Prologue
Le métier de médiateur n’était vraiment pas un métier aisément accessible. Il nécessitait beaucoup de doigté, requérait une grande connaissance dans de très nombreux domaines comme le légal intermondes, l’histoire et les cultures interraces – toutes plus complexes les unes que les autres –, la supra industrie et l’univers fallacieux des trusts syndicaux de cette partie de la confédération, mais il imposait également de posséder un sens inné de la diplomatie ainsi que l’art acrobatique. Le métier s’avérait accaparant et astreignant ; il exigeait une intransigeance et un relationnel de haute volée !
Pourtant, c’était le métier de Kathleen, le métier qu’elle avait cru maîtriser suffisamment pour traiter n’importe quel dossier qui lui était proposé, du moins jusqu’à ce tout récent qui lui était tombé entre les mains, de manière tout à fait inopinée alors même qu’elle n’en voulait pas. Un dossier brûlant qu’elle avait commencé par refuser, pressentant déjà combien il lui coûterait de temps et de difficultés. Elle avait eu le sentiment d’avoir opté ensuite pour les meilleures alternatives diplomatiques tout au long des échanges délicats qui avaient suivi. Mais les évènements lui avaient échappé comme parfois cela arrive, des évènements dont elle n’avait pas même envisagé la survenue et qui avaient ébranlé sa confiance et son autorité. La toute dernière option qu’on lui avait brandie sous le nez, telle une bannière sous les naseaux de l’un de ces animaux mythiques de l’ancienne Terre, la surprenait encore par ses conséquences potentielles.
La célèbre compagnie au sein de laquelle elle officiait depuis plusieurs années l’avait pleinement instruite jusqu’à ce qu’elle puisse gérer les arbitrages les plus complexes des Trois Marches, la plupart du temps dans leur intégralité, et sans l’aide de consultants surnuméraires. Elle n’avait besoin que de quelques assistants qui puissent lui préparer le travail en lui fournissant les informations premières qui allaient enrichir chacun des dossiers de ses prestigieux clients. Jacks Holdern, son mentor et l’un des associés prioritaires de l’agence de médiation, l’avait encadrée lui-même, lui assurant une formation poussée et l’aidant à atteindre une certaine forme d’expertise dans son domaine.
Pourtant, le contexte politique extra-monde n’avait jamais été aussi délicat. Contenir au sein de la Communauté des Systèmes, représentée par les mondes d’Adifax, de Voltaïr et de Valianh, un équilibre se basant sur autant de peuples différents du fait de leurs origines autant que de leurs mutations s’avérait un challenge de tous les instants pour toute agence de médiation ayant pignon sur rue dans les quartiers d’affaires de Teralhen, la belle capitale stelhene.
Afin de travailler sur le contrat le plus célèbre du moment, Kathleen avait dû opérer quelques choix difficiles, dont celui d’abandonner sa fonction au sein de la Confrérie de l’Herein. Les missions tentaculaires de cette dernière se focalisaient notamment sur la protection des Stelhens contre le terrorisme invasif humanoïde et mutant qui infiltrait Stelhenia au travers des autres mondes de l’Alliance des Trois, sur la lutte contre la propagation des mutations et, en fait, contre toute forme de supériorité étrangère pouvant entraîner une hégémonie sur le monde stelhen.
C’est le Grand Architecte du Commandeur Liothëis qui l’avait intégrée au sein de la fabuleuse organisation secrète pro-étatique, peu après que Kathleen ait achevé ses études au Centre des Hauts Apprentissage. Paüul Holdern avait été furieux lorsqu’elle lui avait remis sa démission lors du dernier Comité Exécutif auquel elle avait assisté, tandis que les membres de l’Herein tentaient d’exercer sur elle une forme de chantage en exigeant qu’elle cesse de s’impliquer sur le dossier sensible qu’elle venait tout juste d’amorcer.
Mais aussi, quelle idée avait-elle eu d’accepter de le prendre en main et de traiter avec la race la plus abhorrée, et d’une certaine façon, la plus effrayante des Trois Marches ? Pas seulement de traiter avec cette race emblématique de toutes les mutations qui marquait de son sceau malfaisant ceux qu’elle côtoyait, mais de l’une des pires mutations se propageant entre ressortissants xénobians et natifs de toutes les autres races de la Confédération des Trois, engendrant la mort sur son chemin pour les individus de sexes opposés lorsqu’ils étaient approchés puis infectés. Hélas, l’une des raisons qui justement l’avaient conduite à accepter ce dossier explosif résidait dans son réel intérêt pour les sciolaëbi, et plus particulièrement pour la biolaëb.
Une vraie passion qui l’amenait à se mobiliser en parallèle de son métier de médiatrice, pour l’association humanitaire TeraLab. Celle-ci avait mis à sa disposition un laëbanh équipé de tout le matériel dernier cri qu’un sciolaëben pouvait espérer.
Avec l’aide d’un biolaëben, en la personne d’Ethan Barkläem, la jeune femme travaillait sur une solution à la xénogenèse, cette mutation xénobianne qui contraignait les Xénobians à limiter leurs contacts avec les autres populations et surtout avec les membres du sexe opposé. La mutation générée par leur organisme provoquait des désordres hormonaux ayant un impact sur le génome des hommes et des femmes, quelle que soit leur appartenance à un monde ou un autre. Les conséquences étaient sans appel et la mort survenait dans la majorité des cas. Une mutation que jusqu’à ce jour, aucun des grands cerveaux des plus signalés laëbanhs dans les Trois Marches n’avait pu endiguer. Kathleen s’était donné cette mission particulière qui accaparait ses pensées, rongeait toute autre considération chez elle, que cette recherche envahissante. D’un côté, les sciolaëbi œuvrant à l’éradication de cette intrusion d’un code génique déviant, de l’autre, la politique et la diplomatie par le biais de la médiation. Ces deux grandes orientations qui constituaient toute sa vie et dont chacune aurait pu nourrir son intellect, son existence durant. Deux vastes projets qui lui mangeaient l’entièreté de son temps et de son énergie.
Mais il y avait une seconde raison qui l’avait décidée à vouloir finalement approfondir le dessein xénobian et à le prendre en main ; une raison plus personnelle, une raison inavouable : sa fascination presque morbide pour le personnage qui avait enjoint la World Wide Compagny à lui attribuer l’un de ses plus insignes médiateurs ; et ce personnage à la fois charismatique et versatile qui avait décrété sa participation volontaire n’était autre que le roi d’Althaïe et prince régnant de Xénobia. Et aujourd’hui, elle se trouvait entre ses mains, captive de son vaisseau.