Gary se réveilla en sursaut, le corps recouvert de sueur, le regard hagard, observant sa chambre sans la reconnaître. Il lui fallut un bon moment pour reprendre ses esprits et comprendre qu’il se trouvait bien chez lui.
Une fois de plus. Un autre cauchemar.
Après tout ce temps, son passé n’avait cessé de revenir le hanter. Il venait de revivre encore une de ses horribles journées au milieu des balles qui volaient partout, des corps ensanglantés et de l’odeur du sang et de la poudre.
Poussant un soupir las, il se passa une main dans ses cheveux humide.
N’arriverait-il donc jamais à oublier toutes ses horreurs ?
Quatre ans. Quatre fichue années qu’il avait quitté l’armée et était rentré chez lui, en héros de guerre avec des médailles, qui dormaient dans un fond de placard. Comme il aurait aimé y faire de même avec ses horribles souvenirs.
La première année, la réadaptation avait été difficile, très difficile mais avec l’aide de ses défunts parents, il avait d’une certaine manière réussi à s’en sortir.
Sortant de son lit, il alluma la lampe de chevet puis se dirigea vers la fenêtre restée ouverte à cause de la chaleur apporté par l’été infernale.
Dehors, la nuit enveloppait encore le domaine. Quelle heure pouvait-il être ? Jetant un regard sur sa commode, il vit que son réveil électrique indiquait 03h17. m***e ! Il s’était réveillé avec deux heures d’avance et se connaissant il aurait du mal à retrouver le sommeil alors que la journée d’aujourd’hui s’annonçait éprouvante.
Avec un ricanement, il reprit sa contemplation de la nuit. De la profondeur de l’obscurité lui parvint le hennissement lointain des chevaux du ranch. Tient, eux aussi ne semblaient pas trouver le sommeil.
Poussant un soupir, il quitta son observatoire et retourna s’asseoir sur le lit. Intriguée, sa chienne, un énorme berger allemand qui avait autrefois appartenu à son père, leva la tête vers lui et jappa. Il devait l’avoir réveillée à tourner ainsi en rond.
Il n’avait pas envie de se recoucher et de passer des heures à tourner dans le lit. Il fallait mieux qu’il aille faire un tour pour s’éclaircir les idées.
Sur-ce, il enfila un jean et un t-shirt, et suivit de la chienne, sortit dans la maison silencieuse, plongée dans le noir. Il n’eut aucun mal à trouver son chemin sans lumière car il connaissait chaque centimètre carré de ses murs et planchers.
Dehors, l’air était frais et doux. Il en inspira une grande bouffée, arrêté sous le porche de la véranda de la maison et écouta les bruits de la nuit : une chouette qui hululait, des insectes qui volaient, des grenouilles qui croissaient quelques parts, le vent qui faisait bruisser les feuilles des branches d’arbres et de biens d’autres bruits encore. Il avait toujours eu cette capacité d’entendre ce que personne d’autre ne pouvait entendre. Un reste du temps où il faisait encore partir des forces spéciales.
Sergent Gary Wright, héros de guerre pour avoir ramener un de ses hommes en vie sous les balles. Mais combien en avait-il vu tombés sous ses mêmes balles ? Bien plus que pourrait s’imaginer les gens. On n’oubliait pas les morts, que ce soit des soldats amis ou alliés, des civils ou encore ceux qu’on a eut à soi-même ôter la vie.
Oui, il avait beau essayé d’oublier ce pan de sa vie, cela était tout simplement impossible. On n’oubliait pas.
Poussant un soupir, il descendit les marches.
Même si la maison principale était plutôt grande, il y vivait tout seul depuis deux ans, en parfait solitaire.
Le domaine de Skyland comptait en fait deux grandes maisons et une cabane près de la rivière, où il avait séjournée un moment après son retour de l’armée. L’autre maison avait été la demeure pendant de longues années à des cousins partirent s’installer depuis une cinquantaine d’années dans un autre état. Elle servait aujourd’hui d’habitat pour certains des employés du ranch et se trouvait à moins de mille mètres des écuries et du corral.
Avec un sourire, il se dirigea vers les écuries qui se trouvaient à plusieurs centaines de mètres de là. L’endroit était plongé dans le noir mais il n’avait pas besoin là aussi de lumière pour se guider. Ce domaine aussi, il en connaissait chaque sentier et chemins.
Il remonta silencieusement la route jusqu’aux écuries et se dirigea vers un box où un magnifique Pur sang s’agitait.
- Toi aussi, tu as du mal à trouver le sommeil, Wrath ?
Le cheval agita la tête comme pour lui répondre et il sourit.
Ce cheval était un peu comme lui. Cela paraissait peut-être bizarre de penser ainsi mais il s’était toujours retrouvé en cet animal.
Il l’avait retrouvé il y a presque deux ans blessé, apeuré - juste quelques temps après la mort de ses parents survenus au cours du crash d’un avion de ligne commerciale de la circulation et il l’avait un peu aidé à évacuer sa peine dû à cette mort subite et cruel. Il avait très bien compris qu’il avait été maltraité par son ancien propriétaire et il en avait résulté une vraie aversion pour les hommes. Il préférait comme lui resté le plus loin d’eux. C’était dommage que personne n’arrive à le dresser. Même lui arrivait à peine à le toucher ou lui faire fait quoi que ce soit. Pire, cet animal n’en faisait qu’à sa tête.
Il avait déjà failli à plusieurs reprises manquer de donner un bon coup de sabots à certains de ses hommes. Ceux-ci comme le reste de la ville le trouvait fou de le garder encore ici et aimerait qu’il s’en débarrasse mais il ne le ferrait pas. Ce cheval, c’était le sien. Il était comme lui, hanté par les horreurs dont étaient capables les hommes. Oui, ils étaient liés par quelque chose que les autres ne pouvaient comprendre.
Il eut un grand sourire. Cela lui rappelait qu’il avait promis remonter les barrières de son enclos. À plusieurs reprises, il avait réussi à sauter les barrières, et il ne savait toujours pas comment il s’y prenait. Il aurait bien aimé le voir faire. En attendant, il restait reclus dans ce box, ce qu’il savait ne lui plaisait pas plus.
- Toi et moi on en a vu des horreurs, hein ! Des choses que l’on ne peut raconter à personne d’autre. Et, que l’on voudrait oublier.
Le cheval hocha encore la tête, ce qui le fit sourire.
Avant de devenir soldat, il avait été un très bon rider mais il avait tout abandonné pour rejoindre l’armée. Il avait montée des taureaux en furie et même des chevaux parfois. C’était aussi une autre époque.
Wrath frappa de son sabot avant la porte de son box.
- Ça ne te dérange pas si je te tiens un peu compagnie, Wrath. Je ne crois pas que je vais pouvoir aller me rendormir, dit-il en s’asseyant sur une caisse qui trainait devant un box vide.
Il allait devoir demander à ses ouvriers de ne pas laisser ainsi les choses dans l’écurie.
Sans un mot, Skippie vint se coucher près de son maître. Il la gratifia d’une caresse sur la tête et s’adossant contre un mur, il resta ainsi dans l’obscurité, attendant que les premières lueurs apparaissent et qu’il commence son travail.
* * *
Comment en était-elle arrivée là ?
Hors d’haleine, Autumn s’essuya le front humide en scrutant le tas de déjection du cheval devant elle.
- Du nerf, Autumn ! Lui lança une voix masculine autoritaire.
Fusillant du regard son oncle Robert, un grand homme aux yeux bruns approchant la cinquantaine qui se tenait à quelques mètres d’elle son stetson sur la tête, qui l’observait ou devrait-elle dire la surveillait. Elle entendit le petit rire moqueur d’Ethan West, le jeune homme qui aidait son oncle à s’occuper du ranch, dans le box d’à côté. Son cousin Todd, le fils aîné de son oncle, étudiait à l’université de Billings et ne venait ici que pendant les congés ou les vacances. Cela lui ferrait plaisir de le revoir car enfant ils s’entendaient super bien. Et, franchement, sa compagnie lui aiderait bien à s’adapter à ce nouveau monde.
Mais le temps avait passé et ils ne s’étaient pas revus depuis des années.
Avec une moue, elle ramassa avec une pelle le tas d’immondices et le jeta dans la brouette.
La paire de botte prêtée par Becky la femme de son oncle, une magnifique amérindienne d’une trentaine d’année, commençait à lui faire mal étant donné qu’elles étaient trop petites pour elle mais elle n’avait pas le choix car elle n’avait pas de bottes à sa taille. Une fois qu’elle aurait le temps, elle irait s’en acheter une paire en ville à son pied.
Tout en répétant ses gestes, elle pesta contre elle.
Elle ne devrait pas se trouver ici mais sur la magnifique plage de Long Beach à Los Angeles en train de passer l’été à nager et à bronzer sur la plage. Si elle n’avait pas eu ce problème elle ne serait pas venue se caché ici à Hill Valley, dans le ranch familial de sa mère. Tout cela parce qu’elle avait été arrêté en état d’ivresse après une soirée un peu trop arrosée.
Mais comment aurait-elle pu refuser d’aller à la soirée d’anniversaire de sa meilleure amie et en plus dans le dernier club à la mode de New York ? Elle aurait peut-être dû se modérer mais elle avait eu envie de faire la fête. Ce n’était pas sa faute si elle était entrée dans la voiture de ce policier.
Maudit policier qui s’était stationné au mauvais endroit. Et, heureusement qu’il n’y avait personne à l’intérieur sinon elle aurait eu plus chaud que de se voir exiler ici.
Elle revoyait encore le visage de son père lorsqu’il était venu la chercher le lendemain de sa garde à vue au commissariat. Elle avait encore en souvenir son sermon et sa colère. Elle était à peine entrée dans la voiture. Elle avait juste cabossé le pare-choc arrière.
À presque vingt-quatre ans, elle aurait très bien pu lui dire non mais elle savait mieux qu’elle devait lui obéir. Il était vraiment très en colère contre elle. Après tout c’était l’un des plus grands avocats de la ville et son cabinet cumulait les plus gros clients de la ville. Après avoir réussir avec brio à lui épargner une trop lourde peine de travaux d’intérêt public, il lui avait sommé de se rendre à Rive Creek dans le Montana. Elle qui n’y avait plus remis les pieds depuis la mort de sa mère à ses onze ans avait accepté.
Et, de toutes les manières, elle aurait dû revenir au ranch même si elle n’avait pas arrêté ses derniers mois rejetés le plus loin possible son séjour. Elle avait pensé y faire tout au plus deux jours et pas deux mois entier.
Cela faisait déjà plus d’un an que son grand-père était mort et elle n’avait pas pu venir pour son enterrement. Mais, pour cela elle avait une excuse. Elle avait fait une mauvaise chute dans des escaliers quelques jours plus tôt et avait dû rester plusieurs jours à l’hôpital en observation alitée, une jambe cassée avec une légère commotion. Elle aurait pu avoir plus mal comme la nuque brisée mais heureusement rien de trop grave. Toutefois, elle avait toujours regretté de ne pas avoir pu lui dire adieu comme il le fallait. Elle avait toujours été très proche de son grand-père même après la mort de sa mère. Même si son père ne voulait plus qu’elle remette les pieds au ranch - et elle n’on plus l’envie d’y revenir - ils avaient gardé contact en s’envoyant des lettres, à l’ancienne, ou en se téléphonant.
Elle eut un petit sourire triste à ses souvenirs. Quand elle aurait le temps ou plutôt quand son oncle Robert lui en laissera, elle irait poser des fleurs sur sa tombe et lui parlé.
Levant la tête, elle vit que son oncle avait disparut.
Poussant un soupir, elle reprit son travail. Elle avait encore deux autres box à nettoyer et si elle voulait avoir fini au plus tôt elle ferait mieux de s’y remettre. Et sans rechigner.