Prologue

1577 Words
PrologueLes fondamentaux de l’humanité sont des plus basiques, mais à la fois des plus compliqués. Comment expliquer des intuitions et des relations innées, naturelles et instinctives, comme les liens d’une famille ? Pourquoi naissons-nous avec des liens d’attachement si profonds ? Pourquoi des parents ou des frères et sœurs sont-ils plus proches que les gens que nous croisons au fur et à mesure de notre vie ? Après tout nous sommes tous des humains constitués de la même manière, deux jambes, un cœur et un cerveau. Nous avons plus ou moins des capacités émotionnelles ou intellectuelles en fonction des individus mais les relations d’attachement sont basées sur les mêmes principes. Ces liens s’activent simplement parce que des gens prennent soin de nous dès notre enfance et nous inculquent des notions d’amour et de respect. Donc finalement l’amour est un principe simple ! Ce sont des liens naturels et d’affection recherchés par tous les humains car ils sont addictifs, ils sont galvanisants mais malheureusement parfois ils sont destructeurs. Et c’est ce qui est compliqué à concevoir et à admettre ! Comment arrive-t-on à haïr ceux qui nous ont aimés ? Ceux qui ont participé à notre construction ? Comment est-ce que les sentiments d’amour si forts et si doux peuvent disparaître pour finalement devenir une forte roue de destruction ? Comment en vient-on à de tels conflits alors que quelques jours plus tôt on était soudés comme les doigts d’une main ? J’ai beau observer mon frère de loin je ne comprends pas son attitude ! Cela fait presque trois lunes que Sombro quitte le foyer de la crique pour retrouver les indigènes de l’île voisine. C’est vrai, que nous allons très souvent dans leurs villages pour les aider, irriguer les cultures ou pour l’implantation de nouvelles techniques. Les hommes du village nous considèrent un peu comme des divinités à cause de nos yeux colorés et de nos capacités. J’aime ressentir ce respect et cette admiration mais je ne supporte pas d’en voir certains se prosterner. C’est un plaisir de voir que l’aide que nous leur apportons avec mes frères est positive et sert à améliorer leurs vies. Je n’attends rien en retour que leur joie face à cette aide. Mais Sombro n’est pas aussi entreprenant comme nous trois. Père a plus d’une fois dû insister pour qu’il nous fasse l’honneur de sa présence lors des excursions. Mais depuis plusieurs semaines, mon frère aîné nous devance et est très souvent sur place avant nous. Malgré son manque de pratique magique je l’ai toujours admiré. Du haut de ses vingt ans Sombro est doué et très malin. Il trouve souvent des solutions de lui-même à des problèmes importants mais l’empathie n’est pas son point fort. Pourtant il se rend plus souvent que nécessaire dans les villages et son dévouement me dérange subitement. Il y a anguille sous roche ! Et aujourd’hui je suis bien déterminé à savoir ce qu’il manigance. Les drames familiaux se déclenchent souvent par des instincts sombres entretenus depuis de nombreuses années. Parfois la jalousie finit par être trop forte et la jauge explose. D’autre fois les rancœurs sont trop importantes pour être enfouies. Parfois les violences sont impardonnables et les mensonges détruisent la confiance instaurée. La majorité des conflits entre deux personnes s’instaurent à l’insu de l’un. Les sentiments négatifs grandissent dans l’une des parties sans que parfois l’autre s’en rende compte. Et c’est là que tout devient dangereux. Car une fois le mal instauré il est compliqué de le faire oublier. La silhouette svelte de Sombro a traversé le village rapidement sans vraiment faire attention aux dizaines d’indigènes qui l’ont dévisagé. Je le suis à bonne distance mais cependant avec mes yeux je ne risque pas de perdre sa trace. Sa démarche est rapide,ses foulées sont précises et il semble très détendu. Le sentiment de méfiance grandit au fond de moi. Et même si je suis persuadé qu’il n’apprécierait pas que je l’espionne comme ça, je ne veux pas prendre le risque d’ignorer ce que trame mon frère. Il pourrait se mettre en danger et avoir besoin de mon aide. Il s’engouffre dans la forêt épaisse et je me sers désormais de mon ouïe et mon odorat pour le suivre à la trace. Je termine par l’entendre se stopper aux abords de la côte voisine à plus de deux heures de marche. Je sais que la plage de sable blanc qui s’y trouve est paradisiaque, mais les vagues sont assez violentes et se fracassent sur les récifs en amont avec force. C’est un lieu peu fréquenté par les pêcheurs. Même si les poissons y sont nombreux, la mer est bien trop dangereuse. Les indigènes ne s’y risquent pas, à part avec la présence de Claronx à leurs côtés. Que vient faire mon frère ici ? Mes oreilles captent alors une conversation et je me fige surpris : –Salut ! Il y a du mouvement sur la crique mais pas de signe d’un groupe v*****t ou de prise à partie avec mon frère. De plus le ton qu’il a employé n’est pas méfiant mais plutôt doux et tendre. –Bonjour Monsieur Sombro, répond une voix douce, mélodieuse et féminine. Je ne vous attendais pas aujourd’hui ! Vous m’avez bien trop aidé dernièrement, je ne peux accepter d’accaparer votre temps si précieux. –Mais non voyons Mirana, je ne suis pas rassuré de te savoir seule ici. Les vagues sont dangereuses et les hauts font sont traître. Je suis ravi de t’aider ! Je décide de m’approcher de la crique en contournant la plage afin d’être sûr de ne pas être aperçu de mon frère. Je suis assez curieux de voir cette fille. Car j’ai bien compris que si Sombro quitte le foyer depuis plusieurs lunes c’est simplement parce qu’une femme l’intrigue. Et je veux voir à quoi elle ressemble pour réussir à faire sortir mon aîné de sa grotte. J’aperçois les premiers grains de sable et la luminosité plus élevée provenant de la plage. Je reste sous l’ombre des palmiers et c’est là que je l’aperçois. Sombro est devant elle et la dévisage avec une telle expression sur le visage que j’ai envie de rire. Ses yeux noirs brillent d’un éclat doux et passionné. Ses trais sont détendus et ses gestes sont maîtrisés. La véritable raison de la présence de mon grand frère ici est lisible sur son visage. Il ne peut rien dissimuler, du moins pas cette passion. La jeune silhouette devant lui est plus fine et plus petite. Une peau caramel et des cheveux sombres tressés sur sa tête qui sont réunis en une grande natte. Elle finit par se retourner et j’aperçois enfin son joli minois et je me fige. Je remarque immédiatement qu’elle est plus jeune que lui de plusieurs années. Peut-être 15 ans à tout casser mais elle est jolie. Son visage en forme de cœur est attendrissant. Son petit nez est mis en valeur par de grands yeux clairs. Leur couleur m’attire immédiatement et je me perds dans ce gris clair aux reflets verts. Je n’ai jamais vu des iris comme les siens. J’aurais pu les comparer à une eau limpide se déversant sur les rochers d’une rivière mais ça ne leur rendrait pas justice. Mon sang bat à mes tempes. Quelque chose me tracasse. Un frisson glacial se propage sur ma nuque et la chair de poule m’envahit. Je reste plusieurs heures à observer le sourire qu’elle donne à mon frère alors que celui-ci l’accompagne dans l’eau à la recherche de poissons. Je me persuade que je reste présent pour vérifier que Sombro ne risque rien en jouant avec une indigène dans un lieu aussi dangereux. Père n’approuverait sans doute pas les risques encourus et c’est peut-être l’une des raisons pour laquelle Sombro ne nous a pas encore parlé de Mirana mais je suis à la fois envahi de sentiments contradictoires qui continuent de me perturber. J’admire les courbes gracieuses de cette demoiselle et le sourire franc qu’elle lance à mon frangin me dérange. Pourquoi suis-je autant obnubilé par elle ? Dois-je me méfier ? Est-ce une intuition protectrice pour Sombro ? Est-il aveuglé par sa beauté et ai-je décelé un problème malgré moi ? Ou est-ce juste un surplus protecteur trop envahissant pour ceux qui partagent mon sang ? Je serre les poings de rage et prends une décision sans pouvoir vraiment faire le vide dans ma tête. Il est peut-être l’aîné mais je ne laisserai rien ni personne risquer de mettre en péril ma famille, qu’importe la grâce, la finesse ou les yeux de mon adversaire. C’est décidé je vais mener mon enquête sur cette demoiselle et découvrir ce qu’elle dissimule. Je vais rester dans l’ombre de Sombro. Le voir heureux comme ça me touche mais je ne veux pas qu’elle soit responsable d’une douleur émotionnelle pour mon frère. C’est ça aussi mon rôle, veiller sur le bonheur des miens ! Mais à vouloir protéger les siens on oublie aussi que l’amour est aussi présent dans le cœur d’autrui. Que d’autres personnes font partie d’une famille et feront tout pour la protéger au même titre que j’ai tout fait pour protéger la mienne. Parfois l’amour se joint à la haine sans que l’on puisse l’en empêcher ou en faire la distinction. Parfois la famille amène à sa propre destruction sans que celle-ci n’y soit réellement pour grand-chose. Et malgré les gestes précurseurs d’un drame à venir l’amour est souvent de mèche avec l’égoïsme et vous empêche de prendre les devants face à la destruction engendrée par vos envies et vos choix. Judith l’ignore encore mais mon passé est d’une certaine manière un écho à ce qui va lui arriver. J’ai voulu plus que tout protéger mon frère mais quand Mirana est rentrée en compte, elle a finalement tout bouleversé. Sombro m’a haï pour ce que j’ai fait et d’un certain côté je ne peux que comprendre cette haine. J’ai engendré la rancœur de mon frère et avec elle sa destinée noire. Tout aurait pu être simple mais la nature humaine est loin de l’être ! Protéger son frère des dangers est une évidence quand on est humain mais quand on est un élu c’est une lutte de tous les jours pour le mettre à l’abri des forces noires. Alors forcément quand la magie se mêle à vos problèmes familiaux les résultats qui en découlent sont encore plus catastrophiques que ce à quoi on peut s’attendre.
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