Chapitre 6-1

730 Words
6 Lucas Elle est debout dans l’embrasure de la porte, si belle et si vulnérable que mon cœur se serre dans ma poitrine. Ses yeux brillent de larmes et quand je tends la main vers elle, elle croise les bras sur son torse nu pour se protéger. — Non, viens ici, ma chérie. J'ouvre les bras et je l’attire vers moi, non sans avoir vérifié que ses mains sont vides et qu’elle n’y cache rien pour me blesser. Malgré toute sa vulnérabilité, je ne peux oublier qu’Yulia est une espionne aguerrie qui a déjà tenté de me tuer. À mon soulagement, elle est sans arme si bien que je la serre dans mes bras. — Je suis désolé. Je caresse ses cheveux en murmurant : je suis tellement désolé. Sentir sa peau nue contre la mienne éveille de nouveau mes sens, mais je me concentre pour faire comme si ses seins ne s’appuyaient pas contre ma poitrine. Je ne veux pas me laisser distraire par le désir, surtout pas après ce que je viens d’apprendre. Je sais que ce n’est pas logique. Le fait qu’elle ait été abusée ne devrait pas avoir d’importance. Les individus les plus pervers que je connaisse ont eu un passé douloureux et je n’ai jamais eu tendance à me montrer indulgent à leur égard. S’ils ont fait une connerie, ils doivent payer. Personne ne s’en tire autrement avec moi et pourtant c’est exactement ce que j’ai l’intention de faire avec elle. Mon virage à quatre-vingts degrés est si brusque que j’ai envie de me moquer de moi-même. Elle est ici depuis moins de vingt-quatre heures et les plans que j’avais la concernant se sont déjà évanouis en fumée. C’était à prévoir, j’imagine, étant donné que je suis incapable de penser à autre chose qu’à elle depuis deux mois, l’intensité de mon désir et les sentiments gênants qui l’accompagnent continuent à m’aveugler. Elle a tué plusieurs douzaines de nos hommes et elle a failli me tuer. Cette pensée qui m’a toujours rendu fou ne réveille désormais que de lointains échos de ma rage passée. Elle faisait son boulot, elle accomplissait la mission qui lui avait été confiée. J’ai toujours su que ça n’était pas dirigé personnellement contre moi, mais avant ça n’avait pas d’importance. Œil pour œil, c’est ainsi qu’Esguerra et moi avons toujours fonctionné. Si tu as trahi, tu dois payer. Sauf que je ne veux plus faire payer Yulia. Elle en a assez vu, d’abord en prison en Russie, ensuite avec moi. Au lieu de me venger sur elle, je vais me concentrer sur les véritables responsables : les membres de l’agence qui lui ont donné cette mission. — Retournons nous coucher, dis-je en me dégageant pour la regarder. Elle s’est arrêtée de trembler, mais son visage est toujours baigné de larmes. Il est encore tôt. Elle hoche sèchement la tête. — Non, je ne peux plus dormir. Je suis désolée, mais ce n’est pas possible. — D’accord. Le soleil commence déjà à se lever, ça n’a donc pas d’importance. Veux-tu manger quelque chose ? Elle se dégage de mon étreinte et recule d’un pas. — Encore un sandwich ? Sa voix est tremblante, mais j’y décèle aussi une note d’amusement. — J’ai aussi de la soupe, dis-je en essayant de ne pas regarder son corps mince et nu. Elle cligne des yeux. — Quel genre de soupe ? J’ai oublié de regarder dans la casserole avant de la mettre au frigidaire. — Elle vient de chez Esguerra. Sa bonne me l’a donnée hier soir. Je suis surpris de voir un petit sourire sur les lèves d’Yulia. — Vraiment ? Ils te donnent aussi leurs restes ? — Non. Sa pique qui n’est pas très subtile me fait rire. Mais j’aimerais bien qu’ils le fassent. La gouvernante d’Esguerra est une excellente cuisinière et moi je suis vraiment nul. Yulia hausse les sourcils. — Sérieusement ? Moi je sais faire la cuisine. — Ah bon ? Je ne m’attendais pas à ce que nous puissions plaisanter ainsi et ça me fait plaisir. On t’a appris ça chez les espions ? — Non, j’ai appris quelques recettes de base en arrivant à Moscou. J’avais une bourse d’études, mais pas assez d’argent pour manger au restaurant. Ensuite, je me suis aperçue que j’aimais faire la cuisine et j’ai commencé à essayer des recettes plus compliquées. En me souvenant de la nature de son foutu boulot ma bonne humeur disparaît. — Tu n’étais pas payée ? — Quoi ? Elle semble prise de court. Si, bien sûr que si. Mon salaire était versé sur un compte en Ukraine. Mais, je ne pouvais pas y avoir accès, je devais vivre comme une étudiante sinon j’aurais été démasquée par le Kremlin. Bien sûr. La vie d’agent secret par excellence. — D’accord, dis-je en me forçant à badiner. Pour le moment, on va goûter la soupe et plus tard tu me montreras peut-être ce que tu sais faire en cuisine.
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