Chapitre 19 – Ceux qui attendent

896 Words
Moi Le paysage défile. Les arbres s'effacent, les lignes s'étirent, le monde glisse contre les vitres sans que je le voie vraiment. Mon regard reste fixé sur l’écran noir du téléphone. Ces trois lettres. AVE. Elles vibrent encore, même si l'écran est éteint. Elles s’impriment en creux, sur ma rétine, comme si elles avaient brûlé la lumière elle-même. Pas un nom. Pas un mot. Une invocation. Un appel sans retour. Rafael (raide, tendu) — Le signal vient d’un relais crypté. Pas du réseau courant. C’est pas un appel normal. Il jette un coup d’œil à l’écran. Son visage reste de marbre, mais ses doigts se crispent sur le volant. — Ils savaient où on était. Ils nous suivent déjà. Je serre le coffret contre moi. Il est tiède. Trop tiède. Il pulse contre mes côtes, régulier comme un battement. Mais ce n’est pas mon rythme. C’est une pulsation étrangère. Un cœur venu d’ailleurs. Et dans mes veines, le feu court encore. Plus lent, mais plus profond. Il ne brûle plus seulement ma peau. Il descend. Il infuse. Goutte à goutte. Comme un poison ancien. Moi (pensée) Ils m’ont ouverte. Ils ont regardé à l’intérieur. Et maintenant… je fuis avec la clé. La voiture quitte la route principale. Virage brusque. Rafael prend un chemin étroit, noyé entre les arbres. Presque invisible. Il le connaît. Il ne le cherche pas. Il le retrouve. Pas pour fuir. Pour chasser. Rafael (bas, presque pour lui-même) — Si Élias avait vu ça… il t’aurait enfermée. Ou pire. Le nom me claque contre le crâne. Élias. Celui qui m’a regardée comme une énigme. Celui qui a caché les vérités en croyant me sauver. Celui qui a tué pour que je puisse respirer un jour de plus. Et pourtant… Celui qui n’a jamais osé regarder vraiment ce que je devenais. Moi (amère) — Il a toujours eu peur de ce que je suis. Rafael (sombre) — Peut-être parce qu’il savait que ce que tu es ne peut pas être contenu. Le silence qui suit n’est plus un simple vide. Il est dense. Chargé. Il a un nom maintenant. Ave. Pas un visage, non. Mais une voix. Un murmure sous ma peau. Un nom glissé dans mes rêves. Pas en rêve, non. En moi. Moi (pensée) Je l’ai entendue. Déjà. Entre deux souffles. Entre deux silences. La planque surgit dans le sous-bois. Une bâtisse basse, presque engloutie. Mur de pierre et de terre. Discrète. Oubliée. Rafael coupe le moteur. L’air tremble autour de nous, comme chargé d’électricité. Il ne parle pas. Trois gestes. Une pression sur la serrure. Une respiration suspendue. Et la porte s’ouvre. L’intérieur est froid. Mur de béton nu. Odeur métallique. Des câbles serpentent le long des murs comme des veines noires. C’est un abri. Mais pas un refuge. Un lieu d’attente. Rafael verrouille. Plusieurs fois. Puis il me fait asseoir, doucement, devant une trousse médicale. Rafael (serre les dents) — Laisse-moi voir cette brûlure. Je tends la main. Elle tremble à peine. Il la prend. Il regarde. Longtemps. Trop longtemps. Ses yeux se figent. Ses lèvres se pincent. Rafael (murmure rauque) — Ce n’est pas une blessure. C’est un sceau. Il lève les yeux. Et cette fois, il me regarde vraiment. Pas comme une mission. Pas comme un problème. Comme une étrangère. Une étrangeté. Rafael (presque en colère) — Tu n’aurais jamais dû t’approcher de ce miroir. Tu ne sais pas ce que tu as réveillé. Moi (murmure) — Je crois… que c’est moi que j’ai réveillée. Il recule. Comme si mes mots avaient des crocs. Je m’allonge. Le matelas est raide. Mes paupières brûlent, mais je ne dors pas. Je glisse. Je descends. À l’intérieur. Et là, dans le noir de mon esprit, ils m’attendent. Des silhouettes figées. Immobiles. Les yeux bandés. Les bouches cousues. Mais ils savent que je suis là. Ils sentent ma présence. Mon souffle. Ma peur. L’un d’eux s’avance. Petit. Trop petit. Une robe blanche. Une peau presque diaphane. Des yeux sans pupille. L’Enfant aux Yeux Miroirs. Je l’ai déjà vu. Il m’a déjà parlé. Et je l’ai oublié. L’Enfant (voix claire) — Tu es ouverte. Ils peuvent te voir maintenant. Moi (dans la vision) — Qui ils ? L’Enfant — Ceux qui attendent. Ceux qui ont commencé la première Nuit. Il penche la tête. — Et Ave n’est pas une personne. C’est un commandement. Un craquement. Brutal. Réel. Je me redresse. Le sol est glacé sous mes pieds nus. Rafael est déjà debout. Il tient son arme. Il fixe la porte. Il l’a entendue avant moi. Un frottement. Comme un ongle sur le métal. Moi (pensée) Ils nous ont trouvés. Rafael (arme levée) — Reste derrière moi. Je ne bouge pas. Je ne peux pas. Ma main glisse sur le coffret. Et il s’ouvre. Tout seul. Un souffle s’en échappe. Glacial. Une brume noire, lente, fine comme du sang dilué. Elle rampe. Elle cherche. Moi (voix changée) — Il faut que tu sortes. Maintenant. Rafael (regard figé) — Qu’est-ce que tu viens de dire ? Mais ce n’est pas moi. Pas ma voix. Quelqu’un a parlé en moi. Le sceau sur ma main luit. Lumière blanche, brûlante. Le miroir m’a marquée. Il m’a reconnue. Et dans la brume… quelque chose prend forme. Un murmure, joyeux, presque enfantin, glisse le long du couloir. ??? (voix distante, déformée) — Ave, enfant de l’éclat. Le Maître t’attend.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD