X

624 Words
XÀ peine était-il rentré dans la ville, une foule innombrable d’artisans se présenta à son seuil. Ils avaient appris que les champs avaient été divisés : « Que nous reste-t-il ? Tu leur as tout donné, » dirent-ils à Merlin. Alors Merlin les fit passer les uns après les autres devant lui : « Ne me jugez pas si légèrement. Voici ce que j’ai réservé pour vous. » Puis, à mesure qu’ils défilaient, il leur remit le premier des outils de chaque profession. Aux uns, c’était la navette vagabonde ; aux autres, la lime endentelée ; à celui-ci, la vrille ou la percerette ou le maillet ; à celui-là, le rabot rongeur sur l’établi ; à d’autres, le tailloir du folliaire ou de l’imagier. Ces outils, inconnus jusqu’à ce jour, causaient une grande admiration aux assistants ; et, en même temps que Merlin les leur remettait, il leur en enseignait l’usage. Il montra de plus que, sous chacun de ces modestes outils, Viviane avait caché des trésors. Chacun était empressé de s’en servir ; car, bien que rassemblés depuis peu, le temps commençait à leur peser. Ils se mirent joyeusement au travail et oublièrent le premier mouvement d’humeur qu’ils avaient éprouvé le matin, à la nouvelle de la division des héritages. Aussi bien, dès qu’ils étaient las, Viviane essuyait leurs fronts avec un pan de son propre voile. Aucun souci n’approchait d’eux ; et, comptant sur la parole de Merlin, ils attendaient patiemment la merveille que chaque outil recélait. Alors vint un dernier artisan, les mains vides, Fantasus : « Qui es-tu ? dit Merlin. Ton état ? — Poëte, repartit Fantasus. — En es-tu sûr ? — Je le crois. — Quelle raison as-tu de le croire ? — Mes raisons, les voici : Je suis mécontent de tout ce que je vois, de tout ce que j’entends. Je maudis la cité naissante. Je ne me soucie pas de l’ancienne ; je suis mélancolique, atrabilaire. Je n’aime que ce qui n’est point. J’exècre tout ce qui existe réellement. Je me fais centre du globe (si c’est là un globe) ! Je ne m’intéresse qu’à ma propre histoire. Ne sont-ce pas les marques qui annoncent le vrai poëte ? » Merlin vit qu’il avait affaire à un cerveau plus orgueilleux encore que poétique ; il se garda pourtant de le blesser ; car il reconnut sous cet orgueil une douleur véritable. Il chercha à lui montrer que la poésie suprême est en même temps la suprême raison. « Ce qu’il nous faut, ajouta-t-il, c’est de restaurer le bon sens. Vous avez ici dans ce canton quelques idées ! mais les trois quarts sont fausses. Attachez-vous au petit nombre qui sont justes. — Mais l’avenir ? interrompit Fantasus avec exaltation. — L’avenir, répondit Merlin avec calme, je puis en parler, puisque je suis son messager. Eh bien, Fantasus, sois sûr qu’il n’arrive pas dans le monde avec tant de fracas que tu supposes. Il n’est pas toujours sur le trépied, comme tu te le figures. Il n’est pas toujours dans le buisson ardent, ni sur la montagne au milieu des éclairs. Crois-moi, mon ami ; le plus souvent, il vient sans qu’on le voie ; il se glisse, il arrive, il est là, il règne, et tout cela sans le faste et le coup de tonnerre que tu t’imagines. — Voilà quelque chose de bien misérable ! repartit Fantasus indigné. Est-ce donc là le poëte, le devin dont j’avais tant ouï parler ? Quelle pitié, grands dieux ! quel mécompte, sitôt qu’on approche des prophètes ! Et pour qui me prend-on de vouloir me ravaler à une cité pareille ? » Sur cela, il se retira plein de colère, mais personne ne le suivit.
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