Hajiratou Sala
Sur la pointe des pieds, je me faufile à travers le jardin en évitant les points lumineux. Et pour ne pas tomber sur un garde, je décide d'entrer par la porte du derrière en évitant de faire le plus petit bruit. Une fois à l'intérieur, je m'adosse contre la porte et souffle un grand coup, j'ai encore une fois réussis à ne pas me faire chopper.
C'est avec un grand sourire que je me dirige vers ma chambre, après avoir retiré mes chaussures ; je ne veux pas que les escaliers gâchent tout.
• Bonne arrivée ma fille. Retentie la voix grave de mon père me faisant sursauter de frayeur. Mince alors ! J'ai vite crié victoire on dirait.
Les lumières du salon s'allument et laissent apparaitre mon père, ma mère, mon frère et celui qui est censé me surveiller. Eh ben super ça ! Bravo Sala.
• Tu as passé une bonne soirée ? Poursuit mon père avec son air grave. Je hoche les épaules pour toute réponse, jette mes chaussures par terre et me dirige vers l'un des canapés pour m'asseoir. Je sais qu'on en a pour un bon moment.
• Qu'elle insolente ! S'écria ma mère. Ah parce qu'elle parle elle ? C'est une première ça dis donc !
• Lève-toi. M'ordonne mon frère. Euh de mieux en mieux quoi.
• Et au nom de quoi ou de qui ? Rétorquais-je en replaçant une mèche de mes cheveux.
Il s'avança dangereusement vers moi et sincèrement j'avais juste envie de rigoler. Il croit faire peur à qui lui ? Je suis juste assise ici par courtoisie sinon je serais dans mon lit là, bien au chaud.
• Laisse-moi gérer ça. Lui dit mon père.
• Yeah ! Laisse le prési s'en charger, c'est une question de diplomatie familiale et je suis sûre que tu ne connais même pas la définition du mot diplomatie. Dis-je à mon frère en riant sous cape. Le gars était rouge de colère.
• Tu étais où ? Me demande mon père.
• En ville, avec des amis.
• A 2h du matin et sans protection ?
• Ah parce que tu sais que c'est dangereux de sortir dans ce pays sans protection ? Et pas que la nuit cher papa. Aucun habitant de ce pays n'est en sécurité, que ce soit le jour ou la nuit et ça tu le sais.
• Je ne suis pas leur père et je ne peux quand même pas octroyer à chacun un garde. Se défend-t-il de la manière la plus pathétique qui soit.
• Quoi ? Nan mais tu t'entends parler là ? tu es le président de ce pays et par conséquent le père de cette nation. Ces gens ont voté pour toi, ou du moins les ¼ parce qu'entre nous on sait que tu n'es pas le favori de 'Hopeland'. Et tu te permets de dire une telle chose ? Mon Dieu c'est dégoutant. J'aimerais bien qu'ils t'entendent.
• Et après quoi ? Tu viens de dire que je suis le président de ce pays.
De plus en plus choquée là.
• Bonne question papa. Après quoi ? Bah tu feras ce que tu sais faire le mieux. Massacrer cette pauvre population et la réduire en silence. Et on parle de démocratie ? Sais-tu simplement combien de personnes innocentes sont tuées par journée par les mêmes personnes qui sont censés les protéger ? 90, papa ! Quatre-vingt-dix jeunes tués par balles réelles et à bout portant depuis que tu es au pouvoir et pourquoi ? Parce qu'ils réclamaient leurs droits. Certains voulaient juste avoir à manger, d'autres étudier et la plus grande partie, juste se protéger. Hopeland est pire qu'un pays en guerre.
On ne se sent plus en sécurité dans nos propres maisons, les enfants ne vont plus à l'école, il n'y a pas de travail, d'électricité, de l'eau, il n'y a rien à part la haine que toi et ton gouvernement avez instauré, la peur, la famine, le désespoir et la mort. Tout est source de mort. Tu as détruit ce pays. A cause de toi aujourd'hui, les deux ethnies qui peuplent ce pays ne peuvent même pas partager un transport en commun sans qu'il n'y ait un blessé ou pire, un mort. Tu as divisé ce pays pour mieux régner. Où sont les promesses que tu as fait à ces gens qui t'ont élu ? As-tu fait un tour dans cette ville que tu prétends gouverner ? Papa les gens meurent sous des montagnes de déchets. Des maisons sont démolies et des personnes mises dans la rue, même les écoles ne sont pas épargnées alors que nous sommes en plein année scolaire. As-tu oublié que ces enfants ont retrouvé le chemin de l'école quatre mois après l'ouverture ? Et pour cause de non paiements des enseignants.
Pendant la saison sèche, les gens meurent de chaleur, de poussière, de manque d'eau et d'électricité et pendant celle pluvieuse, ils meurent sous des inondations, sans oublier que les routes sont impraticables et que des ponts partout dans le pays, tombent comme des mouches par manque d'entretien et de rénovation. Et quand ces pauvres gens osent réclamer, ils sont abattus et la plupart n'ont même pas dix-huit ans. Et toi pendant ce temps que fais-tu pour changer cela ? Tu nous amène nous tes enfants dans les pays les plus développés et sécurisés, tu nous inscris dans les écoles les lus prestigieuses et nous interdit même de venir dans notre pays.
