Chapitre 10 – L’Heure des Masques

968 Words
Les Répliques du Feu Je n’ai pas dormi. Pas une seconde. Même allongée sur le vieux matelas poussiéreux de cette planque, les paupières closes, les images continuent de défiler. Luis, étendu dans son sang. Rafael, tirant sans ciller. Mon souffle court, mon cœur battant comme un tambour de guerre. J’aurais dû avoir peur. J’aurais dû trembler. Mais je suis restée droite. Droite… et brûlante. L’aube filtre à travers les planches clouées aux fenêtres. L’air est sec. Mes vêtements me collent à la peau. Le sang de Luis a séché sur mes mains, mais la sensation reste. Collante. Persistante. J’ai essayé de laver. De frotter. Rien n’y fait. C’est à l’intérieur maintenant. Quand je me redresse, Rafael est déjà réveillé. Ou plutôt : il n’a pas dormi non plus. Il est là, adossé au mur, les bras croisés sur sa poitrine, son regard braqué sur moi. Insondable. Rafael — On doit bouger avant midi. Dante va vouloir un rapport. Et tu ne veux pas le faire attendre. Je hoche la tête. Mes muscles sont raides, mais ce n’est rien. C’est l’intérieur qui est en vrac. Je me lève, chancelante. Je n’ai pas faim. Pas soif. Juste cette pression au fond de la poitrine. Rafael — Tu vas craquer si tu continues à jouer les héroïnes. T’as tenu cette nuit, bravo. Mais ce n’est que la surface. Je le fixe, les yeux rougis, la gorge sèche. Moi — Et toi, tu tiens comment ? T’es une machine, c’est ça ? Le feu, les cris, la peur, ça te glisse dessus ? Il ne répond pas tout de suite. Il me regarde longtemps, trop longtemps. Rafael — Ça glisse jamais. On apprend juste à ne plus crier. Il tourne les talons, ramasse son sac. Et moi, je reste là, plantée, avec cette phrase plantée dans le ventre comme une lame. Le Rapport Retour au manoir. Le contraste est brutal. Marbre froid, lustres étincelants, parfums de luxe… et sang séché sous mes ongles. Dante nous attend dans le salon, seul, sans ses chiens. C’est rarement bon signe. Dante — Des morts. Une blessure. Et aucune information ramenée. Moi — On a été pris à revers. Quelqu’un les a prévenus. Ils étaient préparés. Rafael — Et on a réussi à sortir vivants. C’est déjà un miracle. Dante — Les miracles ne m’intéressent pas. Les résultats, oui. Il se lève, lentement. Ses chaussures claquent sur le sol. Il tourne autour de moi comme un prédateur, les mains jointes dans le dos. Dante — Tu crois que je t’ai mise sur cette mission pour jouer les touristes de l’extrême ? Je garde la tête haute. Je ne réponds pas. Je ne lui donnerai pas ce plaisir. Dante — Tu veux entrer dans mes cercles ? Prouve-moi que tu mérites d’en être. Le sang, c’est facile. La loyauté, c’est plus dur. Moi — Tu veux dire… l’aveuglement. Il s’arrête net. Son regard se plante dans le mien. Quelque chose passe, fugace, entre la colère et la fascination. Dante — Je veux dire l’intelligence. Savoir quand poser les bonnes questions. Et surtout, à qui. Un silence lourd tombe. Rafael reste figé dans l’ombre. Dante — Tu auras une deuxième chance. Mais cette fois, c’est toi qui mèneras. Seule. Je relève les yeux, le cœur battant. C’est dangereux. C’est une trappe. Moi — Je prends. Dante — Bien. Tu pars dans deux jours. D’ici là, prépare-toi. Tu vas devoir briser quelqu’un pour obtenir ce qu’il sait. Il tourne le dos. Fin du jeu. Mais un goût métallique reste dans ma bouche. Celui du piège. De la manipulation. De ce que je suis en train de devenir. Le Masque de Rafael Dans le couloir, Rafael m’attrape le bras. Rafael — Il t’envoie au casse-pipe. Moi — Je sais. Rafael — Non. Tu crois savoir. Mais tu ignores ce qu’il attend vraiment de toi. Je le défie du regard. Moi — Alors explique-moi. Dis-le-moi. Parce que je suis fatiguée des sous-entendus. Il hésite. Puis, un rire amer traverse ses lèvres. Rafael — Dante veut voir jusqu’où tu es prête à aller. Pas pour lui. Pour toi. Il veut te voir tordre ton reflet jusqu’à ne plus te reconnaître. Il s’approche. Trop près. Son souffle effleure ma peau. Il sent la fumée, le cuir et quelque chose de plus brut encore. Rafael — Et moi, je veux savoir si tu tiendras. Moi — Pourquoi ça te touche autant ? Son regard s’obscurcit. Plus rien de l’ironie. Juste une sincérité nue, presque douloureuse. Rafael — Parce que je sais ce que ça fait. De se perdre. Et que quand tu reviens… t’as plus rien à aimer. Même plus toi. Il s’éloigne, sans un mot de plus. Et moi, je reste seule. Une main sur le mur pour ne pas tomber. Parce que cette phrase m’a transpercée. Parce qu’elle est vraie. Deux Jours Plus Tard Je suis prête. Vêtue de noir, arme cachée sous ma veste, dossier serré contre ma poitrine. Cible : Esteban Reyes. Un ancien lieutenant du cartel Alvarado, reclus à la frontière, bien gardé, mais pas inviolable. Il détient quelque chose que Dante veut. Et je suis le moyen de pression. Je pars sans me retourner. Mais en route, un téléphone prépayé posé sur le siège vibre. Un seul message. « Tu n’es pas seule. Je te couvre. – R. » Je serre les dents. Je devrais être en colère. Je devrais le rejeter. Mais je respire plus librement, sans m’en rendre compte. La nuit tombe. Les visages tombent avec elle. Je m’apprête à franchir une ligne invisible, celle qu’on ne voit que quand on l’a déjà traversée. Je n’y vais pas pour Dante. Je n’y vais même plus pour la mission. J’y vais pour moi. Pour voir jusqu’où je suis capable d’aller. Et ce qu’il restera… quand j’en reviendrai.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD