Christopher
Une semaine s’était écoulée depuis l’arrivée de Mademoiselle Nyaké chez moi. J’avais eu le temps de l’observer, et je devais admettre qu’elle savait y faire. Elle réussissait à gérer mes trois pestes sans jamais entrer dans des conflits directs.
J’étais assis à table avec les enfants. La servante avait à peine posé nos plats et était sur le point de se retirer.
- Pouvez-vous informer Mademoiselle Nyaké que je voudrais la rencontrer dans mon bureau dès qu'elle aura mis les enfants au lit ?
- D'accord, monsieur, répondit-elle avant de se retirer.
Je me concentrai sur mon repas, qui était d’ailleurs délicieux : du foutou avec de la sauce graine. Le foutou est un mets à base de plantain et de manioc pilé, tandis que la sauce graine, elle, était faite à base de graines de palmier africain.
Les enfants terminèrent leur repas et se rendirent dans leur chambre pendant que je rejoignais mon bureau. J’étais vraiment exténué, mais j’avais besoin de boucler certains dossiers. Oui, je sais, c’était le cas presque tous les soirs, mais j’avais besoin d’occuper mon esprit pour étouffer ce sentiment de culpabilité qui ne voulait pas me lâcher.
J’étais concentré quand la porte s’ouvrit avec fracas.
- Bonne nuit, papa, firent irruption les enfants dans mon espace.
- Bonne nuit, les enfants, répondis-je en ouvrant les bras. Viens aussi, invitai-je Merveille, qui était restée légèrement en retrait.
Chacune me donna un bisou avant de se retirer. J’essayai de me concentrer après leur départ et, une demi-heure plus tard, j’entendis frapper à nouveau à ma porte.
Je me redressai et l’invitai à entrer. Mademoiselle Nyaké entra dans la pièce d’un air hésitant.
- Bonsoir, monsieur, dit-elle d’une voix légèrement tremblante. Vous avez demandé à me voir ?
- Oui, entrez, asseyez-vous, répondis-je en lui faisant signe. Vous êtes là depuis une semaine déjà, tout se bien ?
Mademoiselle Nyaké esquissa un léger sourire embarrassé.
- Je me plais beaucoup ici, monsieur. J’essaie de m’adapter comme je peux aux enfants… mais… il y a quelque chose dont je voulais vous parler. C’est à propos de Nathalie. Elle est… comment dire… assez récalcitrante et n’accepte pas vraiment mes instructions.
Je ne fus pas particulièrement surpris. Elle me parla de plusieurs épisodes : Nathalie commençait à étudier quand elle le voulait, pas quand sa nounou le lui demandait. Elle ne lui permettait pas d’accéder à sa chambre et lui parlait avec arrogance.
- Je suis partiellement surpris, je l’avoue. Vous savez, ma fille est assez rancunière, murmurai-je. Elle n’a certainement pas toléré que vous ayez, en quelque sorte, couvert Léonie dans cette histoire de roman. Elle aurait préféré que la ruse de Léonie soit mise à découvert et que cette dernière soit punie pour sa faute.
Gabrielle hocha la tête.
- Oui, je l’ai pensé moi aussi, dit-elle d’un ton embarrassé. J’aurais peut-être dû…
- Rien du tout. Vous aviez bien agi, je vous l’ai d’ailleurs dit le premier jour.
Je restai un moment à l’observer. Depuis une semaine qu’elle était ici, je l’avais très peu vue à l’œuvre, mais je devais admettre qu’elle avait du cran.
- Vous avez carte blanche, mademoiselle Nyaké. Agissez, mais gardez la situation sous contrôle. Nathalie doit comprendre que cette rancune ne lui fait aucun bien. De mon côté, je vais essayer de lui en toucher deux mots.
Elle sembla soulagée.
- Merci, monsieur. Je ferai de mon mieux.
- Au fait, je serai absent la semaine prochaine pour un déplacement professionnel. Je compte sur vous pour gérer les enfants pendant mon absence.
Elle se redressa, un peu plus assurée.
- Vous pouvez compter sur moi, monsieur. Je veillerai à ce que tout se passe bien.
Je lui souris.
- Parfait. Ce sera tout, Gabrielle.
Elle sursauta à ma phrase et releva brusquement la tête. C’était bien la première fois que je l’appelais par son prénom. Elle soutint brièvement mon regard avant de baisser à nouveau la tête, puis se leva brusquement et quitta la pièce.
Je restai un long moment à fixer la porte qu’elle venait de refermer. J’espérais vraiment avoir pris la bonne décision. J’avais horreur des situations qui m’échappaient, et en cet instant, je me sentais comme sur des sables mouvants, incertain de chacun de mes pas.