Prologue
Gabrielle
L'avion venait tout juste de se poser sur le tarmac de l'aéroport international Félix Houphouët-Boigny, me tirant un profond soupir de soulagement. J'étais enfin arrivée à destination, après un interminable périple. Mes yeux glissèrent sur les autres passagers qui dénouaient leur ceinture de sécurité avec une certaine frénésie. Je fis de même, sans le moindre enthousiasme, car après tout, personne ne m'attendait de l'autre côté de l'aéroport.
Je me levai enfin et attrapai mon sac à dos, que j'avais déposé plus tôt dans le coffre à bagages au-dessus de ma tête. Je me mêlai au flux des passagers et, quelques instants plus tard, nous étions pour la plupart installés dans la salle, attendant nos bagages qui avaient été transportés à la soute de l'avion.
Je n'avais qu'un petit bagage à main, mais comme le vol était complet, une hôtesse m'avait demandé de le déposer en soute. À contrecœur, j'avais dû céder.
Je me trouvais maintenant près du carrousel à bagages, impatiente de voir le mien apparaître. Après de longues minutes, je remarquai que la salle se vidait peu à peu et que le tapis roulant était désormais désert. Une dizaine de passagers, dont moi, était manifestement sans leurs bagages.
- Qu’allons-nous faire ? demanda une dame que j’avais déjà remarquée plus tôt dans le vol, à cause de sa silhouette fine, élancée, et de l’élégance naturelle qui se dégageait de chacun de ses gestes. C'est la première fois que cela m’arrive, et là, j'avoue être perdue.
- Nous devons nous rendre auprès du service des bagages égarés, lui répondis-je d'une voix calme. Il nous faudra remplir un formulaire et ils nous contacteront...
Je dus suspendre ma phrase car je venais de réaliser que je n'avais pas de numéro de téléphone à communiquer. J'avais quitté précipitamment ma maison et je m'étais assurée de ne laisser aucune trace derrière moi. J'avais laissé mon téléphone en prenant soin d'effacer tous les numéros utilisés précédemment et je l'avais ensuite réinitialisé. Je ne voulais en aucun cas être localisée.
- Vous disiez madame, m'interpella la dame, me tirant ainsi de mes pensées.
- Euh, euh… je disais qu'ils nous contacteraient quand nos bagages seront arrivés.
- Je vois, répondit la dame d'un air perdu.
Je me mis à fixer les différentes affiches à la recherche de celle indiquant “bagages perdus".
- Hey, Blake, tu étais dans le même vol que moi ? entendis-je la femme s’exclamer en allant embrasser avec enthousiasme un homme.
Je tournai la tête par curiosité et vis un homme grand de taille, je dirais aisément dépassant le mètre quatre-vingt-dix. Je ne pus distinguer ses traits car il était de profil. Je retournai la tête pour poursuivre mes recherches.
- Ha, Christelle, c’est toi ? ! Euh, je ne pense pas, répondit Blake en question d’un ton hésitant. Je viens du Sénégal et toi ?
La voix grave de l’inconnu me força à lever les yeux. Il était maintenant juste en face de moi, et je ne pus m’empêcher de le détailler avec curiosité. Il avait la peau très foncée, un regard perçant, une mâchoire marquée, et une barbe de deux jours qui renforçait son air viril. Mon regard glissa malgré moi sur son corps : une carrure musclée mise en valeur par une veste élégante. Tout chez lui respirait l’assurance et le confort d’un homme aisé.
Je détournai brusquement les yeux, me rappelant que tous ces détails ne m’intéressaient pas le moins du monde. Il pouvait bien avoir l’apparence la plus séduisante et le regard le plus inoffensif, cela ne voulait rien dire. Derrière les visages les plus charmants se cachent parfois les cœurs les plus sombres, je le savais trop bien. J’en avais déjà fait les frais et j’avais payé le prix fort.
Je sentis néanmoins son regard peser sur moi. Je fis semblant de ne rien remarquer et reportai mon attention sur les affiches devant moi.
C’est alors que mon regard tomba sur une plaque : “Bagages perdus”.
- Madame, c’est par là, dis-je à la dame avec qui j’avais échangé quelques mots plus tôt, en lui montrant la pancarte du doigt.
- Ok, merci, répondit-elle avec un sourire rapide, mais le regard toujours accroché à son ami.
Sans chercher à en savoir plus, je me dirigeai dans la direction indiquée, laissant le duo derrière moi.
- Blake, mon bagage n’est pas arrivé, entendis-je dans mon dos. Pourrais-tu m’attendre pendant que je fais la déclaration de perte ?
Je n’entendis pas la suite et m’éloignai rapidement. J’étais en rang depuis presque quinze minutes quand je sentis une main se poser sur mon épaule.
Je tournai la tête et vis que c’était la même dame.
- Il y avait une file aux toilettes, dit-elle en se plaçant naturellement devant moi.
Je fus un instant décontenancée. De quoi parlait-elle ?
Je jetai un regard derrière moi et réalisai qu’un long rang s’était formé après moi. J’étais tellement perdue dans mes pensées que je n’avais pas remarqué qu’une foule de passagers s'était accumulée.
Tout à coup, la situation me sembla plus claire. La dame n’était pas simplement distraite ; c'était une ruse pour prendre la place devant moi, faisant croire aux autres qu’on était ensemble.
Nous restâmes en file pendant encore une vingtaine de minutes, puis ce fut enfin le tour de la dame.
- Veuillez fournir votre numéro de téléphone, nous vous contacterons dès que votre bagage arrivera.
Elle le donna et s'éloigna rapidement sans plus me jeter le moindre regard.
- Madame, m'interpella la dame du guichet.
Je m'approchai et elle me tendit le formulaire à remplir. Je le saisis, puis commençai machinalement à inscrire "Tchamb" dans l’espace prévu pour le nom. Mais je m’interrompis brusquement, mon cœur s'emballant soudainement. Je sentis mes mains devenir moites et je pris une longue inspiration pour essayer de me calmer.
Je serrai le stylo avec fermeté, puis écrivit, d'une main plus assurée : Nyake Gabrielle.
- Votre numéro de téléphone madame, demanda la dame au guichet.
- Euh... je n'en ai pas...
Elle me regarda d’un air curieux avant de hausser simplement les épaules.
- Votre bagage devrait arriver avec le vol de demain, mais je vous conseillerai de revenir dans deux jours pour vous éviter des déplacements inutiles.
- Merci, madame, répondis-je d’un ton reconnaissant en m’éloignant.
Je sortis de l’aéroport et inhalai un grand bol d’air frais. Enfin, j’étais arrivée à destination, après un long périple. Je fermai un instant les yeux, tentant de chasser cette sensation de vide qui m'étreignait la poitrine. J’espérais que la Côte d'Ivoire m'offrirait la paix et la sérénité que j’avais perdues depuis trop longtemps.
J’étais perdue dans mes pensées quand un coup de klaxon me fit sursauter brusquement. Une voiture rutilante s’arrêta devant moi, et instantanément, je sentis mon cœur s’emballer. Qui était-ce ?
La vitre arrière s’abaissa, et avec soulagement, je reconnus la dame avec qui j’étais en rang tout à l’heure, assise sur le siège.
- Auriez-vous besoin que je vous dépose quelque part ? demanda une voix virile depuis l’habitable de la voiture.
Je baissai la tête pour distinguer les traits de la personne à qui appartenait la voix et découvris, sans surprise, ce Blake, qui me fixait intensément.
Je tournai ensuite la tête vers la dame et, sans peine, je remarquai l’expression contrariée qui marquait son visage.
- Euh, non merci, répondis-je.
- Cela ne me dérange vraiment pas, insista-t-il.
- Non, merci, répondis-je d’un ton plus sec, faisant instinctivement un pas en arrière et détournant la tête, les ignorant délibérément.
La voiture s’attarda encore un instant devant moi avant que j’entende la voix ferme de Blake, s’adressant manifestement au chauffeur.
- Vous pouvez y aller.
Je vis avec soulagement la voiture s'éloigner enfin. Je soufflai un instant, puis ouvris mon sac à dos et en sortis mon petit calepin. Rapidement, je hélai un taxi et lui donnai l'adresse du motel où je séjournerais pendant les premiers jours, le temps de trouver un logement.