Aujourd’hui, elle affichait une assurance nouvelle, ses boucles brunes relevées, un rouge à lèvres franc sur les lèvres.
— Merci, Amaya. Grâce à vous… j’ai compris que je méritais plus. J’ai quitté cette cage, et maintenant, je respire.
Amaya lui sourit, fière mais toujours mesurée.
— Ce n’est pas grâce à moi, Beatrice. C’est vous qui avez trouvé le courage. Moi, je n’ai fait que vous montrer le miroir.
Béatrice s’en alla, refermant doucement la porte derrière elle, laissant Amaya et Giuilia seules dans le bureau silencieux.
Giuilia s’effondra sur le fauteuil en serrant les mouchoirs dans ses mains tremblantes.
— Il a baisé avec cette p**e dans notre maison, Amaya… Dans notre maison… où dorment mes enfants. Et il… il a continué devant moi. Il n’a même pas arrêté.
Sa voix se brisa. Amaya, figée, la regardait sans parvenir à cacher sa stupeur. Ses sourcils se froncèrent, son dos se redressa, ses lèvres restèrent entrouvertes. Elle n’avait pas imaginé une chose pareille.
— Attends… quoi ? Il… devant toi ?
— Oui. Il m’a dit de dégager tout en… continuant. J’ai essayé de la sortir de là, je l’ai tirée par les cheveux, mais lui, il s’est rhabillé comme si de rien n’était et il m’a crié dessus. Il m’a giflée, Amaya.
Le silence qui suivit était lourd. Amaya sentit sa bouche s’assécher.
— Giuilia… je… je sais même pas quoi te dire.
— Ce n’est pas tout. Il y a pire.
— Laisse-moi boire un verre d’eau, s’il te plaît, répondit Amaya, en se levant et en marchant vers la petite fontaine du coin, son cœur battant la chamade. Elle se servit un verre avec des gestes saccadés.
— Je t’écoute… mais doucement, Giuilia. Là, tu viens déjà de me retourner l’estomac.
Giuilia prit une inspiration douloureuse, les yeux brillants de larmes, les épaules basses. Elle savait que ce qu’elle allait dire dépasserait toutes les bornes.
– Il l’a tué, Amaya…
La voix de Giuilia était à peine audible, étranglée par l’émotion. Assise au bord du fauteuil, les doigts crispés sur un mouchoir froissé, elle fixait un point invisible sur le tapis. Amaya, en face d’elle, fronça les sourcils, penchée légèrement en avant.
– Qui ça ? demanda-t-elle, la gorge serrée.
– L’homme… Matteo. Celui qui avait parlé avec moi à la soirée. Il voulait juste m’aider. Il m’a même donné un contact. Il m’a dit qu’il pouvait m’aider à sortir de là.
Elle marqua une pause, lutta contre les larmes. Amaya restait immobile.
– Et... Lorenzo l’a fait décapiter. Il a mis sa tête dans une boîte. Il me l’a envoyée.
Amaya porta lentement sa main à sa bouche, incapable de dire un mot.
– Tu es sérieuse ? murmura-t-elle finalement. Giuilia, tu dois aller à la police. Tu ne peux pas laisser passer ça !
Giuilia rit, un rire nerveux et presque douloureux. Elle releva les yeux vers Amaya avec une lueur sombre.
– Tu crois que je n’y ai pas pensé ? Tu crois que c’est si simple ? Lorenzo est un mafieux, Amaya. Un vrai. Pas une légende urbaine ou un parrain de pacotille. Il a des hommes partout. Partout. Des juges, des flics, des chauffeurs, des voisins. Il sait tout, voit tout, entend tout.
Elle inspira difficilement.
– Rien que le fait de te raconter ça, ça peut me coûter la vie. Et peut-être la tienne aussi.
Un long silence s’installa. Amaya avait le souffle court, le cœur battant fort. Elle avait écouté des dizaines d’histoires de femmes détruites, contrôlées, enfermées. Mais jamais ça. Jamais une femme piégée dans une vie de mafia, menacée jusque dans ses confidences.
– Je ne peux pas m’enfuir, Amaya… continua Giuilia dans un murmure. Je le sais. Il ne m’aime pas. Je l’ai compris depuis longtemps. Mais moi, je l’aime. C’est ça, le pire. Je l’aime malgré tout.
Amaya la regardait avec un mélange de stupeur et de compassion.
– Tu vis dans une cage dorée, souffla-t-elle. Mais avec des barreaux trempés de sang.
Amaya garda un instant le silence. Elle devait mesurer ses mots, peser chaque phrase. Elle n’était pas seulement face à une femme amoureuse, elle était face à une femme prisonnière. D’un homme, d’un système, d’une illusion.
Elle posa calmement sa tasse sur la table basse, puis releva les yeux vers Giuilia.
– Tu crois que l’amour suffit, Giuilia ? Tu crois que ton amour peut guérir un homme qui tue sans hésiter ?
Giuilia baissa les yeux, incapable de répondre.
