Chapitre 8

1498 Words
Ses pas sur le parquet étaient lourds, menaçants. Il la fixa, droit dans les yeux. — Qu’est-ce que tu faisais là, Guilia ? Elle déglutit. Rien ne sortait. Lorenzo la saisit brusquement par le poignet. Sa poigne était dure, sans ménagement. — Dis-moi. Maintenant. Guilia tenta de résister à la pression, mais il la serrait trop fort. Elle baissa les yeux. — C’est… c’est ma coach… C’est elle qui m’a demandé de le faire. Le visage de Lorenzo se déforma. — C’est qui cette p**e ? — C’est… une femme… Elle m’aide. Comme elle aide les femmes désespérées. Les femmes qui ont des problèmes. — Guilia, t’as tout ce que tu veux. T’as une vie de rêve. Elle leva les yeux vers lui. Cette fois, sa voix tremblait, mais elle était vraie. — J’ai tout… sauf toi. Un silence. Lorenzo la lâcha violemment, comme s’il venait de se brûler les doigts. Il tourna les talons, énervé. — J’veux plus jamais que tu vois ce charlatan. — Ce n’est pas un charlatan ! cria-t-elle presque. Amaya est une femme incroyable. Elle aide les autres. Elle m’aide, moi. Il se retourna une dernière fois. Un sourire méprisant au coin des lèvres. — T’es vraiment conne de croire que cette p**e peut t’aider. Puis il quitta la pièce en claquant la porte. Une demi-heure plus tard, retranchée dans la chambre, Guilia tremblait encore. Les larmes avaient séché. Elle attrapa son téléphone, les doigts glacés, et composa le numéro d’Amaya. — Il m’a surprise… J’étais dans le bureau. Il a vu le coffre. J’ai rien eu le temps de faire. Il m’a forcée à parler. Je lui ai dit que c’était toi… De l’autre côté, la voix d’Amaya resta calme, posée. — Ne baisse pas les bras. Ce n’est qu’un contretemps. On va tenter d’autres alternatives à la prochaine séance. T’es pas seule, Guilia. On va s’en sortir. Guilia ferma les yeux. Elle en avait besoin de l’entendre. Juste ça. Le soleil venait à peine de se lever sur la villa quand Lorenzo descendit, impeccable dans son costume gris anthracite. Son parfum boisé s’imposa dans l’air avant même qu’il n’entre dans la salle à manger. Les deux enfants étaient déjà là, attablés, les joues encore roses de sommeil. Leo, cheveux en bataille, mâchouillait un croissant tandis que Sofia jouait avec sa cuillère en chantonnant. Dès qu’ils virent leur père, leurs visages s’illuminèrent. — Papaaaa ! s’écria Sofia en courant vers lui. Il s’accroupit légèrement pour la prendre dans ses bras et lui déposer un b****r sur la joue, puis en fit de même avec Leo qui se jeta contre sa jambe. Guilia, debout près de la table, tenait une assiette. Elle le regarda avec un soupçon d’espoir dans les yeux. Lorenzo l’ignora complètement. Comme si elle n’existait pas. Leo leva les yeux vers lui avec un grand sourire. — Tu nous as dit qu’on irait au parc, tu te rappelles ? Lorenzo, assis à présent, attrapa sa tasse de café noir sans sucre. — J’ai pas le temps. Leo baissa les yeux, déçu. — Moi je veux y aller ! dit Sofia en fronçant les sourcils. Lorenzo leva les yeux vers elle. Elle boudait déjà, les bras croisés contre sa petite robe rose. Il soupira. Sa princesse. Il ne pouvait jamais lui dire non. — D’accord. Cet après-midi. On ira au parc. — Vraiment ?! s’écrièrent les deux en même temps. — Promis. Ils sautillaient de joie. Sofia se remit à chantonner. Lorenzo leur fit un dernier bisou, attrapa ses clés et quitta la maison sans accorder un seul regard à Guilia. Elle resta debout, les bras inertes, l’assiette encore à la main. Invisible. Elle avait l’impression d’être devenue une ombre dans sa propre maison. Dans la voiture, Lorenzo se cala contre le cuir de l’Aston Martin DBX. Il observait la route à travers les vitres teintées. Le silence régnait, jusqu’à ce qu’il brise sèchement l’ambiance. — Fais-moi une recherche. Le chauffeur, Raoul, son bras droit depuis des années, jeta un œil dans le rétro. — À propos de quoi, monsieur ? — Une coach. Celle que ma femme voit. Je veux savoir qui c’est, ce qu’elle fait, tout. Nom, adresses, clients, casiers… Ce que tu peux trouver. J’veux tout savoir avant ce soir. — Très bien. Je vais passer un coup de fil à notre contact chez la cybersécurité. On aura ça vite. Lorenzo acquiesça, le regard fixé sur la route. — Je veux savoir à qui elle confie sa tête. Puis il ne dit plus un mot, les yeux rivés sur l’horizon, comme s’il traçait déjà la suite dans sa tête. Le bureau de Lorenzo