IIComme des touffes de jasmins et de lilas s’agitent à la première lueur de l’aube, et qu’il en sort un parfum matinal que ne peut égaler aucune autre heure du jour, ainsi les lèvres des reines, des châtelaines et des femmes qui venaient après elles s’agitèrent en murmurant à l’approche de Merlin. L’attente, l’espoir, la curiosité coloraient des nuances rosées de l’aurore plus d’une joue virginale.
Non content de ce qu’il venait de faire, Merlin prit une coupe, pleine d’un breuvage qu’il avait préparé de ses mains avec des touffes d’herbe d’or.
« Tenez, dit-il, ô femmes, voici un breuvage d’amour. Quiconque en boira vous aimera jusqu’à mourir. Ce n’est plus la coupe usée de la vieille déesse. C’est un charme nouveau, inconnu, cuisant, plein de songes et de tristesses divines, qui tient le cœur dans les nues et fait pâlir le visage sous les larmes aveuglantes. Le monde n’a rien vu de semblable.
— Goûtez-le d’abord vous-même, » répondit Yseult la blonde.
L’Enchanteur approcha le breuvage de ses lèvres ; il en but le premier à longs traits ; après lui Viviane, puis toutes celles qui lui faisaient cortège. Mais plusieurs d’entre elles, Genièvre, l’épouse d’Arthus, Blanche-Fleur, Isaure, la belle Énide, s’écrièrent d’une même voix :
« Que le goût en est amer, seigneur ! »
Se retournant alors vers la reine Genièvre, l’Enchanteur lui dit :
« Tu y gagneras une mémoire éternelle ; mais pour une qui survivra, combien seront englouties dans l’éternel silence, avec leur bien-aimé, et le lot de celles-ci ne sera pas le moins digne d’envie. »
Sur cela, il les congédia d’un sourire ; elles allèrent, de peuple en peuple, verser la coupe de l’amour nouveau sur les lèvres des hommes ; et une vague plainte, mêlée d’un vague espoir, sortait de toutes choses. Les épées tressaillaient dans la main des chevaliers. Même les hommes de pierre, dans leurs niches marbrines, se prenaient à pâlir et à pencher la tête ; chacun d’eux rêvait d’une dame de pierre sous la voûte des cieux.
Cependant les rois, les seigneurs, les chefs de clan s’étaient retirés, bannière en tête. Arthus eut la bonne grâce de jeter aux peuples une poignée ou deux de médailles à son effigie, et les peuples, en voyant défiler le cortège, se mirent à deux genoux ; ils disaient :
« Ô les bons seigneurs enchantés par Merlin ! Voyez : une étoile brille à leur front.
« Ô les bons maîtres ! qu’ils vivent de longs jours, et que les fils de nos fils leur soient soumis comme nous ! »
Tel fut le second prodige de Merlin. Les maîtres et les serviteurs, les rois et les peuples avaient les uns pour les autres une amitié semblable.