Chapitre 4

1444 Words
Il remercia rapidement son interlocuteur, puis raccrocha, les yeux fixés sur l'horizon. Il resta quelques secondes là, à savourer l'instant, puis rentra. Il s'arrêta net à l'entrée du salon, ses yeux balayant la pièce. Il souriait largement. Ce sourire, presque trop grand pour être innocent, attira l'attention de Sadid. - Qu'est-ce qu'il y a, Kadir ? demanda-t-il en fronçant légèrement les sourcils. Tous les regards se tournèrent vers lui. Sa mère se redressa un peu. - Tu as l'air heureux, toi. Kadir s'avança dans la pièce, toujours souriant. - Mon patron vient de m'appeler. Faizah perdit aussitôt son sourire. Son regard se posa brièvement sur Jaanah, dont le visage s'était figé. - Je pars en mission. Une longue mission. On va faire plusieurs pays. C'est une grosse opération. Et très bien payée. Il y eut un silence. La mère de Kadir fut la première à réagir. Elle se leva, s'approcha et posa une main sur le bras de son fils. Quand chacun regagna sa chambre, Jaanah resta silencieuse, assise au bord du lit, les yeux dans le vide. Kadir la regarda, surpris par son calme inhabituel. - Tu es comme ça à cause du voyage ? demanda-t-il en s'approchant. Elle hocha la tête doucement. - On vient juste de se marier... Kadir garda son sourire, toujours aussi enthousiaste. - Ça va bien se passer, tu verras. J'suis déjà parti onze mois une fois, et j'suis revenu entier. - Oui, mais moi je vais me sentir seule... Et si jamais il t'arrivait quelque chose ? Il la prit dans ses bras, posa sa main sur sa nuque, puis déposa un b****r sur son front. - Arrête de penser à ça, hein... Je vais revenir. Promis. Jaanah ne répondit pas. Elle se laissa faire, mais rien dans ses gestes ne trahissait une vraie paix intérieure. Le jour du départ arriva. La veille, leur mère avait tout supervisé, y compris un bain de protection pour Kadir, qu'il prit sans discuter, respectant les habitudes familiales. Ce matin-là, la cour des Naser était remplie. Beaucoup de villageois étaient venus saluer les voyageurs. Sadid avait aussi préparé ses bagages : il devait se rendre en ville pour quelques jours, pour une mission confiée par son propre supérieur. Puisque l'entreprise qui employait Kadir s'y trouvait aussi, ils iraient ensemble. Leur mère les bénit avec émotion, la voix tremblante malgré son maintien digne. Faizah embrassa longuement Sadid avant de lui glisser à l'oreille : - Reviens vite. Sadid lui adressa un sourire discret. Kadir, lui, rayonnait. L'excitation du départ l'aveuglait. Il se contenta d'embrasser la joue de Jaanah, sans remarquer l'humidité dans ses yeux ni la raideur de son corps. Il était déjà ailleurs, dans ses plans, ses projets. Les deux frères montèrent dans un camion bâché qui devait les conduire jusqu'en ville, avec d'autres transporteurs. Les moteurs rugirent. Les adieux furent courts. Jaanah resta debout, figée, regardant la silhouette de Kadir disparaître au loin. Et dès que le véhicule fut hors de vue, elle tourna les talons, courut jusqu'à leur chambre et s'effondra en larmes sur le lit encore défait. Quelques minutes plus tard, sa belle-mère entra sans frapper. Elle s'assit près d'elle, lui caressa les cheveux avec douceur. - Ma fille... il va revenir. Tu verras. Il est solide, Kadir. Ne pleure pas trop. Jaanah, le visage mouillé, ne répondit rien. Mais au fond d'elle, un mauvais pressentiment refusait de la quitter. La route jusqu'à la ville fut longue, poussiéreuse, secouée de cahots. À l'arrière du camion bâché, Sadid restait silencieux, les bras croisés, concentré sur ses pensées. Kadir, lui, parlait avec les autres passagers, riant fort, comme si tout ce qui comptait désormais, c'était cette mission et l'argent qu'elle allait rapporter. Lorsqu'ils arrivèrent à la périphérie de la grande ville, l'ambiance changea. Bruits, klaxons, chaleur étouffante. Les bâtiments s'alignaient comme des murailles de béton. Sadid descendit le premier, saisit ses affaires. Il salua Kadir brièvement. - Reste concentré. Et surtout, reste prudent. - T'inquiète, grand frère. On va gérer ça comme des pros. Ils se serrèrent la main, puis prirent chacun une direction. Sadid devait se rendre dans la résidence temporaire réservée par l'entreprise. Kadir, lui, fut accueilli par un superviseur qui lui remit les consignes de départ. Le chargement se ferait dès le lendemain à l'aube, et les chauffeurs