Chapitre 2
En entrant, je découvris Lennox planté au milieu d’un véritable champ de bataille. Sa chambre, d’ordinaire impeccable au point d’en être dérangeante, gisait dans un chaos indescriptible : chemises froissées étalées comme des drapeaux abandonnés, bottes renversées, tiroirs grands ouverts, vêtements roulés en boule. Rien n’évoquait l’ordre scrupuleux qu’il imposait habituellement à son espace.
Son regard m’accrocha aussitôt, chargé d’une noirceur qui me traversa comme une lame. Je ne m’attendais pas à cette hostilité brûlante. Dans un autre temps, avant que tout s’écroule, il était celui des triplés que j’approchais sans hésitation : le garçon qui riait avec moi lorsque mon père m’emmenait à la meute pour observer les entraînements, celui qui me tirait par la main pour grimper sur les souches d’arbres ou pour courir derrière les papillons. Nous étions enfants, mais notre complicité paraissait indestructible.
Puis l’effondrement de ma famille avait balayé ce passé comme un coup de vent renverse une chandelle. Et tout, absolument tout, avait changé.
« Qui a rangé cette pièce hier ? » exigea-t-il brusquement, sa voix vibrante d’une colère si lourde que mon loup intérieur se tapit de frayeur.
J’inspirai difficilement. « C’est moi… »
Il avança d’un pas, et malgré moi, j’en fis un en arrière. Ses yeux devinrent deux éclats de glace.
« Alors explique-moi, Omega… où est passé le collier de diamants que je conservais dans mon tiroir du haut ? »
Le sol sembla se dérober. Un collier ? J’essayai de fouiller dans mes souvenirs : j’avais rangé, plié, dépoussiéré. Je n’avais pas touché à un bijou, encore moins à un objet aussi précieux. Rien n’avait attiré mon attention.
« Je ne sais pas de quel collier vous parlez », soufflai-je, la voix étranglée.
Lennox eut un sourire sans joie. « N’essaie même pas de jouer l’innocente. Les objets ne se volatilisent pas. »
« Je n’ai rien pris ! » protestai-je, la panique me montant à la gorge. « Fouillez ma chambre si vous le voulez, fouillez mes affaires. Je n’ai rien. »
Il s’approcha encore, me dominant entièrement. « Tu crois que je peux avaler ça ? Les tiens ont toujours eu la main trop légère. On ne change pas sa nature. »
Ses mots me heurtèrent comme un coup de poing au visage, mais je retins la réplique brûlante qui me montait aux lèvres. Se défendre trop vivement face à lui serait une erreur.
« Je n’ai pas le collier », insistai-je, plus calmement que je ne me sentais.
Sans prévenir, il se détourna et se mit à bousculer ses meubles, vidant tiroirs et étagères dans un vacarme assourdissant. Chaque objet lancé au sol résonnait comme une accusation supplémentaire. Je restai immobile, incapable de détourner les yeux du spectacle de cet homme autrefois si doux devenu un étranger féroce.
Quand il s’immobilisa enfin, haletant au milieu du désordre qu’il avait lui-même créé, son regard devint encore plus dur.
« Il n’est plus là, Olivia. Disparu. Et je l’avais acheté pour l’anniversaire d’Anita… » Son ton se brisa presque sous la frustration. « Tu as idée de ce qu’il m’a coûté ? »
« Lennox… je n’ai rien volé », parvins-je à répéter.
« Arrête de mentir ! »
Il porta la main à son front, comme s’il luttait pour comprendre. « Personne n’est entré ici hier. Hormis Anita… et toi. Alors dis-moi où il est. »
Je demeurai silencieuse. Sa fureur redoubla.
« Tu répètes l’histoire de ton père. Voleur un jour… »
Je ferme les yeux un instant. Les mêmes mots. La même sentence. Cette meute n’attendait qu’un prétexte pour me rappeler de quoi l’on m’accusait depuis des années : être la fille d’un homme condamné.
Puis ses paroles se firent plus menaçantes.
« Il n’y avait que toi et Anita à avoir mis les pieds ici. Alors, à moins que les esprits ne se promènent la nuit, l’un de vous deux l’a pris. »
Anita.
Le nom claqua dans ma tête.
Je revis aussitôt son attitude de la veille : sa façon de flâner près de la commode, ses regards soigneusement innocents, son sourire à peine perceptible. Je connaissais chaque nuance de ses manipulations, chaque stratagème qu’elle utilisait depuis notre enfance pour se sortir de toutes les situations. Elle avait déjà accusé des innocents, volé des objets précieux, inventé des mensonges. Elle savait comment tirer profit de sa réputation immaculée.
Et cette fois encore, j’étais la cible idéale.
Mais le dire ? À Lennox, qui aurait défendu Anita jusqu’à son dernier souffle ? Impossible.
« Je n’ai rien pris », répétai-je simplement.
Lennox rit sans joie, un rictus tordu déformant son visage. « Je suis lassé de tes dénégations. Si ce collier n’est pas entre mes mains avant ce soir, toi et ta mère en subirez les conséquences. »
La menace me glaça. Pourtant, je ne baissai pas les yeux.
« Je dis la vérité », soufflai-je.
Il secoua la tête, comme s’il mâchait du venin. « Sors d’ici. »
Je quittai la pièce sans demander mon reste. Dans le couloir, je dus m’adosser au mur tant mes jambes tremblaient. L’air me manquait. Comment prouver mon innocence quand celle qui m’accusait dans l’ombre était chérie de tous ?
« Olivia ! »
Un garde surgit au détour d’un couloir. C’était Joshua, l’un des hommes de Levi.
« Levi veut te voir. Tout de suite. Et il n’a vraiment pas l’air de bonne humeur. »
Mon estomac se noua.
Encore ? Après Lennox ?
« Tu sais pourquoi ? » demandai-je, déjà certaine que la réponse ne me plairait pas.
Joshua secoua la tête. « Non. Mais crois-moi… il fulmine. »
Un frisson glacé me parcourut.
Qu’avait-il, lui aussi, à me reprocher ?