Chapitre 2

2700 Words
Chapitre 2 Mes yeux sont encore et toujours clos. Une grimace se dessine sur mon visage. Je serre les poings, tandis que le silence envahit peu à peu l’église. Un silence de mort. C’est ce que je suis censée être d’ailleurs. Morte. Face à cette absence de réaction, je décide d’ouvrir de nouveau les paupières. Un jeune homme aux cheveux châtains et avec un regard d'un vert profond se présente à moi. Une expression choquée prend peu à peu place sur son magnifique visage bronzé. Je le scrute sous tous les angles, comme s’il n’était qu’une illusion de ma propre imagination. Il reste longuement immobile, comme pétrifié par ce qu'il voit en face de lui. Ses muscles semblent tendus et crispés. Face à lui, je ressemble à un fantôme. Ironique non ? Un fantôme. Est-ce de moi qu'il a peur ou est-ce seulement le fait de trouver quelqu'un d'autre que lui en cet endroit qui le perturbe ? Au fond de moi, je sais très bien que la première possibilité est la seule valable dans cette situation plus que tordue. Une boule se forme dans mon ventre sur lequel je pose aussitôt mes mains blanches comme neige. Puis, je me détourne de lui, tenant nullement compte de sa présence. Mes jambes me ramènent vers mon cercueil dont je ferme le couvercle pour que personne ne se doute du fait que je me sois échappée de celui-ci. C'est mieux ainsi. Sinon, je vais sûrement devoir expliquer des choses que je ne comprends pas moi-même à des personnes inconnues. Il y a bien trop de zones floues dans mon esprit. Et cela ne m’aidera pas à résoudre ce mystère qui se présente à moi. Pourquoi ma mémoire est-elle tellement défectueuse ? D'où vient cet oubli terrifiant ? Des milliers de questions torturent mon esprit embrouillé. Mes jambes continuent à trembler, manquant de me faire tomber au passage. Je m'éloigne de nouveau de mon cercueil imitation marbre. Mon allure est lente et hésitante. C’est alors que je me rends enfin compte que je suis pieds nus. Les immenses dalles grises sous mes pieds ont un aspect granuleux que je ressens enfin sous la palme de mes pieds. L’angoisse m’a fait oublier ce détail. J’inspire lentement, tout en frottant le sol de mes pieds. Une couche de poussière s’incruste entre mes orteils que je suis incapable de voir. La volumineuse robe noire que je porte m’en empêche. Mes poumons me brûlent et ma respiration se coupe par moment. J’ai extrêmement de mal à comprendre cette situation plus que perturbante. L’apparition d’une légère migraine me fait trébucher, mais je ne tarde pas à me redresser pour continuer mon chemin. Je finis par passer à côté du jeune homme qui ramasse lentement son bouquet tombé à terre il y a seulement quelques minutes de cela. Mes mains moites se nichent dans les volumineuses jupes de ma tenue, jouant avec le soyeux tissu. Mes jambes continuent leur chemin sans vraiment savoir où aller. Devraient-elles le savoir ? Non. Elles ne peuvent pas le savoir. L’hystérie semble se presser aux portes de mes pensées. Cela me donne du mal à respirer. Pourtant, je me dirige tout droit vers la sortie de l'église. J’ai besoin de sortir d’ici ! Ce si grand édifice se rétrécit à vue d’œil, me mettant de plus en plus mal à l’aise. Je sors mes mains de ma robe, essuyant peu à peu les larmes qui ne cessent de couler sur mes joues. Je poursuis mon trajet à une allure aussi hésitante qu’instable. Puis, je lève mes mains au visage, voulant me cacher derrière celles-ci comme une petite fille le ferait. Un cri horrifiant m’échappe quand je remarque enfin que mes mains se sont tachées d’un rouge intense suite à mon geste. Je recule vivement, espérant que tout cela ne soit qu’une illusion. Mes yeux noirs contemplent avec encore plus de soin mes doigts collants et dégoûtants. Mes mains se mettent à trembler, tandis que de nouvelles perles rouges tracent leur chemin sur ma peau pâle. Je me retourne vers le cercueil. Mon regard fait d’innombrables allers-retours entre celui-ci et mes mains. Cette couleur ne laisse aucun doute à la nature de ce liquide. C'est du sang ! Je fais quelques pas en arrière, me cognant contre un des nombreux bancs en bois qui se dressent dans l’espace qui m’entoure. Mon regard paniqué part dans tous les sens, cherchant une raison à tout cela. Pas étonnant que cet homme a eu peur de moi ! Que m'arrive-t-il ? Ma respiration s’accélère encore plus, et mon mal de crâne s’amplifie. J’ai envie de crier, de me jeter à genoux et de pleurer toutes les larmes de mon corps ! Si quelqu'un découvre tout ce qui m'arrive je ne serais pas seulement internée, mais je deviendrais sûrement aussi la victime de nombreuses expériences machiavéliques. Les laboratoires se battraient pour pouvoir analyser mon corps qui a survécu à la mort elle-même ! Plus rien ne laisse place au doute ! Ceci est un vrai cauchemar ! Une minuscule partie de mon être espère que les médecins légistes qui ont autopsié mon corps se sont tout simplement trompés sur mon décès. Mais cela ne me paraît pas très plausible. Même un aveugle serait capable de reconnaître que tout ceci n'est pas une situation normale. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter tout cela ? Cela me fait éclater en sanglots au beau milieu de ce lieu sacré. Je pourrais arracher un généreux morceau de dentelle des jupes de ma robe noire pour essuyer le sang qui coule sur mon visage. Pourtant, je sais très bien que je ne réussirais nullement à tout effacer. À quoi bon ? Où est-ce que je peux aller dans cet état alors que je ne me rappelle même plus des noms ou visages de mes propres parents ? Je ne me rappelle même pas de ma propre mort ! Cela provoque une douleur impressionnante dans mon être entier. Je donne un coup dans le banc derrière moi, me sentant impuissante face à ce qui m’arrive. Je croise les bras, prise d’une colère noire. C'est assez perturbant de se dire que le point culminant de sa vie a été effacé de sa propre mémoire. Cela laisse place à un vide plus que perturbant. Mes larmes contrastent parfaitement avec la lueur de colère qui scintille au plus profond de mes yeux. L’angoisse s’y mêle à la douleur qui m’anime à présent. Je ne suis qu’un concentré de sentiments plus contradictoires les uns que les autres ! Le simple fait de ne se souvenir que de son nom est déjà assez perturbant en soi. Alors, trouver ses mains tâchées de sang en plus de cela est vraiment un calvaire moral. Je retiens un nouveau cri qui souhaite se manifester face à toute cette confusion qui semble faire écho dans mon crâne. Mes faibles jambes semblent se briser sous la pression de la panique qui s'empare peu à peu de moi. Le sol s’approche à une allure fulgurante de mon visage qui s’apprête à s’effondrer contre les pavés gris. Heureusement, le jeune homme de tout à l'heure me rattrape avec une aisance incroyable. Une nouvelle hystérie coule à travers mes pauvres veines. Je me sens tellement lasse, lessivée, tout simplement morte. N'est-ce pas ce que je suis censée être après tout ? C'est ce qu'ils pensent que je suis. Je laisse mon corps se reposer sur les bras de cet inconnu qui m’aide à me redresser. — Je vais t'aider. Sont les seuls et uniques mots que ce jeune homme prononce, avant de me reposer sur mes pieds avec une grande aisance. Je le fixe intensément, comme s'il venait tout juste de changer mon existence entière avec ces quelques syllabes. Mes yeux brillent, curieux de découvrir ce qu’il va me proposer. Comment refuser de l’aide dans une telle situation ? Peut-être que je dois la refuser mais je n’en ai pas la force. Malgré cela, la méfiance et la compassion qui s'entremêlent dans la voix de mon interlocuteur ne cessent de m'insupporter au plus haut point. Il me propose de l’aide sans pour autant me faire confiance ? Est-ce un piège ? Je recule de nouveau, me cognant contre un autre banc en bois. — Et comment ? Lui demandai-je, ne me sentant pas réellement en confiance. Ma voix déraille à plusieurs reprises, comme si elle avait été endormie pendant des décennies. Le ton que j’emploie est bien trop incertain pour pouvoir le convaincre de me répondre de façon honnête. Je ressemble à une brise, à un murmure d’été qui finit par disparaître avec l’arrivée de l’automne. — Tu verras. Me répond-il avec sa voix magnifiquement grave. Ses yeux verts m’inspectent sous tous les angles, faisant remonter de la bile de long de mon œsophage. Je ravale aussitôt cette substance brûlante avec une grande peine. Le jeune homme, qui ne doit pas avoir plus de vingt-cinq ans, se détourne de moi. Il semble vouloir se diriger vers l'immense porte d'entrée entièrement faite d'un bois massif. Dans celui-ci ont été gravés des signes de toutes sortes dont les significations m'échappent. Mon premier réflexe est de retenir cet inconnu par le bras gauche, tentant d'obtenir des réponses plus fiables de sa part. Comment pourrais-je suivre un inconnu sans avoir obtenu la moindre réponse correcte de sa part ? Mes doigts n’ont qu’une faible emprise sur ce membre, comme si toute force les avait quittés. Son regard intense se porte de nouveau sur moi. Il dégage son bras, avant de les croiser de façon impatiente. — Vois-tu vraiment une autre alternative que mon aide ? Je regarde bêtement autour de moi, scrutant attentivement les bancs d'église déserts qui m'entourent. — Non. Finis-je par admettre dans un murmure. Ma tête se baisse automatiquement de honte. — Et crois-tu vraiment que tu as un autre choix que de me faire confiance ? Me dit-il en m'attrapant brusquement les poignets, ce qui me fait sursauter. Mon regard se porte sur sa main bronzée, dont le teint contraste parfaitement avec la peau livide de la mienne qu'il empoigne avec force. Je suis comme paralysée par cette si évidente différence. — Peut-être bien. Ai-je le courage de répondre face à l'expression légèrement menaçante avec laquelle il me fait face. Il pouffe presque de rire, avant de me lâcher et de se détourner de nouveau de moi. — Mais qui es-tu à la fin ?! Crie-je de toutes mes forces, créant un immense écho dans l'édifice entier. Mes cordes vocales semblent trembler et un son grinçant en sort. Le jeune homme ne se retourne même pas, continuant imperturbablement sa route vers la sortie que j'aimerais tant franchir moi aussi. — Tu le verras si tu décides de me faire confiance. Finit-il par me dire avec un léger signe de la main. — Si tu en as le courage en tout cas. Sa voix renferme une provocation certaine que je tente d'ignorer du mieux que je peux. Je tourne ma tête dans tous les sens, tentant de trouver une autre alternative que de venir avec lui. Je me frotte lentement les poignets, tout en pensant à ce qu’il vient tout juste de dire. Il n’a pas totalement tort. Je n'ai absolument pas l'impression de me trouver en face d'un inconnu ! Peut-être qu'il faisait partie de mon ancienne vie ? Qui sait. Cette situation ne peut pas devenir beaucoup plus étrange qu’elle l’est déjà. Si ? Je croise les bras pour me donner une posture un peu plus imposante et décidée tandis, qu'au plus profond de moi, un dilemme me déchire en deux. Mes jambes vacillent encore et toujours. Cela me fait balancer entre mes frayeurs et mes incertitudes. Et quoi s'il a vraiment raison ? Je jette un coup dernier d'œil à la silhouette de cet homme qui ne tarde pas à sortir de l'église en toute sérénité. Il m’abandonnerait ici, c’est sûr. Mais se soucierait-il vraiment de moi si je venais avec lui ? Je réprime un frisson. Et quoi s’il n’est pas du tout celui qu’il dit être ? Je me mords la lèvre inférieure, léchant les quelques gouttes rouge sang qui y ont coulé. Face à ces deux choix, mon organisme se contente de s'élancer également en direction de la sortie de cet endroit décoré de quelques centaines de fleurs. Mes yeux partent dans tous les sens, tentant désespérément de retenir la moindre petite parcelle de cet endroit mystérieux dont je me rappellerais éternellement. Je ne comprends pas pourquoi il m'aiderait. Plus précisément, je ne sais pas comment il pourrait m'aider face à ce qui m'arrive. Tout ce que je sais est qu'il est, pour l'instant, la seule personne qui pourrait me sortir de ce flou qui persiste dans ma tête. Même si je n'ai aucune idée de la nature de ses intentions. Mes pieds glissent à plusieurs reprises sur les dalles grises. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais je suis sagement cet inconnu en dehors de l’église. Une dernière larme coule le long de ma joue, s’écrasant ensuite sur le sol glacial de cet endroit. Cette goutte, qui ressemble à un petit cristal, est la dernière trace que je laisserai de moi en cet endroit. La dernière indication que je suis encore bel et bien en vie se trouve par terre, s’incrustant peu à peu dans les pores de la dalle. Mes frêles jambes tentent de courir pour rejoindre cet homme en dehors de l’édifice. Ma décision est prise ! Je lui fais confiance pour le meilleur comme pour le pire. Qui suis-je censée être à ses yeux ? Je m'imagine toutes sortes de destins et de scénarios différents qui ne font qu'amplifier les doutes et questions qui rodent dans ma petite tête. C'est vrai qu'avec sa carrure imposante mais tout de même svelte et athlétique il me plaît beaucoup, mais je ne me fais sûrement que des idées. Je sors de l'église à une allure folle, ayant peur qu'il soit déjà parti sans moi. Mais quand j'arrive sur le parking composé d'un gravier dense et sombre, je vois qu'il n'a même pas encore atteint son moyen de transport. Ses cheveux châtains et courts s'agitent au rythme du vent qui s'y fraye un chemin souple et indéniable. Il se dirige tout droit vers une ancienne Peugeot qui était censée être bleue. La couleur de celle-ci a fini par déteindre au fil des années qu'elle a passé parmi nous. Ceci n'en a laissé plus qu'un teint fade et délavé. C'est étrange. Je ne me rappelle de plus rien de ma vie mais le cadre spatio-temporel est parfaitement posé dans ma tête. C'est comme si quelqu'un s'était amusé à effacer les plus précieux de mes souvenirs pour laisser ceux qui ne servent pas à grand-chose à leur place initiale. À ma droite, un long mur avec gravé "cimetière" dessus me fait face. Les immenses pavés qui le constituent sont peu élégants et montrent des signes de vieillissement. Ce détail ne fait qu'amplifier l'atmosphère mystérieuse qui enveloppe cet endroit. Une croix tout à fait charmante a été intégrée au jeu d'acier du portail de ce lieu de repos qui aurait dû accueillir mon propre corps. Cette idée me fait frissonner de haut en bas, tandis que les petits cailloux du gravier sur lequel je marche s'incrustent de plus en plus dans la chair. Elles laissent délicatement leurs empreintes dans les plantes de mes pieds. Ces petits morceaux grisâtres semblent me couper la peau avec leurs bords tranchants, ce qui me fait légèrement grimacer. Pourtant, je suis trop occupée à contempler le cimetière pour pouvoir tenir compte de cette douleur considérable qui martyrise mes pieds blancs. Je suis partie tellement loin dans mes réflexions que je n'ai même pas remarqué que le jeune homme me fait signe de m'installer à l'avant de la voiture. Je m'arrête net, haussant brièvement les sourcils face à cette demande bien spécifique. Puis, je m'avance lentement vers lui, gênée de devoir m'installer à ses côtés. Mais puis-je vraiment lui faire confiance ? Mon cœur me dit que oui. Pourtant, ma raison s'obstine à éviter tout rapprochement avec cet étranger. Il pourrait potentiellement présenter un réel danger pour moi. Et ça, je ne l’oublie pas une seule seconde. J'inspire profondément tout en fouillant du mieux que je peux dans mes souvenirs pour tenter de retrouver son visage dans mon passé. Rien ne me vient. Puis, je me rappelle que je n'ai pas vraiment le choix. La vue du cimetière dans lequel ils déposeront bientôt mon cercueil me donne des sueurs froides. Pas question de rester ici une seconde de plus ! Je doute fortement face à cette gentillesse qui me paraît presque excessive. Je secoue donc la tête pour me sortir de mes pensées sombres. Puis, je décide de m'asseoir à côté de lui. Mes membres bougent à une vitesse incroyable qui nous surprend tous les deux. En l’espace de quelques secondes je suis assise sur le siège. J’écarquille les yeux, choquée de ce que je viens tout juste de faire. — Attache toi s'il te plaît. Est pourtant la seule chose que cet inconnu me dit avant de démarrer la voiture. Maintenant, je me retrouve piégée avec lui. Je ne peux plus reculer. Mais ai-je vraiment raison de lui faire confiance ? Il démarre brutalement avant de s'élancer sur le béton de la route complètement déserte à une vitesse monstrueuse. C’est comme s'il veut être quelque part au plus vite. Je regrette aussitôt ma décision et m'accroche à tout ce que mes mains trouvent. Au fond, j'espère seulement qu'on arrive sains et saufs à notre destination, ce qui ne me semble pas tout à fait gagné.
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