Épisode 3 — Le calme après la tempête

1136 Words
Le lendemain matin, le campus tout entier vibrait encore du scandale de la veille. À chaque pas qu’elle faisait dans le couloir, Clara Dumont sentait les rires étouffés derrière son dos, les murmures moqueurs, les regards en coin. Hier, elle était “la Boule”. Aujourd’hui, elle était devenue “la Vache”. Les mots des adolescents sont parfois plus tranchants qu’une lame. Et ceux-là, elle les sentait lui labourer le cœur. Elle ne leva pas la tête une seule fois de la journée. Pas un sourire. Pas un mot. Juste une présence discrète, lourde, presque fantomatique, glissant entre les casiers et les tables comme une ombre qui ne voulait pas déranger. À la pause de midi, la cafétéria bourdonnait de vie — rires, cris, conversations bruyantes — mais à la table près de la fenêtre, la place de Clara était vide. Liam le remarqua aussitôt. Il posa son plateau, jeta un coup d’œil autour de lui… rien. Pas même son sac rose bonbon, qu’elle traînait partout comme un doudou. — Où est-elle passée ? murmura-t-il, les sourcils froncés. Il inspira profondément, repoussa son assiette à peine entamée et se leva d’un bond. — « Hors de question que je rate ce pari, » grogna-t-il à mi-voix, en enfilant sa veste. Le voilà parti, courant d’un bâtiment à l’autre : le gymnase ? Vide. Les vestiaires ? Personne. Même la salle des profs ? Rien. Il finit par rejoindre sa salle de classe, juste à temps pour entendre le professeur principal annoncer : — « Ah, au fait, les élèves, Clara Dumont a eu un petit malaise ce matin. Rien de grave, elle est rentrée se reposer. » Quelques élèves échangèrent des regards, et puis Emma, la capitaine des pom-pom girls, lança d’un ton dégoulinant de sarcasme : — « Avec un corps comme le sien, ce genre de nouvelles, c’est pas vraiment une surprise ! » Les rires fusèrent aussitôt. Liam, lui, serra les poings si fort que ses jointures blanchirent. À la fin des cours, il marcha droit vers la salle des professeurs. — « Excusez-moi, monsieur, je… je voudrais apporter les devoirs de la journée à Clara. Elle m’a demandé, » improvisa-t-il. Le professeur, confiant, lui tendit un petit papier avec l’adresse. — « Sois prudent sur la route, Carter. » — « Promis. » Quelques minutes plus tard, il était déjà dans la voiture. — « On file à cette adresse, s’il vous plaît, » lança-t-il au chauffeur, qui démarra sans poser de questions. Le trafic était infernal, mais Liam n’en avait cure. Son regard était fixé droit devant lui, déterminé. La maison de Clara était modeste, un petit pavillon aux volets bleus délavés. Quand la porte s’ouvrit, Madame Dumont reconnut immédiatement le garçon. Comment ne pas le reconnaître ? Le sourire parfait, les boucles brunes impeccables, le regard lumineux… et surtout, cette photo de lui dans le casier de sa fille, qu’elle avait déjà vue en changeant les draps. — « Liam Carter ? » fit-elle, surprise mais ravie. — « Oui, bonjour madame. Je suis venu prendre des nouvelles de Clara. » — « Quelle charmante attention ! Entrez donc. » Elle lui proposa quelque chose à boire — il demanda juste de l’eau —, puis monta prévenir sa fille. Clara, quant à elle, était enfouie sous la couette, comme si le monde entier était un cauchemar dont elle voulait s’extirper. Elle ne répondit pas quand sa mère toqua. Et quand la porte s’ouvrit, elle n’eut pas la force de protester. — « Ma chérie, un camarade de classe est venu te voir. » — « J’ai pas envie, maman… » — « Viens juste deux minutes, tu verras. » Clara roula des yeux, traîna les pieds, et descendit l’escalier. Mais quand elle vit Liam, debout dans le salon, sourire aux lèvres, elle sentit le sol se dérober sous elle. Non… pas lui. Pas dans cet état. Les cheveux en bataille, les yeux gonflés, le vieux t-shirt informe. L’horreur. Elle fit mine de tousser pour qu’il se retourne sans remarquer son embarras. Liam se retourna aussitôt, son sourire se fit doux, sincère. — « Je suis content que tu ailles bien. » — « Donne les devoirs et pars, s’il te plaît, » répondit-elle sèchement. « Je veux pas parler. » — « Il n’y a pas de devoirs, Clara. Je voulais juste… te voir. » Elle pivota brusquement, prête à fuir, mais il attrapa doucement son poignet. Leur regard se croisa. Un long silence s’installa. Il n’y avait ni moquerie, ni pitié dans ses yeux. Juste une chaleur tranquille, presque désarmante. Elle finit par s’asseoir, le cœur battant trop fort, pendant que sa mère s’éclipsait discrètement, laissant la porte du salon entrouverte. — « Alors… pourquoi tu t’es enfuie hier ? » demanda-t-il doucement. — « J’ai eu peur, » avoua-t-elle en triturant le ruban bleu dans ses doigts. « Peur de rater, peur d’être ridicule. Je crois que j’y suis habituée, tu vois ? » Liam hocha la tête, pensif, puis esquissa un léger sourire. — « Tu sais, j’ai failli ne plus jamais marcher. » Elle leva les yeux, surprise. Il raconta alors : sa chute du troisième étage à huit ans, les médecins pessimistes, les mois de rééducation, la douleur, la colère, et enfin, la renaissance. — « Ils disaient que je ne rejouerais jamais au foot. Et regarde-moi aujourd’hui. » Il tapota sa jambe en riant doucement. — « Comme quoi, les miracles existent. Mais en vrai, c’est pas un miracle. C’est juste… la volonté de se battre. » Puis il ajouta, le regard plongé dans le sien : — « La chance, c’est quand l’opportunité rencontre le talent. Et toi, Clara, t’as du talent. Il faut juste que t’oses le montrer. Si ton corps t’en empêche, change ton corps. Pas pour les autres. Pour toi. » Un silence doux suivit. Clara esquissa un minuscule sourire. Pour la première fois depuis des jours, elle se sentit un peu plus légère. — « Alors voilà le deal, » dit Liam en sortant un carnet. Il griffonna rapidement un emploi du temps : 6h — Gymnase. Sport. 7h30 — Petit-déj (menu validé par Coach Liam). 16h — Études ensemble. — « Et ça, c’est notre plan de bataille. On commence demain matin. Pas de triche. » — « Tu… tu feras tout ça pour moi ? » — « Pour nous. Tu vas briller, Dumont. » Ils rirent ensemble, longuement. Une complicité venait de naître, fragile, sincère. Et quand il prit congé, en saluant poliment Madame Dumont avant de monter dans la voiture, Clara le suivit du regard par la fenêtre, le cœur battant. Elle toucha machinalement le ruban bleu sur son oreiller. Pour la première fois depuis longtemps, elle sourit avant de s’endormir.
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