Chapitre 3

1765 Words
Chapitre 3 La voiture continue inlassablement son chemin à travers la campagne qui nous entoure de toute part. Je n'ose nullement tourner la tête vers celui qui m'a embarquée dans tout ceci. Une partie de moi a peur de cet homme aux airs sévères qui m'a sauvé de la solitude. Pourtant, je ne peux pas me résoudre à lui faire confiance. J'ai bien trop peur d'avoir fait une immense erreur en le suivant jusqu'ici. Malgré cela, je peux déjà être heureuse qu'il soit là pour moi dans cette situation. J'aurais très bien pu me réveiller et être découverte par une horde de personnes mal intentionnées. Mais, après tout, je ne sais pas grand-chose des intentions de cet homme à mes côtés non plus. Cette idée me fait frissonner. Je ne parviens pas à le regarder dans les yeux, par peur d'y retrouver une lueur qui me décevrait au plus haut point. De l'autre côté de la vitre, tout défile à une allure hallucinante, me donnant à peine le temps d'observer correctement l'environnement. Tout ce que je parviens à voir est un espace sombre parsemé de champs et petites maisons campagnardes. Les nombreuses vaches, parsemées de taches brunes et noires, se baladent paisiblement dans leurs prés. Mon regard les suit attentivement, retenant chacun de leurs mouvements maladroits et lourds. Cela fait naître un sourire sur mon visage. Étais-je habituée à voir ces créatures avant de mourir ? Tout ce que je sais est que cette ambiance paisible et reposée me met de bonne humeur. Rien ni personne ne semble pouvoir perturber ces créatures. Tout à coup, le jeune homme à mes côtés décide d'accélérer d'une façon brutale, ce qui me fait sursauter. Mes mains se cramponnent à tout ce qu'elles peuvent trouver dans ce véhicule, qui prend les virages de façon de plus en plus extravagante. Je ferme les yeux, en espérant que cela fasse disparaître le bruit du moteur de l'engin qui râle. À ma grande surprise, la boîte métallique tient bon face à la vitesse que cet inconnu lui impose. Nous nous dirigeons vers une destination qui m'est totalement inconnue. J’ai du mal à avaler ma salive, apeurée par ce changement de conduite du jeune homme. Je baisse les yeux, tentant de ne pas faire attention à la route devant moi. Mon regard capte aussitôt une lueur argentée. Cette présence surprenante captive aussitôt toute mon attention. Mes mains glissent prudemment jusqu’à l’objet que j'ai repéré à côté de mon siège. Je guette la réaction de cet homme dont je ne connais même pas l'identité. Il m’observe du coin de l'œil mais ne se manifeste pas. La réaction du conducteur me semble bien trop suspecte mais je ne dis absolument rien. Tout ce que je veux est voir cet étrange objet. Il ne réagit pas lorsque je sors le petit miroir de l’ombre du siège. Je le porte aussitôt à mon visage, ce qui me permet de contempler ma peau blanche comme neige. Mon reflet me montre une fille aux cheveux bruns et yeux d'un noir profond. Je reste silencieuse face à cette découverte des plus déconcertantes. Mes mains se portent aussitôt à mon visage, me montrant aussitôt que ceux-ci sont également d'une lividité inhumaine. On dirait presque que je suis réellement morte ! Mes longs cils noirs contrastent parfaitement avec la surface aussi lisse que monotone de ma peau. Je ne parviens pas à détacher mon regard obscur de cette figure qui me fixe intensément. C'est sûrement le froid qui m'a valu cette peau blanche sans vie ! Je ne cesse de me répéter cela pour me rassurer. Pourtant, ce discours me paraît aussi improbable que la présence de cette personne qui se trouve à mes côtés. Je me scrute une fois de plus dans ce miroir simple mais efficace. Mes doigts se posent sur la surface étincelante, comme pour en vérifier la véridicité. Je décide de tourner l’objet vers le jeune conducteur pour comparer son reflet au mien. Il y apparaît aussi bronzé qu’il est réellement. Mon regard inspecte et mémorise longuement les moindres de mes traits inhumains. Je reste stoïque, baissant à une allure incroyablement lente le si fragile miroir. Je finis par le poser sur mes genoux. Mes mains se mettent à trembler, secouant le tissu de ma volumineuse robe. Celle-ci prend énormément de place dans le petit véhicule, ce qui me gêne. N'étais-je pas censé avoir les yeux bleus ? C'est, en tout cas, l'image qui me revient en tête quand je pense à moi-même. Malheureusement, ces quelques images, que ma mémoire abrite avec soin, ne sont pas assez fiables pour que je me repose entièrement sur elles. Peut-être que mes souvenirs ont été trafiqués et que j'ai toujours eu les yeux noirs. Je l'espère en tout cas. Mais les lignes rouges, créées par mes larmes, qui se dessinent soigneusement sous mes yeux m'affirment justement le contraire. Cela me fait revenir en face de mon cercueil, lui aussi parcouru par d'immenses lignes rouges. Quelque chose cloche vraiment dans cette histoire ! Je ne suis absolument pas dans mon état normal ! Sauf si c'est l'habitude dans ce coin du monde de se réveiller dans un cercueil. Et cela m'étonnerait fortement. Je baisse progressivement la tête. Le reste de mon corps demeure immobile, tentant de toutes mes forces de me souvenir du moindre fragment de mon passé, ce que je ne réussis pas. Je ne sais pas combien de temps passe pendant que je fais cela mais, ce qui est sûr, est que cela semble durer une bonne éternité. Quand je retrouve enfin le courage de relever la tête, je remarque que l'on passe à côté d'un hôpital. Une immense frayeur me prend, tandis que je me tasse sur ma chaise pour me faire la plus petite possible. Mon organisme connaît très bien la fonction de cet endroit et souhaite à tout prix éviter d'en croiser le chemin, ce qui est tout à fait justifié. Je doute du fait que l'excuse d'Halloween marche si quelqu'un m'aperçoit dans cet état. Halloween ? Je me souviens plus que bien de cette étrange fête. Pourquoi me souviens-je d’un tel détail et non pas de mon passé ? Je secoue la tête, consciente de l’absurdité de cette question. Heureusement, personne ne fait attention à moi. Ils sont tous trop occupés à régler leurs propres problèmes. Ces humains se précipitent dans tous les sens pour des raisons qui me sont bien inconnues. Cela a le don de créer un terrible chaos. Un chaos qui me paraît tout à fait familier, le chaos de notre société. Mes yeux brillent face aux apparitions incessantes de nouveaux êtres qui sont tout aussi pressés que les précédents. Pourtant, j’expire lentement lorsqu'on dépasse à une vitesse folle le parking de cet immense bâtiment. La façade de l’hôpital est peinte d'un blanc criard et horriblement effrayant. Qu’est-ce que je suis soulagée de ne pas me retrouver là-bas ! Mes épaules se baissent lentement, pendant que mes muscles se détendent peu à peu. Mon geste fait rire le jeune homme qui est assis à mes côtés. Celui-ci qui empoigne avec intensité le volant de la voiture, le volant de sa voiture. Ah les hommes et leurs bébés en aluminium ! — Tu croyais vraiment que j'allais t'emmener là-bas ? Me dit-il sur un ton moqueur qui me fait extrêmement mal. Mes bras se croisent instinctivement sur ma poitrine tandis que je fais une petite moue. Je ne réagis pas, contrairement à ce que mon instinct me dicte. Non, je lui dois déjà beaucoup. Il m'a emmenée bien loin de cette église terrifiante. Et puis, il m’a sauvée. Cela est une assez bonne raison de ne pas me le mettre à dos. Pas pour le moment en tout cas. Mais cela ne m'empêche pas de bouder. Soudainement, je me sens en sécurité dans cet engin. Étrange non ? Tout devient de plus en plus obscur et imposant au fur et à mesure du chemin que trace cette petite Peugeot sans s'arrêter. Je ne cesse de scruter avec une grande attention cette immense ville. Elle devient de plus en plus dense au fil des mètres que l'on parcourt et ne cesse de nous surplomber d'une façon des plus majestueuses. Mais cela ne m'empêche pas de préférer le calme de la campagne à cette agitation vivante tout aussi déprimante. Les immeubles se multiplient inlassablement, accueillant des bureaux, de multiples sièges de grandes entreprises, ou encore des appartements. Une foule bien trop nombreuse se balade dans toutes les rues d'une largeur vraiment excessive. Tous ces visages m'embrouillent peu à peu, ne laissant place qu'à un flou encore plus perturbant que précédemment. Ce spectacle me met mal à l'aise, me faisant extrêmement peur. Comment vais-je pouvoir sortir de ce véhicule avec ma belle robe noire sans être remarquée ? Toutes les jeunes femmes de mon âge se baladent en t-shirt et pantalon, qui sont souvent accompagnés d'un perfecto en cuir. Ce style est tout le contraire de celui du vêtement qui orne mes livides membres. Et je n'ai pas spécialement besoin d'une grande attention en ce moment, au contraire. J'aimerais tellement m'enfermer dans une chambre, m'allongeant dans un petit coin de la pièce pour réfléchir à tout ce qui vient tout juste de se passer. Ces événements sont allés tellement vite que j'ai du mal à distinguer si cela fait bien partie de la réalité ou non. Échapper de l’église où a eu lieu sa propre cérémonie d’adieu n’arrive pas tous les jours ! Soudainement, après quelques petits tournants sur la droite comme sur la gauche que je n'ai pas pu mémoriser, l'homme arrête le moteur de son véhicule. On se trouve juste en face d'un immense immeuble assez moderne d'un blanc immaculé. La bâtisse est, à mon plus grand bonheur, située le long d'une petite rue peu fréquentée et sa façade n'a rien d'un foyer mal soigné, au contraire. Tous ces éléments me rassurent peu à peu. Cet homme ne semble vraiment pas avoir de mauvaises intentions envers moi et cela me fait extrêmement plaisir. Félicitations instinct, tu as eu une bonne intuition. C’en est une pour compenser toutes les autres ! On reste là, immobiles et silencieux. Tout à coup, je me retourne vers le jeune homme aux cheveux châtains, tandis que celui-ci détache sa ceinture de sécurité en tissu noir. — Qui es-tu ? Est la seule chose que je parviens à lui dire. Cette question m'a échappé avant que je ne puisse même m'en rendre compte mais je n'en regrette rien. J'ai bien le droit de savoir qui m'a sauvée non ? Même si cela peut paraître très égoïste. Après tout, je suis égoïste depuis mon réveil. Alors pourquoi changer cela ? Il me fixe aussitôt avec ses yeux envoûtants d'un vert émeraude profond et incroyablement brillant. — Et qui es-tu petite ? Me dit-il en guise de réponse, ce qui me déstabilise presque immédiatement. On se fixe pendant un court instant qui me semble pourtant interminable. Il hausse ses sourcils parfaitement dessinés, tout en passant sa langue sur ses lèvres desséchées, ce qui me fait frissonner. Pourquoi est-ce que je me concentre sur ça ! Je joue nerveusement avec mes mains, gênée par mon attitude aussi gamine qu’incontrôlable. Il a gagné et il le sait. Sa question est la meilleure. Qui suis-je et que m'est-il arrivé ? Peut-être que je dois en premier savoir cela avant de m’attaquer à celui qui m’a sauvée.
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