VIII

529 Words
VIIIC’était peu que les vingt-cinq mille vers des Triades. Merlin, en cela, fils de son père, apprit par cœur tout Virgile, et la Sibylle ; à quoi il joignit les Pères de l’Église, dont il trouva la collection chez un ermite confesseur de sa mère, nommé Blasius ; mêlant ainsi, sans choix ni prudence, profane et sacré, païens et chrétiens, dolmens et chapelles, adorant tout, déifiant tout, mensonge et vérité. Blasius lui dit un jour, en le congédiant : « Prends garde à toi, Merlin. Le vrai Dieu te punira par le chaos. Ne fais pas, mon enfant, l’évangile de l’enfer. » On voit par là combien son éducation était déjà faussée. Et comment l’accuser ? il n’avait de guide que son instinct, outre un peu de blanche magie élémentaire. Il se gonflait d’une vaine science ; le poison ne pouvait tarder à se montrer. Ivre de tant de connaissances nouvelles, Merlin sentait s’élever en lui des pensées extraordinaires. Son cœur battait avec violence au point qu’il semblait étouffer ; son humeur devenait chagrine ; il tourmentait de ses caprices tous ceux qui l’entouraient. « C’est le génie qui l’oppresse ! » pensait sa mère. Rien ne le satisfaisait ni chez lui, ni chez les autres : « Tant mieux, se disait Merlin ; je vois bien que l’enchantement commence. » Et il fouillait de nouveau dans ses vieux livres. Un jour, son âme maladive était près d’éclater : c’était dans une lande, confinant son enclos. Les étangs laissaient entendre un sanglot par intervalle. « Le moment est venu d’exercer ma puissance ! s’écriait-il avec enthousiasme ; l’univers se tait, il attend son prophète. » Et il rassembla dans son esprit tout ce que la science lui avait enseigné. « Certes, je sens là, dans mon cœur, de quoi faire pencher un monde. Ce moment est solennel. Mon âme commande à la terre. Esprits des cieux, des bois, des eaux, des fleurs et des métaux, me reconnaissez-vous pour votre maître ? Génies qui étouffez emprisonnés dans les veines ardentes des pierreries, sylphes qui vous enivrez de rosée dans les coupes ciselées des glands, aspioles aux ailes diaphanes trempées dans l’arc-en-ciel, elfes qui dansez sur les fils tendus de la Vierge, au chant flûté du rouge-gorge et du roitelet, ondines qui vous bercez sur l’écume de la onzième vague, venez ! saluez votre roi ! c’est aujourd’hui son couronnement ! » Il n’entendit que l’écho de sa voix ; cet écho lui sembla un ricanement moqueur ! Il continua : « Quoi ! je n’aurai pas la puissance de courber un brin d’herbe sous mon intelligence ! » Et il regardait avec colère une joyeuse marguerite des prés qui souriait, quoiqu’il l’écrasât de son regard. Un ver de terre vint à passer, tout repu de limon, Merlin lui cria d’une voix de tonnerre : « Esclave ! âme d’argile, arrête-toi ! » Mais en vain ; le vermisseau se joua du grand enchanteur. On se figure aisément de quel dégoût notre héros était alors saisi pour les livres. Il les rejetait loin de lui ; il tombait dans une contemplation morne, qui chez tout autre eût pu s’appeler oisiveté.
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