Chapitre 3

1467 Words
À 20h30, la voiture attendait devant la villa. Elle y monta seule, comme une invitée. Elle croisa le regard du chauffeur dans le rétroviseur. Il détourna les yeux. Même lui sentait que ce soir, ce n’était plus la même femme qu’il emmenait. Giulia ne souriait plus. Elle se préparait. Le trajet jusqu’au Palazzo Verde, où se tenait le gala, se fit dans un silence glacial. Pas même la radio ne venait briser l’atmosphère tendue. Giulia fixait les lumières de la ville qui défilaient à travers la vitre teintée. Rome brillait. Mais elle, elle bouillait. À l’entrée, les photographes étaient déjà là. Des flashes crépitaient, des murmures accompagnaient chaque arrivée. Quand Giulia sortit de la voiture, les objectifs se braquèrent sur elle. Elle n’était pas la plus exubérante, ni la plus provocante. Mais elle dégageait une intensité nouvelle. Une élégance glacée. Presque dangereuse. Lorenzo attendait déjà à l’intérieur. Costard noir sur mesure, regard tranchant. Il parlait à deux hommes, des partenaires syriens selon les rumeurs. Il se retourna lentement en entendant son nom annoncé. Son regard se posa sur elle, s’attarda une seconde de plus que d’habitude. Il vit la robe. La posture. L’expression fermée. Il comprit. Mais il ne montra rien. — Tu es en retard, dit-il doucement en venant l’embrasser sur la joue. — Je sais. Il serra sa taille. Sa prise était ferme. Elle ne bougea pas. Ne se pencha pas contre lui comme avant. Il la regarda du coin de l’œil, mais resta impassible. Dans la salle principale, les conversations montaient en volume. Champagne, promesses, enveloppes discrètes échangées dans des poignées de main. On parlait millions, immeubles, territoires. On évoquait des noms qu’on ne devait pas écrire. Le monde de Lorenzo. Giulia se tenait à ses côtés, droite, silencieuse. Elle écoutait. Elle observait. Elle savait tout ce que ces hommes faisaient. Les disparus, les blanchiments, les “accidents” organisés. Elle avait toujours fermé les yeux. Ce soir, elle les ouvrait. À un moment, Lorenzo l’abandonna pour saluer un ministre. Elle en profita pour s’éloigner. Elle se glissa entre les tables, s’approcha du balcon qui surplombait les jardins. L’air était plus frais dehors. — Signora Giulia ? Elle se retourna. Un homme élégant, la quarantaine, brun, barbe soignée, l’observait avec curiosité. Il n’avait pas le profil des autres. Trop sobre. Trop discret. — Vous ne me connaissez pas. Je suis Matteo Falchi. Je travaille dans les infrastructures… et parfois dans les ombres de ceux qui construisent les routes. Elle haussa un sourcil. — Vous êtes ici pour Lorenzo ? — Pas seulement. Pour comprendre qui l’entoure. Et ce soir… vous m’avez intrigué. Elle ne répondit pas. Elle fixa Rome, en contrebas. — Vous n’avez pas peur de lui ? demanda-t-il après un silence. Giulia tourna lentement les yeux vers lui. — Plus maintenant. Il sourit, à peine. — Si un jour vous voulez parler… ou fuir. Je connais les passages qu’il ignore encore. Il lui tendit une carte. Elle hésita. Puis la prit. Il s’inclina légèrement et disparut dans la foule. Quand Lorenzo la rejoignit, il la trouva penchée sur la balustrade, lointaine. — Tu es venue pour jouer les statues ce soir ? lança-t-il, le ton agacé. Elle se redressa. Le regarda droit dans les yeux. — Non. Je suis venue pour dire au revoir à quelque chose. Lorenzo la fixa longuement. Il comprit qu’il n’avait plus le contrôle total. Et ça… ça ne lui plaisait pas. Le reste de la soirée se déroula sous tension. Giulia restait à ses côtés, en apparence. Le bras de Lorenzo posé sur sa hanche, son sourire d’apparat, les regards calculés autour d’eux. Mais à l’intérieur, quelque chose s’était déplacé. Définitivement. Elle observait Lorenzo comme on observe une bête magnifique mais imprévisible. Il riait, parlait chiffres, menaçait à demi-mots. Il jouait le rôle de l’homme intouchable, celui que tout le monde respecte ou craint. Mais Giulia, elle, ne tremblait plus. Pas ce soir. Il la sentit différente. Il la sentit absente. Et ça le rendait nerveux. Dans la voiture du retour, il ne parla pas. Elle non plus. Le silence n’était plus le même qu’au départ. Il était tranchant. Il transpirait la défiance. Arrivés à la villa, il descendit le premier. Elle le suivit lentement. Le claquement de ses talons sur le marbre résonnait comme un