VII

776 Words
VIILe jour suivant, il se rendit avec eux à l’endroit où est aujourd’hui le Louvre. On n’entendait alors alentour ni chariots rouler, ni enclumes retentir, ni peuple gronder comme la mer. Mais les pies jasaient sur l’arbre, les loups hurlaient dans leur tanière, pendant que les loutres rôdaient dans les marais. Merlin et son cortége furent d’abord arrêtés par un troupeau d’aurochs, qui paissaient dans ce canton depuis l’origine du monde. L’enchanteur prit une verge de coudrier et dispersa les bœufs sauvages ; ceux-ci s’enfuirent en mugissant ; après quoi, il revint vers ses compagnons. « Maître, lui dirent-ils en le revoyant, faites-nous ici le plan d’une cité toute neuve. — Volontiers. — Mais que ce soit aujourd’hui, avant ce soir ; demain serait trop tard. — Quoi ! toujours si impatients ! » répondit Merlin. Cependant, s’étant baissé, il traça sur la terre le plan de la ville neuve et lui donna le nom de Paris, au lieu de celui de Lutèce qu’elle portait avant lui. De plus, il en posa les fondements, bénit la première pierre, traça les murs, dessina les portes, arrondit les bastions, baptisa les rues, choisit les pavés ; bref, il voulut en faire une cité de lumière, l’hôtellerie de l’univers. Après avoir repassé la rivière dans un batelet, comme il se frayait un sentier, non loin des Thermes, un merle siffleur, échappé des broussailles, jeta un cri. À ce cri, l’enchanteur lève les yeux ; il voit à l’entrée de la clairière une bergère qui filait sa quenouille en gardant un troupeau de moutons. Son chien au long poil était tout auprès d’elle, couché sur l’herbe neuve et lui léchait les pieds. « Qui est-elle ? demanda Merlin à celui qui se tenait le plus près de lui. — Eh quoi ! ne la connaissez-vous pas ? c’est Geneviève la bergère. » Alors Merlin s’approcha d’elle, et la vit pleurer ; car elle avait perdu dans celle même matinée deux agneaux nouveau-nés, les meilleurs du troupeau, qui s’étaient égarés dans les vignes, peut-être dans les Thermes ou dans les menus taillis dont ce lieu était alors couvert. Il l’aida premièrement à les chercher, puis il la consola par ces mots : « Geneviève, ne pleurez pas ! C’est moi qui garderai votre bergerie ; vos ouailles croîtront si bien, que le bercail ne pourra les contenir, et elles s’élanceront par-dessus la barrière que vous avez faite de roseaux. Votre troupeau remplira tout le pays d’alentour, aussi loin que vos yeux peuvent voir. Il laissera des flocons de sa toison sanglante à toutes les haies les plus lointaines, et les nations frileuses s’en feront de blanches tuniques de laine contre les hivers. « Aussi longtemps qu’il couvrira librement la campagne, les mondes s’épanouiront dans l’espérance ; par malheur, nul ne voudra suivre son guide. Mais chacun se croira le bélier à la corne d’argent, et marchera tout seul, la tête droite, dans son chemin de ronces, sans regarder en arrière si la foule le suit. Et quand votre troupeau sera lié, par le col, dans l’étable, la terre aussi sera liée dans la nuit sans aurore. La parole muette rentrera dans le cœur des hommes ; elle y amassera le poison. On n’entendra plus votre chanson dans les bois, ni votre chalumeau, mais le ricanement des boucs et des méchants. Après vous, Geneviève, viendront de durs bergers qui se serviront, non de la houlette, mais du couteau ! » En parlant ainsi, ils arrivèrent avec la bergère à l’entrée de sa cabane située sur le sommet du mont ; le toit en était couvert de chaumine et de mousses entremêlées de liserons blancs, qui retombaient sur la chétive muraille. Un peu de pain noir, du lait de brebis dans une écuelle de terre, quelques bouquets de noisettes encore attachées à la branche, des nèfles dans une corbeille faite de la moelle des joncs et du sureau, c’était là le trésor de la vierge ; elle en couvrit une natte de paille. Après avoir bu et mangé à loisir, nos hôtes se retirèrent. Comme ils étaient sur le seuil, ils se retournèrent encore une fois, et ils virent une auréole briller autour de la tête de Geneviève. Cette gloire, toujours grandissante de cercle en cercle, ceignit d’un bandeau sacré de pourpre, d’opale et d’incarnat tout l’horizon, de Meudon à Nanterre, de Nanterre à Surènes, de Surènes à Saint-Denis. Il n’y eut là personne qui n’en marquât le plus grand étonnement, à la réserve de Merlin. Pour lui, il semblait s’y complaire, comme dans une œuvre de ses mains ; il ne fit qu’en sourire. Le chien en poussa un long hurlement.
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