Chapitre 4

1473 Words
Giulia ne remonta pas. Elle ne pouvait pas. Pas après ce qu’elle venait de voir. Pas après ce que ses murs avaient entendu. Elle poussa violemment la porte du bureau, la fit claquer contre le mur, faisant sursauter Sabrina qui se cambrait encore sous les assauts de Lorenzo. — T’es complètement malade ?! hurla-t-elle, la voix brisée par la fureur. Lorenzo releva lentement la tête. Son regard, dur comme l’acier, croisa celui de Giulia sans une once de honte. — Barre-toi, Giulia. Dégage d’ici. Mais il ne s’arrêta pas. Il continuait, comme si ses mots suffisaient à effacer l’indignité, comme s’il était chez lui, au-dessus de toute loi. — Tu fais ça ici ? Dans cette maison ? Là où dorment nos enfants ?! Elle s’approcha, tremblante de rage, et attrapa Sabrina par les cheveux, la traînant loin de Lorenzo, la jetant contre l’un des fauteuils. — Espèce de g***e ! hurla-t-elle. De p**e ! — Giulia ! cria Lorenzo en se redressant, le pantalon à moitié remonté. Arrête tes conneries maintenant ! — Mes conneries ?! Tu oses ?! Tu b****s une traînée alors que nos enfants dorment juste à l’étage ?! Lorenzo boutonnait sa chemise à la hâte, la mâchoire contractée. Sabrina se redressa, un sourire moqueur aux lèvres, en réajustant sa robe. — Peut-être que si tu le baisais bien, ton mari n’aurait pas eu besoin de venir me voir. Le sang de Giulia ne fit qu’un tour. Elle se jeta sur elle avec une violence qu’elle ne soupçonnait pas. Ses mains frappèrent, griffèrent, son poing atterrit sur la joue parfaite de Sabrina. Cette dernière hurla, se protégea tant bien que mal. Lorenzo intervint, les séparant brutalement. — Ça suffit ! hurla-t-il. Sa main claqua contre la joue de Giulia. Un silence glacé s’abattit. Elle recula, les yeux grands ouverts. Une larme coula. Elle porta la main à sa joue, lentement, comme si elle ne croyait pas ce qui venait de se passer. Sabrina essuyait le sang à sa lèvre en ricanant. Lorenzo restait là, entre elles, tendu, les poings serrés. Giulia ne dit plus un mot. Elle monta l’escalier, les jambes cotonneuses. Une fois dans la chambre, elle verrouilla la porte, s’écroula au sol, le dos contre le bois, et éclata en sanglots. Ses mains tremblaient, sa poitrine se soulevait par saccades. Elle n’arrivait plus à respirer. Tout tournait. Ce n’était plus une trahison. C’était une guerre. Et elle venait de perdre la première bataille. Un quart d’heure passa. Peut-être plus. Peut-être moins. Giulia n’aurait su dire. Le temps s’était dissout dans le silence lourd de la pièce, seulement rythmé par ses sanglots étouffés. Ses jambes repliées contre sa poitrine, elle restait là, figée, à même le sol, comme une ombre oubliée. Dans sa tête, les images tournaient en boucle. Les gémissements. Le regard de Lorenzo. Froid. Distant. Dominant. Et cette gifle… cette claque qui résonnait encore, comme un écho dans ses os. Elle entendit des bruits de pas, en bas. Des voix. Lorenzo parlait à quelqu’un. Sabrina, sans doute. La voix de cette dernière portait encore une arrogance malsaine. Elle riait. Comme si rien n’était grave. Comme si tout cela était un jeu. Giulia se redressa lentement. Elle se sentait vide. Mais dans cette vacuité, une colère s’installait. Une colère glaciale, différente de celle de tout à l’heure. Ce n’était plus une explosion. C’était un incendie lent, méthodique, silencieux. Elle se leva. Elle ouvrit l’armoire, chercha un pantalon fluide, un t-shirt ample. Elle n’avait pas besoin d’être belle. Elle avait besoin d’être lucide. Elle attrapa son sac, y glissa son portefeuille, ses papiers, les carnets de santé des enfants. Puis elle s’approcha du miroir. La trace rouge sur sa joue était encore visible. Elle ne la couvrit pas. Elle la regarda. Longtemps. Dans le couloir, elle entendit les pas de Lorenzo monter. Il arrivait. Elle se tourna vers la porte. Trois coups. — Giulia, ouvre. Sa voix. Autoritaire. Comme toujours. Comme s’il suffisait de parler pour avoir le contrôle. — Giulia. Elle ne répondit pas. Il tenta la poignée. — Ouvre. Tout de suite. Elle s’approcha, lentement, et déverrouilla. Puis elle ouvrit. Lorenzo était là. Bras croisés. Toujours imposant. Toujours sûr de lui. Mais dans ses yeux, un éclat plus dur que d’ordinaire. Pas de honte. Pas d’excuse. Juste cette lassitude arrogante, celle d’un homme qui se croit toujours dans son