compte à rebours. Dans le grand salon, il fit volte-face. — Tu comptes continuer à faire ta reine muette encore longtemps ? Tu fais une crise parce que j’ai oublié ton anniversaire ? Ou parce que j’ai passé trop de temps avec des gens qui font bouger le pays pendant que toi tu rêves d’un autre monde ? Giulia resta droite. — Je ne rêve pas d’un autre monde. Je réalise juste que j’ai survécu dans le tien trop longtemps. Lorenzo fronça les sourcils. Un pli glacé se forma entre ses yeux. Il s’approcha, tout près. — Et tu vas faire quoi ? Me quitter ? Me menacer ? Tu penses que tu pourrais vraiment sortir de cette vie sans en payer le prix, Giulia ? Elle le fixa sans ciller. — Peut-être que je suis prête à le payer, oui. Le silence s’abattit comme une lame. Il resta là, face à elle, le souffle court. Ce n’était pas une provocation. C’était une vérité nue. Elle n’avait plus peur de lui. Et ça… c’était une menace bien plus grande que n’importe quel ennemi armé. Il recula légèrement. Un instant. Puis il rit. Un rire sec, sans joie. — Tu crois être la première à me dire ça ? — Je crois être la dernière à le penser vraiment. Elle retira ses boucles d’oreilles, les posa sur la console, l’une après l’autre. Ensuite, elle s’éloigna. Tranquillement. Sans se retourner. Elle monta les escaliers. Dans sa chambre, elle referma la porte. Lentement. Elle n’avait pas encore décidé ce qu’elle ferait. Mais elle savait une chose : Elle n’était plus à lui. Et s’il la voulait encore… il allait devoir se battre autrement. Giulia venait de passer la nuisette en soie sur sa peau encore fraîche de la douche. Elle attacha ses cheveux en un chignon flou, ajusta la fine bretelle tombée sur son épaule, puis sortit silencieusement de la chambre. Elle avait besoin de les voir. Leonardo et Sofia. Les regarder dormir. Sentir leur paix contre sa tourmente. Mais à peine eut-elle parcouru quelques mètres dans le couloir que des sons inattendus la figèrent net. Des gémissements. Clairs. Bruts. Des soupirs de plaisir étranglés, des mots murmurés, puis plus forts. Elle plissa les yeux. Ça venait d’en bas. Du salon. Ou plutôt… du bureau. Son cœur s’emballa. Non. Il n’oserait pas. Pas ici. Pas dans leur maison. Elle descendit les escaliers à toute vitesse, pieds nus, la nuisette battant contre ses cuisses. Le tapis atténuait le bruit de sa course, mais dans sa poitrine, tout hurlait. Elle arriva devant la porte du bureau, celle-là même que Lorenzo gardait toujours fermée à clé lorsqu’il y était. Mais pas ce soir. Elle tourna la poignée. Et la porte s’ouvrit. Ce qu’elle vit la cloua sur place. Lorenzo, torse nu, assis dans son fauteuil en cuir, les jambes écartées, le regard noir et brûlant. À genoux entre ses cuisses, une femme. Brune, pulpeuse, vulgaire dans une robe en dentelle rouge remontée jusqu’à la taille. Sabrina. La voix de Lorenzo claqua dans l’air, rauque et autoritaire. — Regarde-moi, s****e. Pas le sol. Moi. Sabrina releva les yeux, un sourire lascif aux lèvres. — J’adore quand tu deviens dur, Lorenzo… — Tu ne sais même pas encore ce que c’est que la vraie dureté. Continue. Il attrapa sa mâchoire, la força à ouvrir plus grand. — C’est ça. Bonne chienne. Avale tout. T’as voulu être à moi ? Tu vas apprendre ce que ça coûte. Sabrina gémissait, haletait, s’agrippait à ses cuisses. — Tu es un monstre… — Non. Ce soir, je suis ton enfer. Et tu vas supplier pour y rester. Et tu vas jouir comme si ta vie en dépendait. Il la renversa sur le bureau d’un mouvement sec, sauvage. Sa ceinture claqua dans l’air. Giulia recula d’un pas, la main sur sa bouche, pétrifiée. Le cuir, le souffle, la domination brute de Lorenzo emplissaient la pièce. Sabrina riait entre deux gémissements. — Plus fort, Lorenzo… Fais-moi mal… — Ferme-la. Tu parles quand je t’y autorise. Il la gifla doucement, presque sensuellement, puis la retourna, plaquée contre le bois du bureau. Il la possédait comme s’il voulait lui faire comprendre qu’elle ne valait rien… qu’elle n’était qu’un objet de plus à dominer. Giulia sentit ses jambes trembler. C’était ça, l’homme qu’elle aimait ? Ce n’était pas la trahison qui la brisait. C’était de comprendre que ce Lorenzo-là… n’avait jamais disparu. Qu’il était là, tapi, depuis toujours. Et qu’elle n’avait fait que détourner les yeux. À suivre
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