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Yulia
Je cours sans bruit sur la moquette du couloir avec le goût amer et poisseux de la trahison dans la bouche.
Imbécile. Idiote. Dura. Debilka. Je m’insulte dans les deux langues, incapable de trouver assez de mots correspondants à ma stupidité. Comment ai-je pu faire confiance à Lucas, ne serait-ce qu'une seule seconde ? Je sais ce qu’il veut de moi, mais j’ai quand même cédé à ce désir stupide, à des rêves qui auraient dû disparaître au moment où j’ai su qu’il était encore en vie.
Celui dont j’ai rêvé en prison n’a jamais été rien de plus qu’un produit de mon imagination.
La technique d’interrogatoire qu’il a utilisée avec moi est on ne peut plus simple. Premièrement : se rapprocher de l’ennemi et comprendre ses motivations. Deuxièmement : l’écouter avec bienveillance et feindre de s’y intéresser. C’est la ruse la plus ancienne au monde et je me suis laissée duper.
J’ai tellement été privée de chaleur humaine que j’ai laissé un ennemi lire dans mon âme.
— Yulia ! j’entends Lucas courir derrière moi, mais je suis déjà dans la salle de bain. Je m’y précipite, je ferme la porte à clé et je m’y adosse en espérant l’empêcher de l’enfoncer, du moins quelques instants.
— Yulia ! Il tambourine à la porte et je la sens trembler, un tremblement qui fait écho au mien. De nouveau, j’ai froid, le froid glacé de mon cauchemar est revenu. Pourquoi ai-je parlé de Kirill à Lucas ? Je n’ai jamais confié cette histoire à qui que ce soit, si ce n’est à la thérapeute de l’agence. Évidemment, Obenko était au courant, c’est lui qui a ordonné l’exécution de Kirill, mais je ne lui en ai jamais parlé.
En dehors des séances obligatoires de thérapie, je n’en ai parlé à personne avant de le dire à Lucas.
— Yulia, ouvre cette porte. Il arrête de taper et sa voix redevient calme et enjôleuse. Sors, et nous allons en parler.
En parler ? J’ai envie de rire, mais j’ai peur d’éclater en sanglots. Lors de mon recrutement, la thérapeute de l’agence a exprimé une inquiétude, je ne serais pas assez détachée de ma mission, le fait d’avoir perdu ma famille si jeune me rendait facile à manipuler. C’est une faiblesse que je me suis efforcée de surmonter, mais visiblement sans succès.
Il a suffi d’un signe de tendresse, de sa colère à cause de ce qui m’est arrivé, et je me suis retrouvée si malléable entre les mains de Lucas.
— Yulia, tu n’as rien à faire dans cette pièce. Sors, ma chérie. Je ne te ferai aucun mal, je te le promets.
Ma chérie ? Une colère brûlante m’envahit et chasse en partie mon froid intérieur. Il me prend vraiment pour une idiote ?
Je recule, je me retourne, et j’ouvre la porte. Lucas a raison : je n’ai rien à faire dans cette pièce si ce n’est me faire d’amers reproches. Je ne peux rien changer à ce qui s’est passé. Je ne peux pas revenir en arrière, j’ai fait confiance à un homme qui désire avant tout se venger.
Mais par contre, je peux retourner la situation.
Quand la porte s’ouvre, je lève le regard vers Lucas et je laisse enfin couler les larmes qui me brûlent les yeux.