Guilia se tordit les doigts nerveusement. Sa voix tremblait.
- Ces derniers jours... Lorenzo a changé. Il m'a dit qu'il voulait divorcer.
Amaya releva les yeux, choquée. Elle ne dit rien, son souffle se bloqua dans sa gorge.
- Il y a une semaine, reprit Guilia en essuyant ses joues, il a passé du temps avec les enfants. Il les a emmenés au parc. On aurait dit... un père normal. J'étais tellement heureuse. Je me suis dit : peut-être qu'il revient, qu'il comprend enfin.
Sa lèvre inférieure trembla.
- Et ce même jour... il est allé voir sa p**e. Je le sais. Je le sens. Je l'ai senti. Je le connais. Il a ce regard, ce parfum qui ne vient pas de moi, ce silence bizarre. Je suis sûre que c'est ce jour-là qu'il est allé la voir. Et je sais que c'est pour elle qu'il veut divorcer.
Elle se redressa légèrement, la voix plus dure.
- Cette fille... cette Sabrina. Je suis sûre que c'est elle. Une fille qu'il a connue il y a quelques mois. Elle est revenue dans sa vie. Il nie, évidemment. Mais je le connais. Il ment comme il respire.
Amaya avait le cœur au bord des lèvres. Une boule dans la gorge. Ce fameux jour... c'était elle. Pas Sabrina. Elle. Mais Guilia ignorait tout, et continuait à déverser son désespoir.
- Je veux pas divorcer, Amaya. Je veux pas que mes enfants vivent sans leur père. Je veux pas qu'une autre élève mes fils. Aide-moi. Dis-moi quoi faire. Je suis en train de m'effondrer.
Amaya baissa les yeux. Elle n'était pas seulement bouleversée. Elle était dégoûtée. De lui. De ce qu'il avait osé lui faire croire. De ce qu'elle avait ressenti. Elle inspira doucement, essayant de garder contenance.
- Calme-toi, Guilia. D'accord ? On va en parler. Je suis là.
Mais en elle, tout se fissurait.
Guilia inspira profondément, les yeux encore humides.
- Je veux que tu lui parles, Amaya. Que tu lui parles à lui. Que tu le conseilles.
Amaya releva la tête, figée. Elle cligna des yeux, incapable de répondre tout de suite.
- Pardon ?...
- Tu entends très bien. Tu es coach. Tu m'as aidée. Tu peux aussi l'aider, lui. Il est paumé, Lorenzo. Il comprend rien aux femmes, rien à la famille. Il a besoin qu'on lui parle.
Amaya secoua doucement la tête.
- Guilia... C'est pas une bonne idée.
- Si, justement. C'est la meilleure chose à faire. Il t'écoutera, toi. Il me prend pour une folle, une jalouse. Toi, t'as les mots.
Amaya se crispa sur l'accoudoir de son fauteuil.
- Non, Guilia. Il m'écoutera pas. Et même si c'était le cas, ça ne servirait à rien. Il a déjà pris sa décision.
- Tu n'en sais rien ! répliqua Guilia, la voix pleine d'espoir. Tu viens à la maison. Quand les enfants seront là. Comme ça, il pourra pas fuir la discussion. Il devra t'écouter.
- Non. Ce soir je suis... occupée, répondit Amaya, mal à l'aise.
- Tu veux pas m'aider. C'est ça ?
La phrase fusa comme une gifle. Amaya ravala sa salive.
- Bien sûr que je veux t'aider...
- Alors viens. Tu parles avec lui. Tu verras. Ça changera peut-être quelque chose. Moi je dors plus, je mange plus. Toi tu peux parler calmement avec lui. Juste une discussion. C'est tout ce que je te demande.
Amaya resta silencieuse un instant. Tout son être criait non. Mais face à cette femme effondrée, qui croyait encore en elle, elle finit par céder.
- D'accord. J'irai.
Guilia hocha la tête, soulagée. Elle se leva, remit son manteau, ramassa son sac.
- Merci, Amaya. Je vais rentrer, alors. Prépare-toi à 20h.
Elle lui adressa un dernier regard. Amaya ne répondit rien. Elle regarda Guilia franchir la porte, puis elle resta seule, figée dans son fauteuil, le cœur au bord du chaos.
Amaya n’était pas enthousiaste. Elle aurait préféré se cacher sous ses draps, couper son téléphone à nouveau, et prétendre que cette histoire n’avait jamais existé. Mais elle n’avait pas eu le choix. Guilia l’avait pressée, implorée, et quelque part… elle s’en voulait trop pour dire non.
Elle rentra chez elle, se changea, attacha ses cheveux, puis se maquilla légèrement, comme pour se créer un masque. À 20h tapantes, elle était déjà devant le manoir des Moretti. Guilia lui avait envoyé l’adresse. Un immense portail noir, des colonnes majestueuses, une bâtisse qui semblait tout droit sortie d’un film.
Amaya coupa le moteur de sa voiture, mais ne bougea pas. Elle resta là, immobile, les mains posées sur le volant.
Son cœur battait vite. Trop vite.
Elle allait faire face à cet homme. Cet homme qu’elle avait laissé la toucher. Qu’elle avait embrassé. Avec qui elle avait b****r.
Elle ferma les yeux.
Cet homme qui était marié.
Cet homme qui appartenait à une autre.
Cet homme qui faisait trembler les gens par un seul regard. Qui gérait des affaires sombres, qui tuait sans cligner des yeux.
Un mafieux. Un vrai. Et pourtant, elle l’avait laissé entrer dans sa peau, dans sa tête, dans son corps.
Elle inspira profondément. Une fois. Deux fois.
— T’es pas une idiote, murmura-t-elle pour elle-même. T’es forte. T’as géré pire.
Mais ce soir, ce n’était pas une cliente en détresse qu’elle allait aider. C’était un couple brisé. Un homme dangereux. Une femme blessée. Et elle, elle était plantée entre eux, dans un rôle qui lui échappait totalement.
Elle ouvrit enfin la portière, referma doucement derrière elle, puis avança vers la grille. Au fond d’elle, une voix ne cessait de chuchoter que rien ne serait simple ce soir.
Amaya descendit de sa voiture, l’air calme en apparence, mais le cœur battant sous sa veste. Elle s’approcha de la porte d’entrée. À peine eut-elle frappé qu’une gouvernante, droite et silencieuse, lui ouvrit et s’écarta pour la laisser passer.
L’intérieur du manoir était grand, sobre et luxueux. Des éclats de voix résonnaient depuis la salle à manger, tout près du hall. Les enfants couraient dans le couloir, riant, se poursuivant sans se soucier de la tension ambiante.
— À table ! cria Guilia depuis l’intérieur. Je compte jusqu’à trois !
Amaya suivit la gouvernante à travers le hall, les talons à peine audibles sur le marbre. Et soudain, son regard se posa sur lui.
Lorenzo.
Assis à la table, penché sur son téléphone, les sourcils légèrement froncés.
Il leva la tête en entendant les pas. Guilia s'était déjà levée pour accueillir Amaya avec un sourire légèrement forcé.
— Ah, tu es là. Entre, fais comme chez toi.
Amaya hocha la tête, fit un pas, sans pouvoir éviter le regard de Lorenzo.
Il la fixait. Pas avec tendresse. Pas avec hostilité non plus. Juste… froid. Calculateur. Comme s’il observait un pion qui venait d’être déplacé.
— Lorenzo, je te présente Amaya. Ma coach. Enfin, tu sais, celle dont je t’ai parlé.
Il ne répondit pas tout de suite. Il la dévisagea. Longuement. Puis, d’une voix basse, il demanda :
— C’est quoi ça encore ?
— Je l’ai invitée à dîner, répondit Guilia simplement.
Un silence lourd tomba.
Les enfants chahutaient encore dans le couloir, insouciants. Le cliquetis des couverts sur la table couvrait à peine la tension.
Amaya serra ses doigts contre la hanse de son sac. Lorenzo ne l’avait pas saluée. Pas un mot, pas un sourire. Juste ce regard dur, presque vide. Comme s’il ne s’était jamais passé quoi que ce soit entre eux. Comme si elle n’était rien.
Et peut-être qu’elle ne l’était, en effet, pour lui. Juste un corps. Une diversion. Une faiblesse qu’il avait maîtrisée avant de reprendre son trône de glace.
Guilia fit signe à Amaya de s’asseoir.
— Je vais dire aux enfants de se laver les mains, dit-elle. On va passer à table.
Elle disparut un instant.
Et Amaya, seule dans la pièce avec Lorenzo, sentit à nouveau cette boule dans sa gorge.
Il reposa son téléphone. Croisa les bras. Et la regarda droit dans les yeux.
— T’es venue jouer à la psychologue ou à autre chose ?
Sa voix était lente, menaçante.
Amaya soutint son regard.
— Je suis venue parce que ta femme me l’a demandé.
Lorenzo la fixa encore. Puis, un léger sourire moqueur effleura ses lèvres.
— Intéressant. Très intéressant.
Guilia revint, suivie des enfants qui avaient enfin calmé leur excitation. Ils s’installèrent en bout de table, discutant entre eux comme si rien ne se passait, comme si l’air n’était pas si lourd qu’on aurait pu le couper au couteau.
Amaya s’assit en face de Lorenzo, légèrement en biais. Elle évitait de le regarder trop longtemps, mais son regard revenait toujours, attiré malgré elle par cet homme qui la rendait à la fois honteuse et brûlante. Lorenzo, lui, mangeait calmement, silencieusement, son regard ne quittant quasiment jamais son assiette… sauf quand il levait les yeux pour la fixer brièvement, de manière presque imperceptible pour les autres.
A suivre