Prologue
UNE ODEUR DE TOMBEAU flotte dans les ténèbres…
…de ce cachot humide, envoûtant, déprimant, puant de crasse et de débris. Les murs se dilatent sous la lumière d’une misérable ampoule, qui se balance doucement près de la bouche d’aération. C’est gris, purulent, gras. Un caveau.
Il est étendu sur le sol, un rictus sur ses lèvres gercées comme des crevasses polluées, le regard émerveillé par mon apparition. Il ne comprend donc rien à rien, il faut que je l’aide, que je lui dise. En m’approchant, les parois se figent, larmoyantes, sournoises, il m’est impossible de ressortir. Tout ce que je veux, c’est l’aider. Normal, je suis un ange. Son Ange gardien.
Je veille sur lui depuis longtemps, trop longtemps peut-être. Du coup, il s’accroche à ce caveau. Il pourrait s’en sortir s’il le voulait, mais peut-être est-ce la volonté de Dieu ? Je n’en sais pas plus, simplement il faut qu’il comprenne que je ne peux pas tout faire pour lui. Il va bien falloir que je lui dise. Je n’ai pas le choix.
Il s’approche d’une démarche docile, comme toujours lorsqu’il m’aperçoit, lorsqu’il voit son Ange gardien se pencher sur lui. Il tend la main, me parle d’une voix tremblante, pleine d’émotion.
Et de peur. Pourquoi de peur ?
Devrait-on avoir peur de son Ange gardien ?
Non, bien sûr, il est juste inquiet. Son regard se voile, se ternit. Je tends le bras, mais il glisse dans une mare gluante qui s’étale sous lui. Ses lèvres explosent de douleur. Non, il ne devrait pas avoir peur. Il devrait comprendre. Je suis là pour lui rendre sa liberté…
Et retrouver la mienne.
Quand il s’affaisse, je le sais heureux, libre. Son Ange gardien vient de veiller sur lui une dernière fois.
I
Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de la Science,
Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront !
Prière
(Extrait des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire)