đŸ©” Épisode 2 — La table prĂšs de la fenĂȘtre

1263 Words
La cafĂ©tĂ©ria du lycĂ©e Lincoln ressemblait Ă  une ruche en pleine activitĂ© : des plateaux qui claquaient, des rires trop forts, le parfum du poulet frit et du cafĂ© tiĂšde dans l’air. Au fond, lĂ  oĂč les nĂ©ons clignotaient paresseusement, une table restait presque toujours vide. C’était la table de Clara. Une petite table contre la fenĂȘtre, Ă  moitiĂ© cachĂ©e par un rideau bleu dĂ©lavĂ©, avec vue directe sur le terrain de football. C’était son coin Ă  elle — tranquille, silencieux, loin des moqueries et des chuchotements. Ce jour-lĂ , comme Ă  son habitude, Clara s’était installĂ©e lĂ , seule, le regard perdu dehors, mĂąchant lentement son sandwich au beurre de cacahuĂšte. Dehors, le vent faisait voler les feuilles, et le soleil tombait juste assez pour illuminer le gazon. Le terrain des Eagles, son rĂȘve inaccessible. Puis, soudain, les conversations se figĂšrent. Les regards se tournĂšrent vers la porte d’entrĂ©e. Liam Carter venait d’entrer. Son plateau Ă  la main, il marchait d’un pas nonchalant, sourire en coin, saluant quelques Ă©lĂšves d’un signe de tĂȘte. Mais au lieu d’aller vers sa table habituelle, entourĂ©e des footballeurs, cheerleaders et fans qui gloussaient Ă  son passage, il bifurqua
 vers le fond. Vers elle. Clara leva les yeux, surprise. Et avant qu’elle ne puisse comprendre, il s’assit juste en face d’elle. Silence. Le genre de silence rare dans une cafĂ©tĂ©ria pleine. — Salut, dit-il simplement, en posant son plateau. Elle le fixa, interdite. Puis, un sourire un peu nerveux aux lĂšvres, elle rĂ©pondit : — ArrĂȘte, tout le monde te connaĂźt. Liam rit doucement. Ce rire-lĂ , un peu espiĂšgle, un peu charmeur, celui qui faisait chavirer tout le lycĂ©e. — Peut-ĂȘtre
 mais tout le monde ne t’a jamais vue sourire, rĂ©pondit-il, en plongeant son regard dans le sien. Clara sentit ses joues la brĂ»ler. — Tu
 tu ne manges pas avec ton Ă©quipe aujourd’hui ? demanda-t-elle pour dĂ©tourner la conversation. — Non, aujourd’hui j’ai dĂ©cidĂ© de manger avec toi, dit-il calmement, en ouvrant son yaourt. Elle fronça les sourcils, entre surprise et gĂȘne. — Eh bien, tu choisis un coin assez reculé  — J’aime ce calme, dit-il. Et puis, la vue est belle d’ici. Il tourna la tĂȘte vers la fenĂȘtre. — On voit le terrain. C’est un bon endroit pour rĂ©flĂ©chir. Clara hocha la tĂȘte, un peu troublĂ©e. Elle, qui croyait ĂȘtre la seule Ă  aimer cette paix-lĂ . — Et toi, tu es dans quelle classe ? demanda-t-il. — En derniĂšre annĂ©e, rĂ©pondit-elle en souriant timidement. Comme toi. — SĂ©rieux ? fit-il, surpris. Et comment se fait-il que je ne t’aie jamais vue ? — Peut-ĂȘtre parce que tu regardes toujours devant toi, jamais sur les cĂŽtĂ©s, rĂ©pondit-elle doucement. Liam Ă©clata de rire, sincĂšrement amusĂ©. Ce petit trait d’esprit, il ne s’y attendait pas. Mais la bulle Ă©clata soudain. Une voix sucrĂ©e, traĂźnante, s’approcha de leur table. — Liam ? Pourquoi tu manges tout seul ici ? demanda Emma, la capitaine des pom-pom girls. Sa queue de cheval parfaite se balançait Ă  chaque pas. Son gloss scintillait plus que le soleil Ă  travers la fenĂȘtre. Liam leva les yeux. — Je ne suis pas seul, rĂ©pondit-il en dĂ©signant Clara du menton. Je mange avec elle. Emma ne la regarda mĂȘme pas. Pas un coup d’Ɠil. Rien. Comme si Clara Ă©tait une chaise. Clara, elle, sentit son estomac se nouer. Bien sĂ»r
 Emma. La fille parfaite, celle qu’il devrait aimer, pas moi. Elle força un sourire, se leva, prit son plateau. — Bon
 bon appĂ©tit, dit-elle doucement avant de partir. Liam la suivit du regard, silencieux. Puis, sans un mot de plus, il se leva Ă  son tour et quitta la table, ignorant totalement Emma, qui resta plantĂ©e lĂ , vexĂ©e. Pourquoi il s’est assis avec la boule ? pensa-t-elle, les bras croisĂ©s. C’est quoi ce dĂ©lire ? 🏈 Quelques heures plus tard Liam rejoignit finalement l’équipe sur le terrain d’entraĂźnement. Le soleil dĂ©clinait, dorant les casques posĂ©s sur le banc. Josh, son meilleur ami, lança en riant : — Alors, Carter, c’est vrai que t’as dĂ©jeunĂ© avec Clara la Boule ? — Mec, vous feriez un couple trop mignon ! ajouta Noah, hilare. Les rires fusĂšrent. Liam roula des yeux, attrapa son ballon. — Fermez-la et mettez-vous en place. On rejoue la passe de la semaine derniĂšre, dit-il, la voix froide. Mais au fond, il n’entendait plus rien. Il revoyait juste les yeux bleus de Clara Ă  la fenĂȘtre. 🌙 Ce soir-lĂ , chez les Carter Sa chambre Ă©tait un musĂ©e de trophĂ©es et de lettres d’amour. Des dizaines d’enveloppes parfumĂ©es traĂźnaient sur son bureau. Des cadeaux, des mots doux, des peluches, des photos. Il soupira. La popularitĂ© avait ses inconvĂ©nients. Sa mĂšre frappa Ă  la porte et entra avec un grand sourire. — Alors, monsieur le cƓur brisĂ© du lycĂ©e, tu as choisi qui t’accompagnera au bal cette annĂ©e ? Liam rit. — Non, maman. J’ai
 trop de choix, justement. — Ou alors, tu n’as pas trouvĂ© celle qui te plaĂźt vraiment ? dit-elle malicieusement. — Maman, j’ai pas la tĂȘte Ă  ça. Le championnat approche. C’est tout ce qui compte. — Oh, bien sĂ»r. Le foot, toujours le foot ! soupira-t-elle. Puis, sur un ton faussement sĂ©vĂšre : — Et n’oublie pas : dĂźner Ă  18h pile. Si tu arrives en retard, pas de dessert. — Oui, chef ! rĂ©pondit-il en riant. 💙 Pendant ce temps, chez Clara Dans sa chambre, plus petite mais remplie de posters de danse et de pom-pom girls, Clara se tenait devant le miroir. Musique Ă  fond, elle essayait quelques pas. Ses bras tremblaient un peu, mais elle s’en sortait pas mal. Puis elle s’agenouilla pour sortir sa boĂźte secrĂšte cachĂ©e sous le lit. Un vieux coffret rose oĂč elle gardait tous ses trĂ©sors : des rubans, des lettres, et
 une photo de Liam en maillot. Elle la regarda un instant, puis sortit un ruban bleu. Celui qu’elle porterait pour l’audition du lendemain. Elle le posa sur son oreiller, inspira profondĂ©ment et murmura : — Demain, Clara
 demain tu leur montreras. Elle s’endormit avec le ruban Ă  cĂŽtĂ© d’elle. 🌅 Le lendemain Jogging noir, t-shirt gris, cheveux nouĂ©s avec son ruban bleu. Clara Ă©tait prĂȘte. Sur le terrain, les auditions battaient leur plein. Assise sur un banc, elle attendait son tour, le cƓur battant. De l’autre cĂŽtĂ© du terrain, Liam s’entraĂźnait, concentrĂ©, puissant, Ă©clatant sous le soleil. Elle le regarda, rĂȘveuse. — Il est tellement beau
 — Clara Dumont ! appela la coach. Elle sursauta, se leva prĂ©cipitamment. Emma, en capitaine, lança en riant : — Les vaches ne peuvent pas rejoindre l’équipe, c’est rĂ©servĂ© aux humaines, dĂ©solĂ©e ! Un rire cruel parcourut les rangs. — Emma ! protesta la coach, furieuse. Mais le mal Ă©tait fait. La musique dĂ©marra. Clara inspira
 tenta un pas
 un autre
 Et se figea. Les visages rieurs la transperçaient. Et puis elle vit Liam, arrĂȘtĂ© au bord du terrain, la regardant. C’était trop. Elle courut, sans rĂ©flĂ©chir. Le cƓur battant, les larmes aux yeux. — VoilĂ  ce qui arrive quand on laisse les animaux danser ! lança Emma, morte de rire. Les rires Ă©clatĂšrent de plus belle. Mais Liam, lui, prit son sac rose laissĂ© sur le banc et sortit du terrain. Quelques minutes plus tard, il la retrouva, assise seule Ă  la cafĂ©tĂ©ria, la tĂȘte sur le banc. Elle pleurait, les Ă©paules secouĂ©es. Dehors, la lumiĂšre du soir traversait la fenĂȘtre, caressant ses cheveux blonds. Il s’approcha doucement, posa le sac Ă  cĂŽtĂ© d’elle. Sans un mot. Et pour la premiĂšre fois, il sentit quelque chose qu’aucun pari ne lui avait jamais appris : la culpabilitĂ©.
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