Giulia recula. Sa respiration s'accéléra. Elle porta une main à sa bouche. Aucun cri ne sortit. Juste un long sanglot silencieux, viscéral. Matteo... L'un des rares hommes qui l'avaient écoutée, respectée. Un père de famille. Mort à cause d'elle. De Lorenzo.
Graziella comprit en voyant le contenu. Elle s'effondra sur une chaise, blanche comme un drap.
- Mon Dieu...
Giulia ferma la boîte. Une heure passa. Peut-être deux. Pas une larme ne coula de nouveau. Son visage était redevenu froid. Figé. Déterminé.
Elle monta préparer les enfants. Les habilla, coiffa Sofia comme si de rien n'était. Leonardo râlait un peu. Elle, elle agissait comme un automate.
- Tu... Tu vas retourner là-bas ? souffla sa mère au bas de l'escalier.
Giulia attacha la fermeture éclair du sac de Sofia, sans relever les yeux.
- J'ai exagéré, Mamma. Je suis partie dans tous les sens. Ce n'est rien. Tout va bien.
Graziella voulut parler, mais n'en eut pas le courage. Quelque chose en elle savait que discuter n'y changerait rien. Elle embrassa ses petits-enfants, longuement. Puis regarda sa fille s'éloigner, droite, glaciale.
Le chauffeur attendait à l'extérieur. Il ouvrit la porte. Giulia posa la boîte dans le coffre, sans un mot. Puis elle s'installa à l'arrière avec ses enfants.
Sofia jouait avec sa poupée. Leonardo regardait les immeubles défiler.
Giulia, elle, gardait les mains croisées sur ses genoux.
Le portail se referma derrière la voiture, dans un grondement sourd. Giulia sentit sa gorge se nouer. Leonardo et Sofia jouaient avec leurs peluches à l'arrière, inconscients du poids qui écrasait leur mère.
Le chauffeur coupa le moteur sans un mot. Il ouvrit la portière. Giulia descendit, tenant la main de sa fille, l'autre sur l'épaule de son fils. La boîte avait été récupérée, comme si rien ne s'était passé.
Elle franchit le seuil. La villa semblait silencieuse, trop silencieuse. Mais elle le savait. Il était là. Il attendait.
Quand elle entra dans le salon, Lorenzo était assis dans son fauteuil, une cigarette allumée entre deux doigts, le regard fixe. Une jambe posée sur l'autre, parfaitement calme. Trop calme.
Il ne tourna même pas la tête.
- Montez dans vos chambres, dit-il aux enfants sans lever la voix.
Ils obéirent aussitôt. Giulia resta là, droite mais tremblante, les yeux rouges, les joues creuses. Il écrasa sa cigarette dans le cendrier de marbre, puis leva enfin les yeux vers elle.
- Assieds-toi.
Elle obéit, presque mécaniquement, comme si son corps ne lui appartenait plus. Elle s'assit au bord du canapé, les mains croisées sur ses genoux, la tête baissée.
- Tu as compris maintenant, souffla-t-il. On ne m'humilie pas. Jamais.
Elle ne répondit pas. Ses lèvres remuaient à peine, mais aucun mot ne sortit. Juste un souffle. Un murmure brisé.
- Matteo Flachi n'était rien. Et tu as failli mettre cette maison en danger pour ce minable.
Une larme roula le long de sa joue. Elle baissa encore plus la tête.
- Tu veux jouer à la femme forte, Giulia ? Tu ne l'es pas. Tu es à moi. À moi, Giulia. Et tu restes ici. Parce que dehors, c'est bien pire.
Elle hocha la tête, d'un geste presque imperceptible.
- Très bien.
Il se leva, passa devant elle, la main effleurant à peine son menton.
- Ce soir, tu dormiras dans ma chambre.
Il sortit du salon. Giulia resta seule, figée. Le silence revint. Plus lourd que jamais.
Giulia referma la porte d'entrée et fit signe à la nounou de s’occuper des enfants dans le salon. Elle monta dans sa chambre, prit son téléphone et composa un numéro qu’elle n’avait jamais pensé appeler pour ça.
— Vittoria… tu peux venir à la maison ? C’est important. Très important.
Vittoria n’avait pas posé de question. Moins d’une heure plus tard, elle franchissait la porte du grand portail. Giulia l’attendait déjà dans le jardin, assise sur un banc en pierre blanche, le regard noyé dans le vide. Les talons de Vittoria claquèrent doucement contre le marbre avant qu’elle ne s’approche et s’installe à ses côtés.
Giulia craqua dès qu’elle vit son visage.
— J’en peux plus, souffla-t-elle. Je sais plus quoi faire.
