Chapitre 1
Point de vue d’Olivia
La voix de ma mère se glissa dans mon sommeil comme une lame froide.
« Olivia. Debout. »
Je m’enfouis davantage sous la couverture, les muscles encore lourds.
« Laisse-moi respirer… juste quelques minutes. »
« Pas une seconde de plus », répliqua-t-elle en secouant ma jambe avec une fermeté qui chassa toute envie de négocier. « Lève-toi. On est déjà en retard. »
Je entrouvris les yeux, la vision floue d’une silhouette impatiente se découpant au pied du lit.
« Tu dors encore alors que tous les autres ont déjà commencé leur service ? Tu veux que le chef des domestiques nous remplace ? » Elle me fixait, mains sur les hanches, tapant du pied avec une précision presque militaire.
Je laissai échapper un long soupir et jetai mes couvertures sur le côté.
« Ça va… je me lève. »
« Anita passe le week-end aux écuries. Elle t’a désignée pour s’occuper d’elle », annonça-t-elle sans douceur.
Je grimaçai. « Pourquoi toujours moi ? Il y a d’autres domestiques parfaitement capables. »
« Ne recommence pas, Olivia », coupa-t-elle, me poussant vers la salle de bain. « On n’a pas de marge d’erreur. Dépêche-toi. »
Je traversai le couloir en traînant les pieds, la tête encore pleine de sommeil, et ouvris le robinet d’un geste agacé.
L’idée de passer la journée à servir Anita me donnait envie de vomir.
Anita et moi avions longtemps été inséparables. Nées à quelques heures d’intervalle, élevées ensemble, complices dans tout. Nous avions couru, ri, rêvé côte à côte. Avant que le monde ne bascule.
Mon père, guerrier respecté de la meute. Ma mère, soignante appréciée. Notre famille n’était pas riche mais elle avait une place honorable.
Puis la nuit de l’installation avait tout détruit.
Je fixai mon reflet dans le miroir, et les souvenirs envahirent ma pensée. Le piège. Les fausses preuves. L’accusation de vol envers l’Alpha. Mon père, condamné malgré son innocence. L’effondrement de tout ce que nous étions.
Cette nuit-là, Anita n’avait pas levé un doigt pour nous défendre. Même pas un regard pour moi, alors que nous étions humiliées au milieu de tous.
Les années avaient passé, l’ancienne Bêta était morte, son père avait pris sa place. Et Anita, devenue fille de Bêta, évoluait avec aisance dans un monde où je n’avais plus ma place.
Quant à moi ? Une oméga, au bas de l’échelle.
Ce qui rendait la situation encore plus amère, c’était la passion que les triplés — Louis, Levi et Lennox — lui vouaient. Les futurs Alphas la suivaient comme s’il s’agissait d’un astre autour duquel ils gravitaient. Ils étaient persuadés que l’un d’eux deviendrait son âme sœur après son dix-huitième anniversaire, qui approchait dangereusement. Ils rivalisaient pour obtenir ses faveurs et, parfois, j’avais l’impression de suffoquer en les voyant.
Ou peut-être étais-je simplement envahie d’un sentiment inavouable : la jalousie.
Une fois habillée et prête, je rejoignis la cuisine. Ma mère, les mains plongées dans la préparation du petit-déjeuner, leva brièvement les yeux.
« Ma chérie, je sais que tout cela est difficile. Mais nous n’avons plus le droit à un seul faux pas. Tu comprends ? »
Je hochai la tête, même si mes entrailles se nouaient d’amertume.
J’étais née fille d’un Gamma. Aujourd’hui, j’étais réduite au rang d’ombre.
« Tiens. » Elle me tendit un plateau avec une tasse fumante. « Elle l’a exigé. »
Je pris une inspiration pour me calmer, saisis le plateau et me dirigeai vers la chambre d’amis.
« Notre âme sœur finira par apparaître », souffla ma louve, tentant de m’apaiser.
Je laissai un rire sans joie m’échapper. Oui, sûrement un oméga inconnu, coincé à l’autre bout de la hiérarchie. Rien n’allait changer.
Arrivée devant la porte d’Anita, j’expirai longuement et frappai.
Pas de réponse.
Je frappai à nouveau.
« Entrez », lança-t-elle.
Je poussai la porte prudemment, tête inclinée. « Votre café », murmurai-je.
Un gloussement discret me fit relever les yeux. Pas assez vite, hélas.
Anita, lovée contre Louis, s’échangeait des murmures qu’elle savait trop intimes. Sa robe de chambre glissait, révélant sa lingerie rouge. La chemise de Louis pendait ouverte, dévoilant ses muscles, ses lèvres effleurant son cou.
Je reposai aussitôt les yeux sur le sol et déposai le plateau, prête à repartir.
« Reste-là », ordonna-t-elle d’une voix coupante.
Je me raidis.
Elle se tourna vers Louis, l’embrassa avant de pousser un soupir volontairement sonore, puis se leva et s’avança vers moi, se pavanant dans sa tenue presque inexistante.
Elle prit la tasse, fit tournoyer le café comme si elle jugeait un vin médiocre, puis huma la vapeur avec un air dégoûté.
« C’est censé être bon ? » demanda-t-elle.
« Je l’ai préparé selon vos habitudes », répondis-je d’une voix maîtrisée, même si ma louve grondait, décidée à faire éclater ma colère.
Ses yeux se chargèrent de mépris, et avant que je ne comprenne, le café brûlant m’aspergea la poitrine et les bras. Je me mordis la lèvre, les larmes de douleur menaçant de jaillir.
« Serre encore une boisson aussi atroce, et je te la renverse sur le visage », lança-t-elle comme une sentence.
Louis, toujours assis sur le lit, me regarda à peine. Lâche.
Je restai immobile, sentant le liquide brûlant imbiber ma robe et me piquer la peau.
« Je suis désolée s’il ne vous convient pas », murmurai-je péniblement. « Je peux le refaire. »
Anita éclata d’un rire sec.
« Inutile. Efforce-toi seulement d’être moins pitoyable la prochaine fois. »
Elle se détourna et rejoignit Louis, qui la ramena contre lui pour reprendre sa scène de passion comme si je n’existais pas.
« Tu es renvoyée », déclara Louis, sans conviction.
J’inclinai la tête et quittai la pièce en silence, la honte me serrant la gorge.
En rejoignant le couloir, je rencontrai Bala, le garde du corps de Lennox.
« Enfin. Lennox veut te voir. »
Je sentis une inquiétude monter.
« Il a dit pourquoi ? »
« Non. Mais il avait une sale tête. »
Un frisson me parcourut. Lennox ne me convoquait que lorsqu’il y avait un problème.
Je pris mon courage à deux mains, traversai les couloirs et m’arrêtai devant sa porte.
Je frappai.
« Entre », gronda sa voix.
Et mon cœur se mit à battre plus fort encore.