LXIX
La ville d’Is
Des marins de Douarnenez pêchaient une nuit dans la baie, au mouillage.
La pêche terminée, ils voulurent lever l’ancre. Mais tous leurs efforts réunis ne purent la ramener. Elle était accrochée quelque part. Pour la dégager, l’un d’eux, hardi plongeur, se laissa couler le long de la chaîne.
Quand il remonta, il dit à ses compagnons :
– Devinez en quoi était engagée notre ancre ?
– Eh ! parbleu ! dans quelque roche.
– Non. Dans les barreaux d’une fenêtre.
Les pêcheurs crurent qu’il était devenu fou.
– Oui, poursuivit-il, et cette fenêtre était une fenêtre d’église. Elle était illuminée. La lumière qui venait d’elle éclairait au loin la mer profonde. J’ai regardé par le vitrail. Il y avait foule dans l’église. Beaucoup d’hommes et de femmes avec de riches, costumes. Un prêtre se tenait à l’autel. J’ai entendu qu’il demandait un enfant de chœur pour lui répondre la messe.
– Ce n’est pas possible ! s’écrièrent les pêcheurs.
– Je vous le jure sur mon âme !
Il fut convenu qu’on irait conter la chose au recteur.
Ils y allèrent en effet.
Le recteur dit au marin qui avait plongé :
– Vous avez vu la cathédrale d’Is. Si vous vous étiez proposé au prêtre pour lui répondre sa messe, la ville d’Is tout entière serait ressuscitée des flots et la France aurait changé de capitale.
(Conté par Prosper Pierre. – Douarnenez, 1887.)
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La ville d’Is s’étendait de Douarnenez à Port-Blanc. Les Sept-Îles en sont des ruines. La plus belle église de la ville s’élevait à l’endroit où sont aujourd’hui les récifs des Triagoz. C’est pourquoi on les appelle encore Trew-gêr.
Dans les rochers de Saint-Gildas, quand les nuits sont claires et douces, on entend chanter une sirène, et cette sirène, c’est Ahès, la fille du roi Grallon.
Quelquefois aussi, des cloches tintent au large. Il est impossible d’ouïr un carillon plus mélodieux. C’est le carillon des cloches d’Is.
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Un des quartiers de la ville s’appelait Lexobie. Il y avait dans Is cent cathédrales, et, dans chacune d’elles, c’était un évêque qui officiait.
Quand la ville fut engloutie, chacun garda l’attitude qu’il avait et continua de faire ce qu’il faisait au moment de la catastrophe. Les vieilles qui filaient continuent de filer. Les marchands de drap continuent de vendre la même pièce d’étoffe aux mêmes acheteurs. Et cela durera ainsi jusqu’à ce que la ville ressuscite et que ses habitants soient délivrés.