Une ville en perdition...
Le crime fait rage, le chaos et la désolation s'emparent des lieux avec férocité et ils dominent l’horizon de part en part. Ils règnent en maîtres sur la ville et le territoire tout entier. Ils mettent « Ouroboros » à feu et à sang. Nommée ainsi car la cité représente le serpent qui se mord la queue, c'est tout à fait ça ici. Voilà ce qu’est la signification de ce nom maudit, synonyme de malheur.
En son sein, un cercle infini de mal qui agit entre ces murs, il est plus présent que n'importe quelle autre entité vivace ici-bas. Cela ne s'arrête jamais et empire d'année en année... Le taux de criminalité est de quatre-vingt-dix-neuf pour cent, la pauvreté, le chômage, la faim, la violence, la p**********n, la d****e, les trafics d'humains et d'organes, ainsi que la corruption et les pots de vin sont monnaies courantes. Ouroboros qui m'a vu naître et grandir court droit à sa perte. L'effroi, la misère, la violence, la souffrance et le désespoir s'amoncèlent au-dessus de nos têtes et une pénombre des plus obscures engloutie cette cité sans pouvoir s’estomper...
Ce sentiment d'insécurité entremêlé de malaise, d'amertume et de désarroi je le ressens tous les jours dans mes tripes. Une douleur et une pression plus dures et plus présentes chaque jour à mesure que les semaines et les mois défilent. Une épée de Damoclès se tient fermement là et englobe de toute part cet endroit infâme et craint de tous. Une sorte de boulet qu'on doit traîner aux pieds toute sa vie.
J'ai grandi là, dans un quartier miséreux de cette ville en ruine et sans aucune échappatoire pour moi.... C'est un véritable coupe-gorge et un crève-cœur d'habiter ici tous les jours... Un nid à emmerdes et à déchets, voilà ce que je pense à ce moment-là malgré moi. C’est paradoxal, car cette ville je la désire tout autant que je la craints.
Je ne suis qu'un minable petit opérateur de station-service, dans un coin malfamé de la ville. Ma station s'est déjà faite braquée huit fois, dont cinq où j'étais derrière la caisse. Je peux dire que ça fait très peur, quand on nous pointe un flingue sur la tête ou la poitrine qu'il soit chargé ou non… Ensuite, se faire braquer huit fois au même endroit ce n'est certainement pas courant autre part ailleurs. Cependant ici à Ouroboros, c’est devenu habituel et donc une situation des plus banales. Je me demande toujours pourquoi mon patron n'a pas fermé d'ailleurs, sûrement par énergie du désespoir. Puis peut-être aussi parce qu'il va crever de faim comme tout le monde ici, s’il ferme... Pas le choix, il faut faire avec... Il a renforcé la sécurité avec des caméras de surveillance mais malheureusement, elles ne fonctionnent pas tout le temps ici, sûrement par manque de moyens encore une fois...
Nous possédons une ancienne télévision mais qui fonctionne encore toutefois. Tous les jours aux infos, y compris sur mon lieu de travail, je vois le crime se faufiler à travers chaque interstice, chaque entraille de cette ville et s'y abattre tel un chien enragé. Une information un peu inhabituelle cependant, m'interpelle quand même un instant ce jour-là en zappant les chaînes. La présentatrice annonce que dans trois semaines jour pour jour, va avoir lieu une éclipse à la fois lunaire et solaire. Que le phénomène est immensément rare, dû au fait qu'il n'a eu lieu qu'une seule fois et c'était il y a mille ans, et va se reproduire encore mille ans après notre ère. Elle est sur le point d’expliquer comment se déroule le phénomène.
La lune et le soleil tournent autour l'un de l'autre, allant jusqu'à s'enchevêtrer profondément ensemble pour ne former plus qu'un seul et même astre. Puis une heure plus tard, ils se décroisent et repartent à leurs places initiales. Cette fusion qui provoque une éclipse anormale est appelée : « Lueur Divine », car ses rayons sont d'une couleur exceptionnelle, mélangeant toutes celles connues de l'arc-en-ciel et d'une lueur chatoyante et incandescente. Cet éclat est tellement fort que la circulation doit être arrêtée, ajoutée au fait que l'on doit rester chez soi. C'est une obligation plus qu'une recommandation. Puisque cette lumière peut nous brûler la rétine et nous rendre aveugle, en plus de nous cramer la peau au troisième degré. C'est un spectacle magnifique, certes, mais à ne pas prendre à la légère toutefois.
Cette éclipse va avoir lieu le samedi vingt-deux décembre de cette année deux mille deux cent vingt-deux. Coïncidence ou destin divin ? Nul ne le sait, pourquoi à cette date précisément, mais elle a une connotation mystique. Je note néanmoins l'information sans grande importance dans mon esprit, pour la laisser filer pratiquement aussitôt après. Puis j'éteins l'écran, car cet événement n'a pas du tout lieu d'être pour moi, je m'en tape...
Cette parenthèse mise de côté, je repense déjà au sort désastreux dans lequel se trouve ma ville. Je ne supporte pas de voir tout cela se produire, les forces de l'ordre et les autorités sont complètement dépassées par les événements et ils ne font rien pour ses habitants de France. Ou plus communément appelés les rejetés de la société, nous. Ils arrivent souvent trop tard, où n'ont pas le temps de réagir face à une situation d'urgence. Voici comment la pourriture a envahie notre communauté. Et c'est aussi pour cela que je ne regarde plus la télévision depuis un moment, toujours d’horribles nouvelles chaque jour, pour nous enfoncer un peu plus dans le mépris et le désespoir le plus profond !
Je termine mon service de la journée, encore sur une note négative et éprouvante aujourd'hui. Nous ne sommes encore que mardi, il va me falloir encore beaucoup de courage pour affronter le reste de la semaine qui s'annonce étouffante... Je suis déjà blasé, face à tant de monstruosité que la France subi à cet instant. Comment en sommes-nous arrivés là ? Je me pose souvent la question sans jamais avoir de réponse, bien entendu... On est quand même en deux mille deux cent vingt-deux, la situation ne peut pas être pire que maintenant, si ?
Quand j’étais petit ma grand-mère me racontait souvent cette histoire, qu’elle tenait de sa mamie à elle quand elle était plus jeune, qui, elle-même la tenait également de la sienne, etc. Tout ça, à remonter deux cents ans en arrière, eh bien, de son temps les gens vivaient en harmonie. Ils se soutenaient les uns les autres, faisaient preuve de solidarité et d'humanité. La générosité, mais surtout la justice existait encore. Et les coupables payaient pour leurs crimes présents ou passés. Il faisait bon vivre. On n’avait pas peur d'affronter demain, de regretter hier, ou d'exister aujourd'hui. On a perdu tout cela depuis longtemps nous et on ne connait pas ces sentiments positifs. Ces sentiments de sécurité, de joie de vivre, d'entraide, de solidarité et d'espoir, nous sont totalement étrangers à nous les Français. Je ne ressens jamais un tel degré de béatitude, de toute ma vie et la paix intérieure m'est totalement inconnue. C'est à un point à me demander ce que cela peut bien être. Je ne le sais pas et ne le saurais probablement jamais. Tout cela se termine en conclusion bien triste. Mais bon, vaille que vaille, il faut bien vivre et faire avec.
Une fois arrivé chez moi, je m'effondre d'épuisement sur mon lit, las de cette journée d'ennui et d'emmerdes infinis. J'habite un minuscule box aménagé en appartement. Parce que c'est comme ça qu'on fabrique les immeubles ici, d'abord pour le faible coût des matériaux et de l'installation mais aussi par souci de recyclage. Le vieux avec le neuf et vice versa, car la ville n'a clairement pas les moyens de faire autrement avec autre chose.
Je suis au dixième étage, eh bien évidement pas d'ascenseur, donc pour les courses c'est bien galère. Obliger de tout me taper à pied, c'est l'histoire de ma vie. Une vie misérable, avec un boulot et un logement misérable... Le comble du comble, c'est que c'est riquiqui même pas de quoi mettre un canapé ou un bureau … Pas plus de quinze mètres carrés habitables dans cette boîte serrée comme une sardine, très clairement... J'ai juste de quoi pouvoir mettre mon frigo, un lit une place, une télévision et un micro-ondes. Eh bien-sûr, la douche dans un coin mais elle ne fonctionne qu'une fois sur deux. Pas de balcon, ni de terrasse pour souffler et prendre un peu d'air frais même s'il fait très chaud l’été. En pleine journée, ça peut être un four là-dedans dû à la taule métallique du container. Et les toilettes sont communes et sur le palier par manque de chance, une fois de plus…
Enfin, bien sûr, pas d'insonorisation ici, on entend tout et n'importe quoi tout le temps... Même quand un voisin va pisser, on est tout de suite au courant ou quand quelqu'un se déplace, quand une dispute éclate, etc...