Chapitre 1-2

2028 Words
Elle le regarda plus attentivement et remarqua qu’il lui ressemblait vraiment. -- C’est parce que je suis à moitié noir, en partie blanc et en partie portoricain. -- Eh bien, je pense que c’est un compliment, dit-elle. -- De la façon dont ils le disent, non, répondit-il. Elle l’observa tandis qu’il s’installait sur le rebord de la fenêtre, toute son assurance s’étant évanouie, et elle était certaine qu’il était sensible. vulnérable. il ne faisait pas partie de ces jeunes. C’est fou, mais elle nourrissait presque des sentiments protecteurs à son égard. -- Je m’appelle Caitlin, dit-elle en tendant la main et en le regardant dans les yeux. Il leva le regard, surpris, et retrouva son sourire. -- Jonah, répondit-il. Sa poignée de main était franche. Caitlin ressentit un picotement lui parcourir le bras tandis que la peau douce de Jonah enveloppait sa main. Elle eut l’impres- sion de se fondre en lui. Il lui tint la main un moment de trop, et elle ne put s’empêcher de lui rendre son sourire. * Le reste de la matinée passa en un clin d’œil, et Caitlin était affamée lorsqu’elle arriva à la cafétéria. Elle ouvrit les doubles portes et fut saisie par la grandeur de la pièce et l’incroyable bruit que produisait ce qui sem- blait être un millier de jeunes, criant tous en chœur. C’était comme d’entrer dans un gymnase. Sauf qu’à tous les six mètres, dans les allées, se trouvait un agent de sécurité qui surveillait tout ce beau monde. Comme d’habitude, elle ne savait pas où aller. Elle parcourut l’immense pièce du regard, et repéra enfin une pile de cabarets. Elle en prit un et s’installa dans ce qu’elle pensait être la file. -- Passe pas devant moi, s****e! caitlin se retourna et vit une large fille, avec un surplus de poids, qui mesurait 15 centimètres de plus qu’elle et avait une mine renfrognée. -- Désolée, je ne savais pas… -- Le début de la file est là-bas! dit sèchement une autre fille en le pointant du pouce. Caitlin regarda et vit que la file comptait au moins une centaine de jeunes. vingt minutes d’attente. Tandis qu’elle se dirigeait vers le début de la file, un jeune en poussa un autre, qui alla atterrir à ses pieds, frappant durement le sol. Le premier jeune sauta sur l’autre et commença à le frapper du poing au visage. La cafétéria s’emplit d’un rugissement de satisfac- tion, tandis que des dizaines de jeunes s’agglutinaient autour des deux. — Un coMbAT! Un coMbAT! Caitlin recula, regardant avec horreur la scène de violence qui se déroulait devant elle. Quatre agents de sécurité s’approchèrent finale- ment, brisèrent le cercle et séparèrent les deux jeunes couverts de sang, avant de les traîner de force. ils ne semblaient pas pressés du tout. Lorsque caitlin eut enfin son repas, elle parcourut la salle du regard, espérant trouver un signe de Jonah. Mais elle ne l’aperçut nulle part. Elle marcha dans une allée, passant une table après l’autre. Elles étaient toutes remplies de jeunes. Il y avait bien quelques places libres, mais elles ne semblaient pas particulièrement invitantes, à côté de grandes b****s de jeunes. Finalement, elle put s’asseoir à une table libre au fond. Il y avait juste un jeune à l’autre bout de la table, un garçon chinois, petit et fragile, portant un appareil dentaire et des vêtements de facture modeste. Il gar- dait la tête baissée et se concentrait sur sa nourriture. Elle se sentit seule. Elle se pencha sur son télé- phone. Il y avait quelques messages f******k de ses amies de la dernière ville où elle avait habité. Elles voulaient savoir si elle aimait son nouvel endroit. Caitlin n’avait pas vraiment envie de répondre. Elles semblaient si loin maintenant. Caitlin mangea à peine, ressentant toujours vague- ment la nausée du premier jour. Elle essaya de se changer les idées. Elle ferma les yeux. Elle pensa à son nouvel appartement. Il se trouvait au cinquième étage d’un immeuble crasseux et sans ascenseur sur la 132erue. Sa nausée empira. Elle respira profondément, essayant de se concentrer sur quelque chose, n’importe quoi de positif dans sa vie. Son petit frère. Sam. Quinze ans, mais il pourrait bien en avoir vingt. Sam semblait toujours oublier qu’il était le plus jeune: il agissait toujours comme s’il était son frère aîné. il s’était endurci avec tous leurs dépla- cements, avec le départ de leur père, avec la façon dont leur mère les traitait tous les deux. Elle se rendait bien compte que tout cela commençait à l’atteindre, qu’il se fermait comme une huître. ses combats fréquents à l’école n’étaient pas pour la surprendre. Elle craignait seulement que ça n’empire. Mais Sam adorait sa sœur. Et elle l’adorait aussi. C’était le seul point d’attache dans sa vie, le seul sur qui elle pouvait compter. Il semblait réserver pour elle ce qui lui restait de douceur. Elle était décidée à faire de son mieux pour le protéger. -- Caitlin? Elle sursauta. Jonah se tenait derrière elle, son cabaret dans une main, son étui à violon dans l’autre. -- Ça te dérange si je m’assois avec toi? -- oui… je veux dire non, répondit-elle, nerveuse. Idiote, pensa-t-elle. Cesse d’être aussi nerveuse. Jonah esquissa son sourire habituel, puis s’assit en face d’elle. Il s’assit le dos bien droit, dans une posture parfaite, et déposa précautionneusement son violon à côté de lui. Il déposa doucement sa nourriture. Il y avait quelque chose en lui, quelque chose qu’ellen’arrivait pas à définir. il était différent de toutes les autres personnes qu’elle avait rencontrées. Comme s’il venait d’une autre époque. Il ne semblait absolument pas à sa place ici. -- Et puis, comment se passe ta première journée? -- Ce n’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais. -- Je vois ce que tu veux dire, dit-il. -- C’est un violon? Elle désignait son instrument de la tête. Il le tenait près de lui, en gardant une main dessus, comme s’il avait peur que quelqu’un puisse le lui voler. -- En fait, c’est un alto. Il est juste un peu plus gros, mais il possède un son très différent. Plus chaleureux. Elle n’avait jamais vu un violon alto, et espérait qu’il le pose sur la table pour lui montrer. Mais il ne fit aucun geste en ce sens, et elle ne voulait pas être indis- crète. Il gardait toujours une main sur l’instrument, veillant jalousement sur lui, comme s’il était très per- sonnel et privé. -- Pratiques-tu beaucoup? Jonah haussa les épaules. -- Quelques heures par jour, dit-il d’un air détaché. -- Quelques heures!? Tu dois être très bon! Il haussa de nouveau les épaules. -- Je pense que je me débrouille. Il y a beaucoup de violonistes meilleurs que moi. Mais j’espère que ce sera mon billet de sortie pour partir d’ici. -- J’ai toujours voulu jouer du piano, dit Caitlin. -- Pourquoi tu ne le fais pas? Elle s’apprêtait à dire je n’en ai jamais eu un, mais s’arrêta. Au lieu de cela, elle haussa les épaules et pencha le regard vers sa nourriture. -- Tu n’as pas besoin de posséder un piano, dit Jonah. Elle releva les yeux, étonnée qu’il ait lu dans ses pensées. -- Il y a une salle de pratique dans cette école. Malgré toutes les mauvaises choses qu’il y a ici, il en reste quelques bonnes. Ils te donneront des leçons gra- tuitement. Tout ce que tu as à faire, c’est de t’inscrire. Les yeux de Caitlin s’agrandirent. -- vraiment? -- Il y a une feuille d’inscription à l’extérieur de la salle de musique. Demande madame Lennox. Dis-lui que tu es mon amie. Amie. Caitlin aimait le son de ce mot. Elle sentit une vague de bien-être lentement l’envahir. Elle fit un grand sourire. Leurs regards se rivèrent l’un sur l’autre pendant un moment. En fixant ses yeux verts brillants, elle sentait un million de questions lui brûler les lèvres: As-tu une petite amie? Pourquoi es-tu aussi gentil? Est-ce que tu m’apprécies vraiment? Mais au lieu de cela, elle se mordit les lèvres, et ne prononça pas un seul mot. Craignant que le moment qu’ils passaient ensemble ne s’achève bientôt, elle se creusa les méninges pour trouver quelque chose à lui demander, afin de prolonger leur conversation. Elle essayait de trouver quelque chose qui lui permettrait de le revoir. Mais elle devint nerveuse et figea sur place. Elle ouvrit finalement la bouche mais, au même moment, la cloche sonna. La salle s’emplit de bruits et de mouvements, et Jonah se leva, agrippant son alto. -- Je suis en retard, dit-il en ramassant son cabaret. Il jeta un regard vers celui de Caitlin. -- Tu veux que je prenne le tien? Elle baissa le regard, réalisant qu’elle avait oublié de le prendre. Elle secoua la tête. -- D’accord, dit-il. Il se tenait là, soudainement gêné, ne sachant quoi dire. -- Eh bien… à bientôt. -- À bientôt, répondit-elle sans conviction, avec un filet de voix à peine plus élevé qu’un murmure. * Sa première journée d’école terminée, Caitlin sortit de l’école pour plonger dans un après-midi ensoleillé de mars. Même s’il y avait une forte brise, elle n’avait plus froid. Et même si tous les jeunes autour d’elle criaient en jaillissant de l’école, elle n’était plus ennuyée par le bruit. Elle se sentait vivante, et libre. Le reste de la journée avait passé en un éclair. Elle ne pouvait même pas se rappeler le nom d’un seul professeur. Et elle ne pouvait se sortir Jonah de la tête. Elle se demandait si elle s’était comportée en idiote à la cafétéria. Elle avait buté sur ses mots, elle ne lui avait posé aucune question. Tout ce qu’elle avait trouvé à lui demander concernait ce fichu violon alto. Elle aurait dû lui demander où il habitait, d’où il venait, à quel collège il comptait s’inscrire. Et surtout, s’il avait une petite amie. Quelqu’un comme lui devait sortir avec une fille. Juste à ce moment, une jolie fille hispanique, bien habillée, frôla Caitlin. Elle la regarda de haut en bas tandis qu’elle pensait, et se demanda pendant une seconde si ça pouvait être elle. Caitlin tourna sur la 134e rue et, pendant un ins- tant, oublia où elle se rendait. Elle n’avait jamais fait le trajet de l’école à la maison à pied auparavant et, pen- dant un moment, elle eut un trou de mémoire; elle ne savait plus où se trouvait son nouvel appartement. Elle resta sur le coin, désorientée. Un nuage couvrit le soleil, et une forte brise se leva. Elle eut de nouveau froid. -- hé, amiga! Caitlin se retourna et constata qu’elle se tenait devant une bodega crasseuse qui faisait le coin. Quatre hommes à l’air louche étaient assis sur des chaises en plastique devant l’épicerie. Ils semblaient ne pas se soucier du froid et lui souriaient de toutes leurs dents, comme si elle constituait leur prochain repas. -- viens par ici, poupée! gueula un autre. Cela lui revint à l’esprit. 132e rue. C’est ça. Elle se retourna rapidement et marcha d’un autre pas pressé jusqu’à l’autre coin de rue. Elle jeta de temps à autre un regard par-dessus son épaule pour voir si ces hommes la suivaient. Par chance, ce n’était pas le cas. Le vent froid giflait ses joues, lui éclaircissant les idées. La dure réalité de son nouvel environnement commença à se frayer un chemin dans son esprit. Elle regarda autour d’elle et remarqua les voitures aban- données, les murs couverts de graffitis, les barbelés, les barreaux à toutes les fenêtres. Elle se sentit soudai- nement très seule. Et très effrayée. Elle n’était qu’à trois pâtés de maisons de son appartement, mais il semblait se trouver à l’autre bout du monde. Elle aurait souhaité avoir un ami à ses côtés — ou mieux encore, Jonah. Elle se demanda si elle pourrait supporter de faire cette marche seule tous les jours. Encore une fois, elle ressentit de la rancœur envers sa mère. Pourquoi devait-elle toujours démé- nager, et l’emmener dans de nouveaux endroits qu’elle détestait? Est-ce que ça prendrait fin un jour? Un bruit de vitre brisée. Le cœur de Caitlin s’emballa lorsqu’elle remarqua du mouvement sur sa gauche, de l’autre côté de la rue. Elle marcha rapidement en essayant de garder la tête baissée mais, en se rapprochant, elle entendit des cris et des rires grotesques. Elle ne put s’empêcher de regarder ce qui se passait. Quatre jeunes énormes — autour de 18 ou 19 ans peut-être — s’en prenaient à un autre adolescent. Deux d’entre eux tenaient ses bras, tandis que le troisième le frappait au ventre, et le quatrième au visage. L’autre jeune avait peut-être 17 ans; il était grand, mince et sans défense. Il s’écroula au sol. Deux des garçons bon- dirent et le frappèrent du pied au visage. Malgré elle, Caitlin s’arrêta et observa la scène. Elle était horrifiée. Elle n’avait jamais rien vu de semblable. Les deux autres jeunes firent quelques pas autour de leur victime, puis levèrent leurs bottes hautes dans les airs avant de les rabattre. Caitlin eut peur qu’ils ne le battent à mort. — NON! cria-t-elle. Il y eut un bruit de craquement insupportable quand leurs pieds s’abattirent. Mais ce n’était pas un bruit d’os broyé — plutôt celui du bois. Du bois qui casse. Caitlin remarqua qu’ils piétinaient un petit instrument de musique. Elle regarda plus attentivement et vit des morceaux d’alto qui jonchaient le trottoir.
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