale, les genoux ramenés contre elle, les larmes roulant silencieusement sur ses joues. Son cœur battait à toute vitesse, comme s'il voulait fuir lui aussi. Dans la rue, des enfants jouaient au ballon. Ils s'étaient arrêtés en la voyant pleurer.
- Madame, vous allez bien ? demanda l'un d'eux, un garçonnet blond aux joues rouges.
Mais à peine avaient-ils fait un pas vers elle que des voix de mères s'élevèrent.
- Luca, rentre tout de suite !
- Et toi, Anna, ne t'approche pas de cette fille-là, compris ?
Les enfants obéirent, curieux mais obéissants, et disparurent dans les maisons voisines. La rue se vida peu à peu, et le silence fut à nouveau troublé par un claquement de porte. Donata venait de sortir, tirant une valise à roulettes. Elle la traîna jusqu'à sa voiture garée de l'autre côté de la rue. Ses deux enfants la suivaient, timides.
- Rentrez tout de suite à la maison, leur ordonna-t-elle sèchement.
Puis, se tournant vers Flaviana, elle la fusilla du regard, un sourire amer aux lèvres.
- Alors ? On pleure parce qu'on s'est encore fait virer de chez soi ? lâcha-t-elle. C'est ce qui arrive quand on achète une voiture avec ses fesses.
Flaviana releva la tête lentement, les yeux rougis.
- T'as pas fini, Donata ? Tu veux quoi exactement ? Que je me jette sous une voiture ?
Mais Donata ne se démonta pas. Elle met la valise dans le coffre de son véhicule et claqua la portière avant de répondre.
A suivre