baignait dans une lumière blanche, froide, tranchante. L'homme était concentré sur des documents lorsqu’un léger coup sur la porte interrompit son silence. — Entrez, lança-t-il sans lever les yeux. Sa secrétaire entra, talons nets sur le sol marbré, un carnet à la main. — Monsieur, votre associé M. Ferretti a demandé à vous voir cet après-midi. Vers seize heures. Il insiste, apparemment c’est urgent. Lorenzo soupira, s’appuya contre le dossier de son fauteuil. — J’avais prévu de sortir avec mes enfants. Elle hocha la tête, prête à annuler. — Je le fais décaler ? Il resta silencieux quelques secondes, puis releva la tête. — Non. Ne décalez rien. Dites-lui que je serai là. La secrétaire opina avant de tourner les talons. Mais avant qu’elle n’atteigne la porte, il ajouta : — Annule pas. Mais ne prévois rien d’autre après. Je veux être libre ensuite. Dès qu’elle fut sortie, Lorenzo prit son téléphone pour appeler Guilia. Il s’apprêtait à lui annoncer qu’il ne pourrait pas les rejoindre au parc. Mais son doigt s’arrêta juste avant d’appuyer sur le bouton vert. Son regard se figea. Un souvenir le frappa. Ce que Guilia avait dit la veille… "C’est ma coach qui m’a demandé de faire ça." Il reposa le téléphone, ouvrit son ordinateur portable. Il tapa : "Amaya coach" Le moteur de recherche afficha une liste dense de résultats : forums, blogs, publications de femmes anonymes, quelques articles. Aucune photo claire d’elle. Pas de visage associé à ce nom. Juste un prénom. Amaya. Ce qui frappa Lorenzo, ce furent les témoignages. Une avalanche de phrases de femmes. Des femmes mariées, battues, oubliées, méprisées, détruites. Certaines racontaient comment Amaya les avait aidées à se relever, à se reconstruire, à s’aimer de nouveau. À se défendre. Il fronça les sourcils. Une citation attira son regard. « L’amour n’est pas un piège. Mais parfois, celui qui prétend aimer construit une cage. » Une autre : « Il y a des hommes qui offrent des bijoux et des voitures. Et il y a ceux qui offrent le silence, la peur, et la solitude. Ne confondez pas. » Une autre encore : « Un père qui est toujours absent devient un fantôme. Même si l’enfant sourit, il n’oubliera pas. » Lorenzo se recula légèrement, les doigts toujours sur le clavier. Il ne comprenait pas pourquoi ça l’atteignait. Il n’avait pas ouvert cette page pour être ému. Il voulait des réponses. Des faits. Il voulait savoir qui était cette femme. Ce qu’elle voulait. Ce qu’elle cherchait à faire. Pas lire des phrases de psychologie à deux dirhams. Mais voilà. Ça l’avait touché. Il regarda l’horloge. L’heure du rendez-vous approchait. Et pourtant, il ferma son ordinateur sans réfléchir davantage. Il irait au parc. Il ne raterait pas cette sortie. Pas parce qu’il voulait passer du temps avec ses enfants. Mais parce que cette femme, Amaya, venait de franchir une limite. Si Guilia avait eu l’audace de chercher un code. De fouiller dans son bureau. De croire qu’elle avait ce droit. C’est qu’Amaya n’était pas une simple coach. Elle était un danger. Et tout danger devait être écarté. Il se leva, ajusta sa veste, et dit à voix basse en quittant son bureau : Je vais la retrouver… cette p**e. L’après-midi passa à une vitesse surprenante. Le soleil déclinait doucement sur le parc, caressant les feuilles des arbres d’une lumière dorée. Lorenzo, lunettes de soleil sur le nez, suivait du regard ses enfants qui couraient entre les jeux. Deux agents de sécurité surveillaient discrètement les alentours, pendant que la nounou tenait les sacs. Et Guilia, en retrait sur un banc, observait la scène, silencieuse. Il ne lui avait toujours pas adressé un mot. Pas même un regard. Pourtant, il riait avec Sofia, poussait Leo sur la balançoire, les prenait en photo avec son téléphone. C’était rare de le voir aussi présent. Rare au point que même Guilia, malgré la tension, se sentit émue. Elle n’était plus habituée à cette version de lui. Ni les enfants. Leo grimpa sur ses genoux pour lui montrer un dessin qu’il avait fait avec un bâton dans la terre. Sofia demanda une glace. Il leur céda tout, comme s’il rattrapait une éternité. Guilia, à quelques mètres, se tenait droite, les mains croisées sur ses genoux, l’impression d’être une étrangère dans une scène familiale dont elle était censée faire partie. A suivre
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