Gabrielle
- Mademoiselle Nyakè, veuillez me suivre. Je vais vous mener à votre chambre, dit Chantal, la gouvernante, après les salutations d’usage.
J’étais arrivée chez les Koffi il y a moins de dix minutes, avec une valise contenant quelques-uns de mes effets personnels. J’avais en effet passé la journée de test hier, comme me l’avait demandé Monsieur Koffi. Les choses ne s’étaient pas déroulées exactement comme je l’aurais souhaité, mais j’avais été confirmée à la fin de la journée. Les filles avaient été polies, mais réservées. Nathalie n’avait pas semblé apprécier le fait que j’aie dit que sa sœur avait malencontreusement mis son livre dans son sac. J’avais l’impression qu’elle aurait préféré que je l’accuse ouvertement. Merveille, la petite dernière, était restée dans son coin, ne participant que lorsqu’elle était explicitement sollicitée. J’avais craint, un moment, que Monsieur Koffi ne change d’avis, mais heureusement, cela n’avait pas été le cas.
- Merci, madame. Vous pouvez m'appeler Gabrielle, lui dis-je gentiment.
- Et vous, appelez-moi Chantal.
La gouvernante me précéda dans l’escalier qui menait à l’étage.
- Voici la chambre de Nathalie, dit-elle en me désignant une porte. La vôtre est juste après, ajouta-t-elle en insérant la clé dans la serrure. Juste après la vôtre se trouve celle de Léonie et Merveille.
- D'accord, répondis-je poliment en la suivant à l'intérieur de la pièce.
J’eus la surprise de découvrir une chambre immense, baignée de lumière. Un grand lit trônait au centre de la pièce. Le sol en marbre ajoutait de l’élégance à l’ensemble, et un vaste dressing aux portes vitrées s’étendait le long d’un mur, reflétant la lumière qui entrait à flots par les grandes fenêtres.
- Je vais vous laisser vous installer. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez surtout pas.
- Merci beaucoup, répondis-je.
Chantal sortit ensuite de la pièce et referma la porte derrière elle.
Je me laissai tomber sur le lit, me demandant si, malgré tout, je n’étais pas en train de vivre un rêve éveillé. Je n’arrivais pas vraiment à être heureuse de la situation. J’avais l’impression d’avoir remis ma vie entre les mains de Monsieur Koffi.
J’avais vraiment intérêt à être une employée modèle, sinon je risquais de me retrouver à la rue du jour au lendemain.
Je me redressai du lit et saisis ma valise. Je l’ouvris et rangeai le peu d’habits qu’elle contenait dans le dressing. Je n’avais même pas occupé le dixième de l’espace disponible.
J’avais appelé mon bailleur la veille pour lui annoncer que je devais libérer mon appartement au plus tôt. Il avait insisté sur la clause du préavis de trois mois inscrite dans le contrat de bail. Il avait décidé de retenir ma caution, à moins que je ne lui trouve un autre locataire dans les mois à venir.
J’étais vraiment coincée. Où aurais-je pu trouver quelqu’un ? Je ne connaissais personne dans ce pays, et j’avais toujours tenu à vivre une vie de recluse. J’avais presque envie de pleurer en réalisant que je perdrais certainement tout l’argent que je lui avais versé.
En fin de compte, ce n’était peut-être pas plus mal. Ces trois mois me serviraient de test pour mon nouvel emploi. Je pourrais toujours retrouver mon appartement si les choses ne se déroulaient pas comme prévu, en espérant que le propriétaire n’ait pas trouvé quelqu’un entre-temps.
Je descendis ensuite et rejoignis Chantal, qui donnait des instructions à l’une des femmes de ménage.
- Vous allez mettre ceci dans la chambre de Monsieur, dit Chantal en désignant une bassine contenant des vêtements.
La domestique s’éloigna pendant que je me rapprochais de Chantal.
- En quoi puis-je être utile ? demandai-je.
- En rien du tout. Vous êtes ici pour vous occuper exclusivement des enfants. Vous ne devez rien faire avant leur retour de l’école, à 16 heures, à moins que l'une d'elle ne s'absente des classes.
Je réalisai, une fois de plus, que j’avais vraiment intérêt à garder cet emploi. Je remontai donc dans ma chambre et m’étendis sur le lit. Que faire ? J’avais énormément de temps pour moi, et je trouvais vraiment dommage de ne pas réussir à l’exploiter pour suivre une formation, même en ligne.
La maison était entièrement gérée par Chantal, assistée par le personnel de maison. Je ne pouvais m'empêcher de me demander ce qu'il en était de la mère de ces trois enfants. Était-elle décédée ?
Je dormis une partie de la matinée et me levai pour le déjeuner. Je fus servie dans la cuisine, où je partageai le repas avec les autres membres du personnel de maison.
Je passai une partie de l’après-midi au jardin à lire un livre : "Le Choix de l’amour", de l’auteure Justine Laure, que j’avais commencé il y a peu.
À 16 heures, les enfants firent leur retour à la maison.
- Bonjour les filles, dis-je avec un sourire chaleureux en allant à leur rencontre à leur descente de voiture.
- Bonjour, répondit froidement Nathalie en passant devant moi.
- Bonjour Gabrielle, lança Léonie d’un ton désinvolte, sans me prêter une attention particulière.
- Bonjour Gabrielle, me salua timidement Merveille en emboîtant le pas à ses sœurs.
Je restai un petit moment interdite. Je ne savais que faire sur le coup. Je n’avais jamais travaillé comme baby-sitter auparavant et je me sentais tout à coup saisie par l’anxiété. Et si je n’étais pas à la hauteur ?, me demandai-je le cœur battant.
J’étais intervenue la dernière fois lors de la dispute des filles, agissant par instinct, et j’avais fortement craint la réaction de Monsieur Koffi. Heureusement, il avait apprécié.
Je décidai de les suivre et d’aviser. Elles se rendirent dans leurs chambres et j’arrivai au moment où elles refermaient la porte. Je décidai de toquer timidement à la porte de Nathalie.
- Oui ? entendis-je sèchement de l’intérieur.
- Nathalie, as-tu besoin d’aide ? demandai-je gentiment en ouvrant la porte et en me tenant sur le seuil.
- Non, répondit-elle sèchement en s’approchant de moi, mais à ma grande surprise, elle me referma la porte au visage.
Je restai là un petit moment, choquée. Que faire ? Si j’avais suivi mon instinct, je serais entrée en trombe et lui aurais donné une gifle, mais je savais que ce n’était absolument pas la solution.
Je décidai de poursuivre mon chemin et d’aller toquer à la chambre des cadettes.
- Entrez, entendis-je de l’intérieur, et pour le moment, je n’étais pas en mesure de dire à qui appartenait la voix.
J’ouvris la porte et découvris Léonie en train d’ouvrir son sac et d’en extraire quelques affaires. Merveille, quant à elle, était simplement assise sur le lit. Je ne saurais dire pourquoi, mais cette petite m’inspirait beaucoup de bienveillance.
- La journée s’est bien passée à l’école ? demandai-je en entrant dans la pièce.
- Bof, me répondit négligemment Léonie.
- Assez bien, répondit timidement Merveille, sans oser me regarder dans les yeux.
- D’accord, je vais descendre apprêter votre goûter. Voulez-vous quelque chose en particulier ? demandai-je avec un sourire.
- C’est pareil pour moi, répondit Léonie sans relever la tête.
- Une pomme, s’il te plaît, répondit Merveille d’une petite voix.
- Savez-vous si Nathalie voudrait quelque chose de particulier ?
- Elle est trop compliquée, celle-là, répondit Léonie d’un mouvement de la main.
Je regardai un bref instant Merveille, mais elle ne semblait pas disposée à me répondre.
- Alors, on se voit tout à l’heure en bas, répondis-je d’un ton faussement joyeux.
Je me rendis à la cuisine et pris le nécessaire pour le goûter : du jus d’orange, des fruits, quelques amuse-gueules. Je les disposai sur un plateau, puis me rendis dans la salle dédiée aux devoirs.
Les filles me rejoignirent quelques instants plus tard. Elles se servirent et mangèrent en silence.
- Merci, Gabrielle, me remercia timidement Merveille.
- Je t’en prie, dis-je avec un petit sourire. Je saisis le plateau et le rapportai à la cuisine.
Je retournai ensuite dans la pièce et trouvai Léonie et Merveille, leurs cahiers ouverts devant elles. Nathalie, par contre, tenait son téléphone en main et échangeait certainement des messages.
- Nathalie, dis-je gentiment, tu devrais peut-être finir tes devoirs avant de traîner sur ton téléphone.
Elle releva la tête, me regarda brièvement, puis baissa à nouveau les yeux vers son téléphone. Je restai un long moment à l’observer avant de reporter mon attention sur ses sœurs.
- Avez-vous des devoirs pour demain ? demandai-je.
Merveille et Léonie me montrèrent ce qu’elles avaient à faire, et je leur donnai un coup de main. Après près d’une heure, Nathalie posa finalement son téléphone sur la table et commença à son tour ses devoirs, non sans m’avoir lancé un regard de défi.
Le reste de l'après-midi se déroula ainsi. Moi, contrôlant les devoirs des cadettes et Nathalie m'ignorant ouvertement. .
Nous avions à peine fini les devoirs que j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir. Nathalie et Léonie se levèrent en coup de vent, tandis que Merveille termina de ranger ses affaires avant de suivre ses sœurs.
Je sortis à mon tour et rejoignis la petite famille dans le hall d’entrée. Les deux grandes se jetèrent sur leur père tandis qu’une fois de plus, Merveille restait en retrait. Son père dut une fois de plus l’inviter à les rejoindre, exactement comme la veille et l’avant-veille.
- Bonjour, monsieur, dis-je en retrait, d’un ton poli et réservé.
- Bonjour, Gabrielle, répondit monsieur Koffi sur le même ton, après avoir brièvement posé son regard sur moi.
Il reporta ensuite son regard sur ses filles.
- Alors, mes princesses, ça va ? demanda-t-il avec un sourire, en contraste avec la réserve avec laquelle il s’était adressé à moi.
Il s’éloigna avec ses filles tandis que je restai là, sans trop savoir quoi faire. Je les vis emprunter les escaliers qui menaient aux chambres, et au lieu de tourner à droite, ils tournèrent à gauche, sûrement vers l'aile de la maison qu'occupait mon employeur.
Je me rendis donc dans la chambre des filles et apprêtai leurs affaires pour la nuit, ainsi que pour la journée du lendemain. Je descendis ensuite en cuisine et préparai leurs goûters pour le lendemain à l’école.
J’entendis, quelques instants plus tard, Monsieur Koffi descendre avec ses filles pour le dîner. Je mangeai dans la cuisine avec les autres et, à la fin de leur repas, j’accompagnai les filles cadettes se débarbouiller et enfiler leur pyjama pour la nuit. Nathalie, bien évidemment, m’avait ignoré et m’avait encore fermé la porte au nez. Encore heureux qu'elle ne l'ait pas claquée.
Je me rendis enfin dans ma chambre, pris un bain, puis m’allongeai sur mon lit. Pour un premier jour, je devais admettre que cela ne s’était pas si mal passé, mais j’étais bien consciente que j’avais vraiment du pain sur la planche : une colérique, une indifférente, une timide, il me fallait faire preuve d’énormément de patience pour réussir à les gérer.