Chapitre 12 – Celle qui sait

808 Words
Moi Rafael conduit sans parler. Son visage est figé, tendu, comme s’il retenait une vérité trop lourde. Le sang sur mon bras a séché, collé à la peau, mêlé à la poussière de la fuite. Je regarde par la vitre fissurée. Rien que la nuit, immense, et nos silences. Moi (pensée) Caïn est mort. Luis est entre la vie et la mort. Et Rafael… Rafael me parle d’un fantôme. El Silencio. On arrive à une station-service abandonnée, au milieu de nulle part. Rafael coupe le moteur. Rafael — Elle t’attend à l’intérieur. (Il m’observe sans bouger.) — Je reste là. C’est ton rendez-vous, pas le mien. Je descends, méfiante. L’endroit pue le gasoil et le silence oublié. Un néon clignote faiblement au-dessus de la porte. Je pousse. L’Intérieur Une seule personne à l’intérieur. Assise sur une chaise bancale, les jambes croisées, un café à moitié bu sur le comptoir poussiéreux. Irène — Tu n’es pas en avance. (Un sourire. Trop calme pour être rassurant.) — Tu boites. Moi — J’ai sauté par une fenêtre. (Pause.) — Tu es Irène ? Irène — Pour toi, ce soir, oui. Elle sort une cigarette, l’allume, expire la fumée vers le plafond fissuré. Moi — Tu bosses pour lui. Pour El Silencio. Dis-moi qui il est. Elle rit. Un petit rire sec, sans joie. Irène — Tu ne poses pas les bonnes questions. Ce n’est pas qui il est. C’est pourquoi il te laisse vivre. Un frisson. Elle me regarde avec cette lenteur étudiée, comme une prédatrice. Irène — Tu veux savoir qui a trahi ? Qui a vendu quoi ? Tu veux croire que tout est linéaire. Que tout se paye. Que la loyauté est une monnaie stable. Elle écrase sa cigarette sur le comptoir. Irène — Mais tu joues dans un jeu où les règles changent toutes les nuits. Moi — Caïn parlait de Rafael. Il disait qu’il vous avait tout donné. Irène — Caïn était un déchet. Un pion qu’on a laissé parler assez longtemps pour qu’il te mène ici. Il a dit ce qu’on lui avait soufflé. On appelle ça… un vecteur. Je recule d’un pas. Moi — Vous avez tué Luis. Elle hausse les épaules. Irène — Luis a été puni pour avoir hésité. Il a failli tout faire rater. On ne tue pas pour le plaisir. On corrige. Ma main tremble près de mon arme. Moi — Je ne joue plus. Je veux savoir où ça mène. Qui est El Silencio. Où est Dante dans tout ça ? Elle m’observe, puis sort un petit enregistreur. Elle appuie sur play. Voix de Dante — Si elle survit à Caïn, c’est qu’elle peut encaisser. Sinon… eh bien, il nous faudra quelqu’un d’autre. Moi — C’est une blague ? Dante est derrière ça ? Irène — Dante ne dirige plus rien. Il croit qu’il tire les ficelles, mais son théâtre est déjà en feu. Tu n’as jamais compris que tu étais le leurre ? La diversion idéale ? Moi — Leurre de quoi ? Irène — El Silencio cherche quelque chose. Un nom. Un visage. Quelqu’un qui a disparu depuis vingt ans. Et toi, tu portes ce passé sans le savoir. Je vacille. Mes doigts se crispent. Elle sourit. Irène — Ta mère s’appelait Ana Velasquez, n’est-ce pas ? Un coup de poignard. J’ai le souffle coupé. Moi (pensée) Elle ne pouvait pas savoir ce nom. Il est enterré avec les ruines. Moi — Comment tu… ? Irène — Elle a survécu. Elle a fui. Et toi, tu es la dernière trace de ce qu’elle a été. Je recule, une chaise tombe. Je veux fuir. Oublier. Mais Irène se lève et me tend un petit dossier. Irène — Prends-le. Dedans, il y a ton début. Et peut-être ta fin. Je l’attrape, le cœur battant. Irène — Tu as trois jours. Ensuite, El Silencio décidera si tu vaux la peine d’être gardée vivante. Moi — Et si je refuse de jouer ? Elle rit de nouveau. Irène — Tu joues déjà, chérie. Retour à la voiture Rafael fume, appuyé contre le capot. Il voit mon visage. Il sait. Rafael — Alors, tu crois toujours que El Silencio n’existe pas ? Je monte sans répondre. Ouvre le dossier. Des photos. Des noms. Des extraits de journaux. Une fiche médicale. Mon visage. Un autre nom. Moi (pensée) Je m’appelle… Ana Velasquez. Non. Ce n’est pas possible. C’est un piège. Un mirage. Moi (voix basse) — Pourquoi moi ? Rafael — Parce que dans cette guerre, on cherche des fantômes. Et toi, t’es née d’un. Je serre le dossier contre moi. Moi (pensée) Je dois comprendre. Avant qu’ils me trouvent. Avant que je devienne comme Caïn. Avant que Rafael choisisse un autre maître. Avant que le nom d’Ana Velasquez devienne ma tombe. Moi (pensée) Trois jours. Et une seule vérité. Si je survis.
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