Et si moi je te défie et que je viens, tu me fais suivre partout parce que tu sais que ce n'est pas sécurisé. Maman, bah elle je ne sais même pas quoi dire parce que je me demande qu'elle est son rôle, à part parrainer des évènements, voyager et faire des achats de luxe, prétendre défendre la cause des femmes alors que des milliers de jeunes filles sont violées, excisées, mariées à 13 ans sans oublier les femmes battues et celles qui meurent en accouchant par faute de moyens ou par manque de soins et de personnels compétent. Tout cela me rebute ! Je me demande comment vous arrivez à dormir vraiment !
• Mais ferme là un peu tu veux ? Hurle mon satané de frère.
• Non c'est toi qui vas la fermer ! Déjà toi tu es le pire de toute cette famille. Ton père au moins passe par ces gorilles pour tuer mais toi ! Tu as tué deux personnes et tu te ballades comme un prince, tu vis comme un prince et avec l'argent du contribuable sans te soucier de la famille de ces deux personnes.
• C'était un accident !
• Et alors ! Tu étais ivre mort je te signale et tu ne t'es même arrêté. Peut-être que si tu l'avais fait ils seraient encore en vie. Mais tu t'es dis pas la peine, je suis le fils du président, il s'aura géré ça et bingo ! c'est exactement ce qu'il a fait.
• C'est quoi ton problème sincèrement ?
• Vous ! J'en ai marre de vous et j'ai même honte d'appartenir à cette famille.
• Alors dis-moi ce que tu veux. Intervient mon père.
• Tu sais ce que je veux. Que tu tiennes tes promesses ou que tu démissionnes, mais nous savons tous que cela ne va jamais arriver. Donc je voudrais juste partir. J'ai trouvé un internat et école de militaire en Australie.
• Australie ?
• Oui maman. Selon mes infos, c'est le meilleur qui soit et le jackpot est que tout le monde est traité de façon égale. Il n'y a ni rang social, ni couleur de peau, ni appartenance religieuse ou politique et encore moins d'ethnies et c'est tout ce que je veux moi.
• Mais tu es une fille !
• Encore heureux ! En tout cas je pars dans moins d'une semaine et je ne risque pas de changer d'avis. Et si vous m'empêcher d'y aller, je dénoncerais toutes vos magouilles et ça sera la fin de votre règne ?
• Tu nous menace ! S'étonna mon père.
• Non j'agis comme une politicienne pour obtenir ce que je veux et devine qui me l'a appris ?
Plutôt satisfaite de moi, je les laisse tous planté là-bas comme des clous et me dirige vers ma chambre toute légère. Cela fait une éternité que j'avais envie de cracher cette vérité et même si cela m'a pris du temps, je ne regrette pas de l'avoir fait.
Déjà, toute petite alors que mon père n'était qu'un simple ministre, je détestais la politique par cela m'empêchait d'être une petite fille ordinaire comme toute petite de mon âge, puis j'ai grandi, mon père a prit le pouvoir et m'a donné plus de raison de la détester encore ainsi que chaque habitant de ce pays.
Je me rappelle qu'il y a moins de cinq ans de cela, j'étais tombée amoureuse d'un gars de ma classe aux USA. Nous étions les seules deux Hopelandais de la classe et même si on était d'ethnies différent (lui Mawba et moi Diawré), on s'est aimé passionnément et à la folie. En ce temps j'ignorais tout ce qui se passait dans mon pays, qu'entre nos ethnies on n'avait même pas le droit de nous aimer et à cause de la politique jusqu'à ce que sa mère découvre notre relation.
Cela fait bientôt cinq ans et je n'avais que quinze ans, mais je me rappelle de tout ce qu'elle m'avait dit, mot par mot. Elle m'avait brisé le cœur et a posé un ultimatum à son fils, il lui fallait choisir entre elle et moi, à cause d'une question d'ethnie alors que notre unique erreur était de nous aimer. Ce jour-là je m'étais promis de ne plus jamais aimer une personne de l'ethnie Mawba ou tout Hopelandais, je m'étais aussi promise de ne jamais être politicienne et je compte tenir mes promesses.
Aller dans cette école militaire en pleine forêt australiens est le moyen qui me permettra non seulement de tenir mes promesses, mais aussi de vivre la vie que je veux et non celle que l'on m'impose, réaliser mes rêves et être enfin épanouie. Loin de cette famille et de ses mensonges, loin de ce pays et ses problèmes de haines, d'appartenance politique et d'ethnocentrismes et loin de toute personne qui me connait.
C'est un rêve qui se réalise là et c'est avec un énorme sourire que je me suis endormie cette nuit.
Mais ce que j'avais oublié, c'est que l'homme propose et Dieu dispose et surtout qu'il ne faut jamais dire jamais.
__________________________________
Queen
16/03/2019
17 : 15