droit. — Tu comptes faire quoi, là ? Me faire un scandale devant les gosses ? Tu veux les réveiller pour ça ? Elle le fixa. Droite. Implacable. — Je prends mes enfants et je pars. — N’y pense même pas, souffla-t-il. Tu ne pars nulle part avec mes gosses. — Nos enfants, rectifia-t-elle froidement. Et si tu crois que je vais rester ici à regarder ton cirque et tes putes défiler dans mon salon, tu me connais mal. Il s’approcha. Trop près. Elle sentit son souffle. — Je t’ai dit de te calmer. C’est moi qui décide ici, Giulia. T’as oublié ça ? Elle ne recula pas. — Tu peux dominer tout ce que tu veux, Lorenzo. Ton business, tes chiens, tes putes… Mais plus moi. Il plissa les yeux. — C’est une menace ? — Non. C’est une promesse. Elle claqua la porte au nez, prit une grande inspiration. Puis elle s’approcha du lit de Leonardo. Il dormait encore. Paisible. Trop jeune pour comprendre. Trop fragile pour être mêlé à ça. Elle caressa sa joue. Puis alla chercher Sofia dans sa chambre. La petite se réveilla en frottant ses yeux. — Mamma ? Qu’est-ce qu’il se passe ? — On va chez Nonna pour quelques jours, répondit-elle doucement. — Et papa ? Elle sourit. Un sourire triste, mais stable. — Papa a besoin de réfléchir. Puis elle referma les valises. Et sans un mot de plus, descendit l’escalier. Sabrina n’était plus là. Mais l’odeur de son parfum flottait encore dans l’air. Giulia laissa un mot sur la console. Trois phrases. Brèves. Tu as tout détruit. Mais tu ne me détruiras pas. Pas cette fois. Et elle franchit la porte. Sans se retourner. La chaleur matinale effleura son visage quand elle sortit. Le ciel était clair, presque ironique dans sa sérénité. Giulia tenait Sofia par la main, Leonardo marchait à côté, encore ensommeillé, traînant son petit sac à roulettes. Elle appela rapidement le chauffeur. Pas celui de Lorenzo un autre, plus discret, un homme à qui elle avait déjà demandé de "l’aider si un jour elle devait partir sans prévenir". Il arriva en moins de dix minutes. Aucun mot ne fut échangé. Il vit son visage, les enfants, les valises. Il comprit. Pendant le trajet vers la maison de sa mère, Giulia resta silencieuse. Sofia fredonnait, insouciante. Leonardo regardait par la fenêtre. Elle, elle ruminait. Pas la douleur. Pas encore. Elle ruminait la stratégie. Sa mère, Graziella, ouvrit la porte à peine la voiture arrêtée. Elle portait un peignoir épais, les cheveux relevés en chignon lâche. Elle comprit en un regard. Giulia n’eut pas besoin de parler. — Montez, les enfants. Allez dans la chambre bleue, dit-elle doucement. Elle attendit que les petits soient hors de portée, puis prit sa fille dans les bras. Longtemps. Elle sentit les épaules de Giulia se relâcher, légèrement. Puis se raidir à nouveau. — Il t’a touchée ? demanda-t-elle. Giulia hocha la tête, une fois. Graziella recula légèrement, examina la trace rouge sur la joue de sa fille, ses yeux gonflés, sa posture droite. — Et maintenant ? — Maintenant je réfléchis. Je ne veux pas fuir. Je veux reprendre le contrôle. C’est pas une crise. C’est une guerre. Sa mère acquiesça. Lentement. — Alors dors un peu. Mange. Et demain, tu commences. Giulia n’avait pas dormi, pas vraiment, mais cette nuit-là, dans la maison de son enfance, elle sombra dans un sommeil lourd. Pas paisible. Mais nécessaire. Quelques heures plus tard, alors que le calme était revenu dans la maison, le grincement des freins d’une voiture se fit entendre devant le portail. Graziella releva la tête. Giulia, elle, ne bougea pas tout de suite. Une boule s’était formée dans son ventre. Quelque chose ne tournait pas rond. Le téléphone vibra. Un message, simplement : « De la part de ton mari. Ouvre. » Elle descendit lentement. Le chauffeur attendait, debout, le regard fuyant. Il portait une boîte noire, lourde, scellée. Sans un mot, il la tendit à Giulia. Elle l’attrapa, tremblante, referma la porte aussitôt. Elle déposa le colis sur la table de la cuisine. Graziella l’avait suivie. — Giulia ? Qu’est-ce que c’est ? Mais elle ne répondit pas. Elle ouvrit. L’odeur la frappa en premier. Puis la vue. La tête de Matteo Flachi. Les yeux ouverts. La bouche entrouverte. Encore empreints de la dernière peur. Un mot, glissé contre la joue tranchée : « Rentre à la maison. Ou la prochaine sera ta mère. » À suivre
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