Chapitre 14 – Les trois portes

880 Words
Moi Le vent hurle derrière nous. La voiture gronde sur la route déserte. Les phares creusent des tunnels dans l'obscurité. L’enveloppe est sur mes genoux. Ouverte. Ses secrets me brûlent les doigts. Chaque adresse pèse lourd, comme une sentence. Trois adresses. Trois pièges. Ou trois vérités. Rafael conduit sans un mot. Le regard fixé droit devant. Comme s’il savait déjà ce que nous allons trouver. Comme s’il devinait l'odeur de mort que je sens déjà. Moi (pensée) Ana. Tu savais qu’un jour je devrais revenir fouiller ce passé. Tu savais que ce jour me détruirait. Tu l'as voulu. Ou tu l'as redouté. Le premier lieu est à deux heures d’ici. Un vieux motel abandonné, près de la frontière. Un lieu que personne ne surveille. Un lieu qu’on choisit pour mourir. Moi (Le souffle coupé.) — On commence par celui-là. Rafael (Un hochement de tête.) — Le plus proche. Le silence est lourd entre nous. Chargé d’aveux que personne n’ose prononcer. Un pacte tacite. Un pacte que seul le sang viendra rompre. Moi (pensée) Chaque kilomètre me rapproche d'elle. Ou de sa trahison. Ou de la mienne. Peut-être que je ne veux pas la vérité. Peut-être que je veux juste la revoir. --- Le motel surgit au milieu de nulle part. Délabré. Étranglé par les ronces. Ses néons morts pendent comme des pendus. La façade est crevée. Les murs suintent d'humidité. Le vent fait claquer les volets arrachés. Rafael gare la voiture derrière un muret effondré. Moteur coupé. Plus rien. Juste le bruit du vent et du sang qui cogne dans mes tempes. Il me regarde. Grave. Ses yeux cherchent les miens, une dernière fois. Rafael — Tu es sûre ? Moi (La gorge serrée.) — Non. (Petite pause.) Mais on n’a pas le choix. On sort. Le froid me mord les os. Le ciel est bas, noir, lourd de menace. Chaque souffle laisse un nuage dans l'air glacé. Mes doigts tremblent. Chaque pas résonne sur le gravier. Chaque ombre semble nous guetter. J’ai la sensation d’être observée. Déjà condamnée. Le hall est éventré. Un squelette de bois et de rouille. Les murs pleurent des traînées de moisissure. L’odeur de poussière, d'humidité et de chair pourrie me soulève le cœur. Moi (pensée) Pourquoi ici ? Pourquoi ce lieu oublié ? Qu'est-ce que tu voulais que je trouve, Ana ? Une porte, au fond. Brisée. Derrière, une chambre détruite par le temps. Tout est brisé. Comme nous. Et au centre, posé sur un matelas éventré : un cahier. Pas un bijou. Pas une lettre. Pas une arme. Un simple cahier. Comme un piège. Rafael s'approche. Le regarde sans le toucher. Son bras effleure le holster de son arme. Instinctivement. Moi (Chuchotement.) — C’est pour moi. Je m’avance. Chaque fibre de mon corps hurle de fuir. Mais je tends la main. Je tends toujours la main. Le cahier est vieux. Mouillé. Les pages collées. Une odeur de terre et de cendre s’en dégage. Je l’ouvre. Chaque mouvement semble réveiller les murs. Faire trembler l’air autour de nous. Des mots griffonnés. Une écriture tremblante. Un nom. Ana Velasquez. Je recule. Mon cœur cogne contre mes côtes. Un uppercut silencieux. À l’intérieur, des pages de code. Des lettres. Des chiffres. Un journal secret. Un testament ? Un adieu ? Moi (pensée) Elle savait. Elle avait laissé ça pour moi. Elle m'avait désignée. Des mots soulignés. Griffonnés avec rage. Comme si le stylo avait pleuré l'encre. "La clef est cachée dans les cendres." Moi (Voix rauque.) — Qu'est-ce que ça veut dire ? Rafael (Bas.) — Peut-être que c’est pas un lieu. Peut-être que c’est une personne. Je lève les yeux. Le doute me ronge. Griffe mon ventre. Moi (pensée) Dans les cendres. Dans la ruine. Peut-être... dans moi. Un craquement. Un bruit derrière nous. Rafael dégaine son arme. Je retiens mon souffle. Mon cœur suspend sa course. Une silhouette. Tapie dans l’ombre. Une ombre plus noire que la nuit. Homme (voix rauque.) — T’es venue chercher les fantômes, hein ? Un vieil homme. Sale. Amaigri. Ses yeux brillent d'une lueur folle. Ses mains tremblent comme des feuilles mortes. Il titube vers nous. Un sourire tordu sur ses lèvres. Un sourire de spectre. Vieil homme — Elle est morte, ta reine de cendres. (Il rit, un son brisé.) — Et toi, tu seras la suivante. Son rire claque contre les murs. Réveille les échos. Les monstres endormis. Rafael braque son arme. Pas d'hésitation. Pas de sommation. Mais l’homme s’effondre avant même d’atteindre le seuil. Un râle. Un dernier spasme. Et le silence retombe. Épais. Sournois. Mort. Comme frappé par une main invisible. Moi (pensée) Ils savent que je suis ici. Ils m'attendent. Ils effacent les traces. Ils effacent les témoins. Je serre le cahier contre moi. Mon seul lien avec Ana. Avec la vérité. Avec moi-même. Rafael (Grave.) — On doit bouger. Vite. Je hoche la tête. Pas de temps pour pleurer les morts. Moi (Le regard vers la nuit.) — Deux adresses encore. Deux portes vers l’enfer. Ou vers la vérité. Je ferme les yeux. Respire. Moi (pensée) Trois jours. Trois chances. Un seul destin. Moi (Chuchotement.) — Je viendrai, Ana. — Jusqu’au bout. Nous fuyons le motel. La nuit referme ses griffes sur nos pas. Et quelque part, très loin, une ombre rit encore.
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