– L’amour… ce n’est pas rester auprès de quelqu’un qui te fait peur. Ce n’est pas fermer les yeux sur un meurtre. Ce n’est pas se taire quand ton corps tremble à chaque bruit de clé dans la serrure.
– Mais je l’aime… souffla Giuilia, comme un cri étouffé.
Amaya se pencha légèrement vers elle.
– Tu crois que c’est de l’amour… mais c’est de l’attachement. Un lien tissé dans la peur, dans le manque, dans la soumission. Et ça, ça se soigne. Ça se guérit. Je l’ai vu chez d’autres. Et je le vois en toi.
Giuilia secoua doucement la tête.
– Il me laissera jamais partir.
– Alors on n’essaiera pas de fuir brutalement. Pas tout de suite. On va réfléchir. Ensemble. Avec stratégie. Avec calme. Tu vas me dire exactement ce que tu sais, ce qu’il contrôle, ce qu’il ne contrôle pas. Tu vas m’expliquer ses habitudes, ses hommes, ses faiblesses.
– Pourquoi ? demanda Giuilia, les yeux agrandis.
– Parce que la première étape pour sortir de ce genre de cercle… c’est de connaître la cage mieux que le geôlier lui-même. Et crois-moi, je vais t’aider à dessiner la carte de ta sortie. Pas aujourd’hui. Pas demain. Mais bientôt.
Giuilia la fixa, hésitante.
– Et si j’ai pas la force ?
– Alors je te la prêterai.
Un silence lourd s’installa, mais Giuilia ne pleurait plus. Pas cette fois. Dans son regard, une lueur infime avait surgi. Pas de l’espoir. Pas encore. Mais peut-être… un frisson de résistance.
Assise dans le fauteuil en rotin face à Amaya, Guilia triturait machinalement la fermeture de sa manche.
— Il a un coffre-fort chez vous ? demanda Amaya, le regard attentif.
— Oui… dans le dressing. Mais j’y ai accès. Y’a juste de l’argent dedans, répondit-elle en haussant les épaules.
Amaya fronça les sourcils, presque amusée par tant de naïveté.
— Guilia. Ces hommes ont toujours un deuxième coffre. Un vrai. Celui où ils cachent ce qui compte vraiment. Argent liquide, documents, choses compromettantes. Tu dois le trouver.
— Tu penses qu’il serait où ? Dans son bureau peut-être…
— Très probable. Cherche bien. Et si tu trouves le code, ou une clé… tu me le dis.
Elle baissa la voix, plus ferme :
— Il a forcément un coffre quelque part. Si tu trouves la clé ou le code, tu me le dis. On pourra récupérer ce qu’il y a dedans quand ce sera le moment.
Guilia acquiesça doucement.
— D’accord…
Elle regarda l’horloge derrière la thérapeute, puis se leva en silence. La séance était terminée.
Le soir même, dans la grande villa baignée d’un calme feutré, Guilia fouilla d’abord la chambre. Rien. Le salon, discret et aseptisé, ne révéla aucun secret. Tout semblait trop propre, trop maîtrisé.
Après le dîner, Lorenzo reçut un appel et sortit quelques minutes prendre l’air dans la cour arrière. Guilia n’attendit pas. Pieds nus, le cœur battant, elle glissa vers le bureau.
L’endroit était sombre, impeccablement rangé. Le bureau en noyer brillait sous les lumières basses. Elle ouvrit les tiroirs. Rien d’inutile, mais rien de vraiment personnel non plus. Des stylos de luxe, un carnet vide, des papiers sans intérêt.
Puis son regard tomba sur un tableau accroché au mur. Une photo de Lorenzo avec un homme politique italien. Étrangement, le cadre était légèrement de travers.
Elle tendit la main. Le décrocha. Et là, juste derrière, encastré dans le mur recouvert de boiserie sombre, se trouvait un coffre-fort.
Ses doigts tremblèrent légèrement.
Elle n’avait aucune idée du code.
Mais maintenant, elle savait qu’il existait.
Guilia restait figée devant le coffre. Le cœur battant, elle essuya ses paumes moites contre sa robe. Son regard glissa lentement sur les chiffres du boîtier digital.
Elle murmura pour elle-même.
— Peut-être la date de notre mariage…
Elle entra la combinaison. Rien. Un bip sec retentit. Mauvais code.
Ses doigts tremblèrent.
— Ou la date de naissance des enfants…
Elle n’eut pas le temps de composer le deuxième code.
— Guilia ?!
Sa nuque se figea. La voix de Lorenzo claqua dans le silence comme un fouet. Il venait d’entrer. Elle se retourna brusquement. Son regard croisa le sien. Il était là, juste sur le seuil. L’air interloqué. Glacé. Furieux.
Elle recula d’un pas, les mains encore tendues vers le mur.
— Je… je cherchais quelque chose…
— Arrête de mentir, grogna-t-il en s’approchant d’elle.
Il referma la porte derrière lui.
À suivre