dormiraient sur place. Pendant que Sadid s'installait dans une villa calme en périphérie, Kadir rejoignait les autres transporteurs dans un bâtiment de transit aménagé pour l'occasion. Il découvrit sa chambre étroite, un lit simple, une armoire, un ventilateur grésillant au plafond. Il s'en contenta. L'important, c'était ce qui allait venir : les trajets, les devises étrangères, les primes à chaque frontière franchie. Il prit son téléphone, hésita à appeler Jaanah... puis le rangea. De son côté, Sadid, installé dans le confort, posa sa mallette sur le bureau, ouvrit son ordinateur et commença à organiser les documents qu'il devait présenter le lendemain. Il s'autorisa une pensée pour Faizah. Et pour Jaanah aussi, qu'il savait certainement bouleversée. Mais comme toujours, il referma tout en lui. Il n'était pas l'homme des états d'âme. Juste des responsabilités. Le départ avait laissé un vide. Un silence nouveau. Un silence qui ne ressemblait pas à la tranquillité... mais à l'abandon. Jaanah n'était pas sortie de sa chambre de toute la matinée. Elle s'était allongée sur le lit, les yeux ouverts, fixant le plafond sans vraiment le voir. Les dernières paroles de Kadir résonnaient dans sa tête, mêlées à son sourire insouciant et à son b****r furtif sur la joue. Tout était allé trop vite. Sa belle-mère vint frapper doucement à sa porte. Elle entra sans attendre de réponse et trouva Jaanah, le regard perdu, les mains croisées sur le ventre. - Ma fille, tu ne peux pas rester comme ça toute la journée. Viens. Mange un peu. Jaanah se leva sans discuter. Elle n'en avait pas envie, mais elle n'avait plus la force de résister. Elles partagèrent un repas simple, sans appétit, dans une cuisine que l'absence masculine rendait soudain trop grande. Faizah, elle aussi, paraissait un peu absente. Elle s'efforçait de sourire, mais ses mains tremblaient légèrement quand elle servait le thé. À un moment, leurs regards se croisèrent. Aucune des deux ne parla, mais elles comprirent. Une forme de solidarité silencieuse venait de naître. Dans l'après-midi, Jaanah sortit prendre un peu l'air. Elle marcha jusqu'au bord du fleuve, s'assit sur la pierre où elle venait souvent avec Kadir. L'eau brillait sous le soleil, mais elle n'arrivait pas à se sentir apaisée. Les enfants du village passaient en courant derrière elle, riant, jouant, lançant des cailloux dans l'eau. Mais pour elle, tout semblait figé. Le soir venu, elle retourna à la maison, aida Faizah à préparer le dîner, mais resta en retrait pendant le repas. Sa belle-mère lui lança quelques regards discrets, soucieuse. Faizah posa la main sur son bras quand elle débarrassa la table. - Il faut qu'on reste fortes. Toi et moi. Ils finiront par revenir vite. Jaanah hocha la tête, mais son cœur, lui, battait lentement, lourdement, comme s'il attendait déjà la fin d'une promesse. Tu as tout à fait raison, et je m'excuse pour l'erreur. Sadid est parti en mission en ville, tandis que Kadir est parti avec les autres chauffeurs pour traverser plusieurs pays avec les marchandises. Ce sont deux trajets et missions totalement différents. Je vais corriger ça. Trois jours avaient passé. Trois jours sans nouvelles. Pas un message. Pas un appel. Rien. Jaanah ne disait rien, mais son visage parlait à sa place. Même Faizah, qui essayait de garder la tête haute, commençait à surveiller son téléphone plus souvent qu'à son habitude. Ce soir-là, Jaanah s'était installée près de la fenêtre de sa chambre, un pagne sur les épaules. Il pleuvait doucement. Le son de la pluie était presque apaisant. Puis... le téléphone vibra. Elle le saisit aussitôt. C'était Kadir. - Allô ? - Mon amour... tu m'as manqué. La voix chaude de son mari la traversa de part en part. Un sanglot silencieux lui monta à la gorge, mais elle le retint. - Tu vas bien ? Tu es où ? Pourquoi tu n'as pas appelé ? - On est arrivé dans une région reculée, je n'avais aucun réseau. Là on vient de s'arrêter dans un petit village pour dormir. Je voulais t'appeler depuis le premier jour. Tu vas bien, toi ? - Non. Tu me manques. Je n'arrive pas à dormir la nuit. - Je sais, Jaanah. Moi aussi tu me manques. Mais c'est une belle mission. On va passer dans plusieurs pays, ça va me rapporter beaucoup. Et quand je rentre, je vais t'emmener en ville, t'acheter tout ce que tu veux. À suivre
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