Vittoria pencha légèrement la tête, calme.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Giulia lui raconta tout. Les cris. Sabrina. La scène dans le couloir. La gifle. Puis le colis… la boîte. La tête de Matteo. Son regard brisé, figé. Et ce mot. Cette menace. Elle pleurait à nouveau, sans chercher à se contenir.
— Il veut pas de moi… mais il veut pas me laisser partir non plus, murmura-t-elle. Il me déteste, Vittoria. Mais il me garde comme une ombre dans sa maison.
— Est-ce que toi… tu l’aimes encore ? demanda Vittoria après un silence.
Giulia baissa les yeux. Puis hocha doucement la tête.
— Oui. Et c’est ça le pire.
Vittoria posa une main sur la sienne.
— Alors va voir Amaya.
Giulia leva les yeux, perplexe.
— Je sais pas… Je crois pas trop à son expérience. Elle est jeune… et puis elle parle comme si elle contrôlait tout.
— C’est justement pour ça que tu dois y aller. Elle m’a aidée à me révéler, Giulia. Avant, j’étais comme toi. Éteinte. Soumise. Maintenant je suis debout. Et Lorenzo le respecte pour ça.
Giulia ne répondit pas tout de suite. Son regard se perdit vers les cyprès du jardin. Puis elle murmura :
— Je n’arrive pas à croire qu’il ait tué cet homme… Pas aussi vite. Lorenzo a toujours su se débarrasser de ceux qui le dérangent… mais là… c’était brutal. Froid.
— Matteo en savait trop, répondit Vittoria. Il avait un dossier sur Lorenzo. C’était une question de temps. Il fallait s’y attendre.
Giulia frissonna.
— Il m’a envoyé sa tête, Vittoria. Tu te rends compte ? C’est moi qu’il voulait effrayer.
— Et il a réussi, dit calmement Vittoria. Mais maintenant, tu dois doubler tout ça. Penser à toi. À tes enfants. Leur mère doit être plus forte que la peur.
Les deux femmes restèrent un moment silencieuses. Puis Vittoria appela la gouvernante pour qu’on leur apporte du thé. Elles restèrent là, sous le soleil doux de fin d’après-midi, à discuter doucement pendant que les enfants couraient autour d’eux, insouciants.
Une paix suspendue dans un jardin qui ne savait rien des ténèbres de la veille.
●
Mercredi
Amaya se leva tôt ce matin-là. Après une douche rapide, elle enfila un pantalon en lin beige, un chemisier blanc en soie et attacha ses cheveux en un chignon bas, laissant deux mèches encadrer son visage. Elle attrapa ses lunettes de soleil, son sac structuré et sortit de chez elle.
Avant de rejoindre son cabinet, elle passa par sa petite boulangerie préférée. L’odeur du pain chaud et des viennoiseries beurrées emplit l’air. Elle choisit un croissant aux amandes, un pain aux olives et un cappuccino. Quelques regards se tournèrent vers elle, mais elle n’y prêta pas attention. Elle souriait à peine, concentrée.
Une fois arrivée à Donna Libera, son cabinet au troisième étage d’un immeuble discret mais élégant, elle déposa son sac, ouvrit les fenêtres et s’installa dans son fauteuil avec son café et ses viennoiseries. Elle consulta rapidement son agenda. Première cliente du jour : Chiara Montanari.
À 9h tapantes, on frappa à la porte.
Chiara entra, les gestes tendus. Elle portait un trench crème fermé jusqu’au cou malgré la chaleur, comme si elle voulait cacher tout son corps. Ses cheveux bruns, lisses et impeccablement brushés, encadraient un visage où l’on lisait l’angoisse. Ses yeux noisette semblaient chercher une échappatoire, une sécurité.
— Bonjour, murmura-t-elle en s’asseyant, les mains crispées sur son sac Hermès.
Chiara Montanari, 31 ans. Mariée à un homme jaloux, possessif, et profondément manipulateur. Elle ne sortait que rarement seule, surveillée par des messages incessants, des appels à toute heure, des soupçons permanents. Elle avait pris rendez-vous sous un faux nom, puis avait finalement avoué la vérité à Amaya lors de leur premier entretien : elle vivait une relation psychologiquement étouffante, qui rongeait peu à peu sa liberté.
Aujourd’hui, son regard disait qu’elle hésitait encore.
Amaya referma son carnet.
— Chiara… vous avez réussi à venir seule. C’est déjà une victoire.
Chiara hocha la tête, puis ses lèvres tremblèrent.
— Je dors avec mon téléphone sous l’oreiller. Il vérifie mes appels, mes mails, même mes sous-vêtements. Il dit que c’est de l’amour… mais je crois que je deviens folle.
Amaya croisa les jambes lentement, posant ses doigts contre sa tempe.
— Vous n’êtes pas folle. Vous êtes prise au piège. Mais il existe des sorties, Chiara. Il faut qu’on les construise ensemble.
Et ainsi, la séance commença.
À suivre