1
Rouen, Square Verdrel, jeudi 18 h 00
LA POSITION D’UN MORT n’a rien de grotesque. La mort, quelle que soit sa position, n’a rien de grotesque. Le cadavre reposait dans un fauteuil en cuir, à moitié carbonisé, des jambes jusqu’au thorax, puis, de long en long jusqu’aux joues, où des lambeaux boucanés se détachaient dans un grésillement de lard fumé. Il n’avait pas les jambes liées, pourtant il semblait attaché dans son fauteuil. La chaleur et les flammes avaient soudé le corps, les vêtements et le tissu en un magma noir et informe, des chevilles au bassin. Le visage du cadavre n’avait plus aucune expression, probablement après être passé par les voies ultimes de la stupeur et de la souffrance. Son bras droit était scotché à l’accoudoir, mais l’avant-bras restait fixé en l’air, comme pour demander la parole ou saluer ses invités.
À deux mètres du fauteuil, droit devant lui, une chaise en bois, brûlée partiellement, inclinée contre le mur.
Un fusil de chasse était coincé entre les barreaux du dossier, le canon pointé sur l’abdomen de la victime. À cette distance, les plombs avaient pénétré dans les chairs comme le socle d’une charrue dans une terre meuble. Les impacts avaient fait des dégâts sur le ventre, les bras, une partie des genoux et du cou. À côté du fauteuil, un guéridon renversé, calciné en partie, lui aussi. Éparpillés autour : les débris d’un verre, d’une bouteille de whisky, d’un flacon de médicaments sans étiquette. Derrière la cible, les balles perdues avaient formé un cercle sur le mur, brisé le miroir et arraché une petite lampe tempête en cuivre du rebord de la cheminée en marbre. C’est elle qui avait déclenché l’incendie, l’essence aromatique s’étant enflammée quand un plomb avait provoqué une étincelle. L’incendie avait rongé le tapis et s’était attaqué en même temps au fauteuil et aux rideaux des fenêtres. Les lourdes tentures capitonnées n’avaient pas résisté à l’assaut furieux. Un petit tas de cendres fumait au sol.
Heureusement pour les survivants, pas pour le cadavre, la maison a été partiellement épargnée par le sol en marbre noir et blanc et par l’absence d’autres meubles dans ce petit salon. La pièce était nue. Étrangement nue, dépouillée, sans table ni bureau, ni commode. Un simple fauteuil et un guéridon au milieu de la pièce, avec, en face, le long du mur, une chaise tueuse. L’incendie était resté confiné dans cet espace clos, manquant de carburant pour s’étendre et ravager le reste de la demeure. Les pompiers n’avaient eu aucun mal à intervenir et à l’éteindre.