On entend absolument tout, même le souffle de quelqu'un qui respire !
Mais ce qui est quand même sympathique et le top du top de mon appartement, c'est la vue imprenable sur Ouroboros. Cette ville a vraiment la forme d'un serpent qui se mord la queue. Je ne sais pas si les dirigeants de ce pays en ont fait exprès lors de sa construction et sur ses plans d'origine, mais c'est drôlement ironique à regarder. Surtout quand on sait dans quel cercle obscur elle se trouve. Néanmoins, ce paysage est magnifique de jour comme de nuit à regarder, même si Ouroboros craint un max j'aime cette vue. Elle me permet d'oublier ma vie si merdique, l'espace d'un instant en tout cas… Je bois souvent une bière devant ce panorama, ça me calme toujours avant d'aller dormir.
Mon immeuble est situé dans un des quartiers les plus malfamés d'Ouroboros, il y a souvent des trafics de d****e et des descentes de flics dans l'immeuble même en plein milieu de la nuit. Je peux être réveillé par des bruits de sirènes et de gyrophares à trois heures du matin, mais je suis habitué maintenant. Et puis, il y a souvent des meurtres et des règlements de compte ici à cause de ça. De nombreux cadavres sont retrouvés dedans et autour de la bâtisse. Il y en a tellement que maintenant : on l'appelle la « Tour Maudite », parce que le bâtiment forme une tour et que plus personne n'ose s'approcher de cet endroit. Sauf les dealers et les squatteurs en tout genre, vu que personne n'y prête attention et n'ose s'y aventurer. Même la quasi-totalité des appartements est désertée, la plupart des gens ont déménagé à cause de la peur et du sentiment d'insécurité qui règnent ici.
Tous sauf moi, car je n'ai pas les moyens de partir. Et que je n'ai aucun autre endroit où aller, vu que je suis orphelin depuis tout petit. Je ne connais pas mes parents biologiques, ni si j'ai des frères et sœurs. Mais c’est très bien comme cela, je n'ai clairement pas envie de savoir s'ils mènent la même existence dissolue et crève-la-faim que moi. Cette idée à elle seule, suffit à avoir raison de moi. J'ai papillonné de foyer en foyer toute ma vie, cependant, je suis content maintenant d'avoir enfin trouvé un endroit à moi, mon chez-moi ! Même si c'est en ruine, insalubre et minuscule ça reste ma maison avant tout. Je m'y sens comme un coq en pâte.
Ouroboros est situé dans le sud de la France à dix minutes de Bordeaux. Elle a été créée deux cents ans auparavant, pour y foutre tous les rejetés de la société et les déchets de l'humanité selon le « Gouvernement de France ». Il n'y a plus de démocratie depuis cette période. Elle a été remplacée par une dictature totalitaire dans le pays entier. Une autre révolution française a eu lieu, au moment où l’État changeait de régime politique. Des millions de morts, que ce soit du côté des civils où des forces armées, même du côté des gens riches hauts placés et des politiciens de l'époque. L'Etat a décidé après moults débats, de purifier la race humaine en incluant toutes les anormalités qu'ils ont jugés dignes, de les isoler en grand nombre et de les concentrer en un seul et même point.
Pour la sécurité et le bien-être des Français, pour qu'aucun autre conflit ou qu'aucune autre guerre n'éclate encore à nouveau... Cette décision du gouvernement a été prise bien avant la naissance de ma grand-mère, il y a hyper longtemps. Mais celle-ci tient cette histoire de la sienne, qui elle-même la tient de la sienne et ainsi de suite jusqu'à remonter deux cents ans en arrière, dans l'arbre généalogique... Puis, ils ont fini par bâtir une immense muraille impénétrable, tout autour de la ville, pour ne laisser rentrer et sortir personne de cet endroit maudit et sordide. Ouroboros représente toute l'imperfection, la faiblesse, l’ignominie et l’iniquité humaine.
Cette concentration injuste inclue : pauvres, chômeurs, handicapés mentaux et physiques, gitans, gens du voyage, romanichels, voleurs, violeurs et tueurs en série, les noirs, les arabes, les homosexuels, les transsexuels, les travestis et autres Drag Queens, ainsi que les dealers, les prostituées, les Polonais, les Turcs, les Russes, les Chinois, les immigrés clandestins, les asiatiques, les malformés physiquement et les orphelins. Tous ceux qui ne sont pas qualifiés de « normaux » et bien intégrés à la communauté française, sont châtiés et passent leur vie et leur mort ici. A l'intérieur de cette tombe abyssale, dont personne ne ressort jamais vivant et qui vous crève littéralement à petit feu... C'est sordide comme endroit, mais c'est là où je vis, je ne connais rien d'autre ni qui que ce soit ici... Il faut vivre, enfin survivre malgré tout, je me le dois, je ne suis ni un lâche ni un fuyard. Je suis là, je n'ai d'autres choix que de continuer à y être malgré tout. C'est aussi simple que cela.
Ce monde a besoin d'aide, d’une aide gratuite et pleine d'espoir. Quelqu'un qui sans contrepartie, vient secourir tous ceux qui en ont besoin. Rétablir l'ordre et la justice en ce bas monde, voilà quelle est la priorité pour sauver Ouroboros. Néanmoins, c'est plus facile à dire qu'à faire. Et personne ne sait comment s'y prendre, il faut que quelqu'un leur montre le chemin ou la voie à suivre. Quelqu'un ou plusieurs individus d'ailleurs, peu importe la façon dont il ou elle va s’y prendre. Le plus important est qu'on agisse au nom de tous et pour le bien de chacun dans cette ville, mais aussi dans notre pays en perdition. L'acte, la bravoure ainsi additionnées à la justice, voilà qui va donner un cocktail détonnant d'espoir. Ce dont nous avons le plus besoin, c'est de ça pour pouvoir avancer, retrouver une paix intérieure et un sentiment de sécurité. Ce qu'aucune personne ici-bas ne connait ou ne ressent encore... Il faut trouver un emblème ou un personnage qui représente tout ça à la fois, mais où le trouver ? Telle est la question, qui est des plus difficiles à résoudre. Malgré tout, je pense qu’on va mettre du temps à y répondre.
La vie reprend tranquillement son court quotidien, et je continue d'aller bosser en me demandant quel est le but de ma vie ici et pourquoi dans cette ville minable. J'enchaîne les clients et je ne vois pas le temps défiler. Il passe à vitesse fulgurante, je ne m'en suis même pas aperçu. Trois semaines s'écoulent calmement et avec ça, ses lots de problèmes et de criminalité habituels, rien de nouveau. Cependant, nous sommes déjà le week-end et je ne travaille pas ce samedi soir. Je décide donc d'aller dans un bar pour m'amuser un peu et surtout me détendre après encore une semaine bien éprouvante... Le bar en question s'appelle « le Mortifère », un bouge très connu par ici. Je le connais bien, j'ai souvent mes habitudes là-bas. Et tout le monde me connait également, surtout le personnel. Je m'installe au comptoir tranquillement en saluant la barmaid et les serveurs au passage. Je commande mon cocktail habituel, une Pinnacolada assez douce à base de rhum et de liqueur à la noix de coco. J'ai beau être un homme, j'adore tout ce qui est sucré et cette boisson en fait partie, un breuvage de femme. Ou peut-être que j’ai gardé mes goûts enfantins, allez savoir. La barmaid me le prépare tranquillement pendant que je règle la note. L'intérieur est surabondé de monde et d'agitation en tout genre. Tellement de bruit, que c'est la cacophonie là-dedans. On ne s'entend plus parler. La musique assez ambiancée du genre électronique couvre l'entièreté de la pièce, avec les cris et les discussions environnantes. J'aime vraiment voire tout ce beau monde, en cohésion totale et de bonne humeur. Cela me remplit de joie, voilà pourquoi j'adore venir ici et que je passe souvent dans le coin, juste pour boire un verre. On a pas l'impression que la ville est sous le joug des criminels et si torturée par le mal, vu d'ici…
Une fois mon rafraîchissement servi, je bois à peine une gorgée que je me tourne vers l'immense écran plat de huit cents centimètres devant moi. Juste à côté du bar, dans un coin qui prend tout un pan de mur. Il faut bien cela pour une télévision de cette envergure ! Puis, j'observe avec attention les informations diffusées à ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, mais le contenu m’ai familier, même si l’ambiance ne s’y prête pas vraiment. Ils parlent d'une éclipse lunaire et solaire qui va avoir lieu à vingt-deux heures ce soir. La « Lueur Divine » l'appellent-ils étrange comme nom, mais ça ne m’étonne guère plus que cela car tout est bizarre et démesuré dans cette ville. Je n'y prête pas vraiment attention quand soudain, un ami à moi fait son apparition et s'assied à côté de moi.