Cover-3

2025 Words
Je prends mon courage à deux mains et compose le numéro du taxi qui m’emmènera directement devant le restaurant. Quand il arrive devant ma porte, je suis en sueur et j’ai les mains moites. Je monte à l’arrière et souffle un bon coup. J’ai du mal à trouver mes mots et, quand le chauffeur me demande où je dois me rendre, j’ai beaucoup de difficultés à lui répondre, mais j’arrive quand même à lui donner l’adresse du restaurant. Il redémarre et je ne me sens vraiment pas bien. La tête me tourne, mon estomac se révulse, ma respiration est chaotique. Je surprends plusieurs fois le chauffeur m’observer dans le rétroviseur. Qu’il regarde la route, au lieu de me regarder ! Je compte en silence pour essayer de réguler les battements de mon cœur. Je tremble. 1.2.3.4.5 respire 6.7.8.9.10… Je ferme les yeux, ça m’aide, mais les images de notre accident défilent sous mes paupières. Je vais vomir. Heureusement, le chauffeur se gare. Je suis enfin à bon port et je peux à nouveau respirer normalement. Je prends deux minutes et m’adosse contre la voiture. Je suis descendue dès qu’il s’est arrêté. Il attend à côté de moi et me demande si j’ai besoin qu’il appelle quelqu’un. Je lui fais signe que non et me redresse. Je fouille dans mon sac à main et le paie. J’espère que ma veste ne montre pas trop les effets de mon stress et que mon top n’est pas trempé de sueur. Je vérifie mais c’est bon, rien à signaler de ce côté-là. Je vois enfin Sarah qui accoure au bout de la rue. — Ma chérie ! Tu es sublime !!! Mais attends, où est ton vélo ? — Salut, euh…j’ai pris un…taxi. — Mais c’est super chouette ! C’est la soirée de tous les changements alors ? Et ça a été ? — Oui, comme quelqu’un qui n’est plus monté en voiture à la suite d’un accident mortel. — En effet. Pardonne-moi. Question conne. — Pas de problème, Sarah. Je baisse les yeux et pince mes lèvres, gênée par la tournure qu’a pris notre conversation. — Pour me faire pardonner, accepterais-tu que je te ramène, après le cours ? — Pourquoi pas ?! Je vais essayer. Et j’ai plus confiance en toi qu’en un chauffeur de taxi. C’est le moment d’entrer dans le restaurant. Nous marchons bras dessus bras dessous, en direction de la salle arrière, qui a été privatisée pour l’évènement. Nous sommes une dizaine. Le chef cuisinier se présente, ainsi que l’organisateur de la soirée. Ils nous expliquent le déroulement de celle-ci et le menu du soir. Nous allons donc cuisiner en binôme et déguster notre repas à la fin. Je suis contente d’être avec Sarah, mon binôme est tout trouvé. Je ne regarde pas autour de moi, je ne me sens pas à l’aise et je ne veux croiser le regard de personne. Cependant, je sens que l’on m’observe. Je relève les yeux et tombe sur ceux d’un homme. Il est grand, brun, les cheveux rasés sur le côté et plus longs sur le dessus. Ils lui retombent sur des yeux gris acier. Ceux-là mêmes qui me fixent intensément. Je baisse à nouveau le regard en rougissant. Il me perturbe à me scruter comme ça et je n’aime pas ça du tout. Pourtant, je ne m’attendais pas à ressentir ce pincement dans la poitrine. *** L’organisateur de la soirée nous donne des questionnaires à remplir et nous indique des tables où nous installer pour y répondre. Je regarde Sarah et trouve très bizarre le genre de questions posées. — Qu’est-ce que c’est que ça, Sarah ? Je pensais qu’on allait cuisiner. — Oui, après ! Réponds, ne te pose pas de questions inutiles. Sois franche et honnête. Je lis. « Quel est votre type d’homme idéal ? » « Avez-vous déjà eu des relations intimes ? » « Avez-vous des enfants ? » Je bute sur cette 3ème question, si je réponds « oui, mais il n’est plus de ce monde », ça compte ou pas ? Alors je décide de répondre « non », et ça me déchire de l’intérieur. Les larmes me brûlent les yeux, mais je me ressaisis, il faut que je fasse abstraction de mon passé, au moins pour ce soir. Je ravale ma soudaine tristesse et continue. « Êtes-vous célibataire, divorcé, veuf/veuve ? » Mais merde ! C’est quoi cet interrogatoire p****n ? Je ne mens pas cette fois-ci et fais une croix dans « veuve ». Le premier sujet est toujours vide, je ne sais pas quoi répondre. Les autres, même s’ils m’ont perturbée, avaient une réponse. Mais la première me pose un problème parce que mon type d’homme idéal est mort. Je n’ai connu qu’un homme dans ma vie et c’était Bertrand, il n’y a que lui qui compte à mes yeux. J’ai rencontré Bertrand en fin de collège, il représentait le mec idéal, beau, grand, cheveux châtain clair, coupés court. Il était sportif mais avec une musculature sèche, toute en finesse. Il adorait le foot mais n’y jouait pas. Il était plutôt du genre à supporter son équipe derrière la télévision plutôt que sur un stade à jurer et hurler comme un charretier. Je l’aimais tellement…je l’aime toujours. Je reprends la question et note : « Grand, brun, musclé avec des tatouages. Yeux bleus ou verts, de préférence. Cheveux courts ou longs, peu importe. » Voilà une description d’un homme très différent de ce qu’était mon Bertrand. Elle ressemble un peu à l’homme qui me regardait tout à l’heure, mais je ne m’en formalise pas. Il y a très peu de risques qu’il prenne connaissance un jour de mes réponses. Je remets mon questionnaire à John, l’organisateur de la soirée, et rejoins Sarah, qui discute déjà avec d’autres personnes. C’est tellement facile pour elle de s’ouvrir au monde, c’en est déconcertant. Je salue de la main les quelques personnes avec qui elle parle. Je ne participe pas à la conversation, je ne suis même pas sûre qu’ils aient remarqué ma présence. — Bon, très bien, je vais prendre connaissance de vos réponses et dans quelques minutes, je vous répartirai en binômes. La personne à laquelle vous serez lié pour ce soir correspondra plus ou moins à vos critères. Je regarde Sarah, ahurie. Bordel de merde !!! — Sarah, qu’est-ce que c’est que ce merdier ? On n’était pas censées cuisiner à deux ? — Zora, c’est une soirée cuisine Meetic, donc tu vas être en duo avec un homme et moi avec un autre. C’est trop génial !!! Trop génial ! Trop génial ! Mais pour elle, pas pour moi. Je me renferme, jusqu’au moment où je vois mon amie partir auprès d’un homme d’une quarantaine d’années, très beau garçon, mais du genre qui le sait très bien et qui en joue. Très peu pour moi. Trop sûr de lui. Mais je ne peux m’empêcher de voir qu’il correspond tout à fait au style d’homme que Sarah aime. On pourrait se dire qu’elle recherche plutôt le style biker/tatoué, mais non, elle aime les costumes/cravates et les hommes de pouvoir en général. Ce qui ne l’aide pas à ne plus être célibataire, car ce genre d’homme ne court pas les rues. Je suis stressée en attendant mon tour. Je suis poussée dans mes retranchements et je n’aime pas ce genre de surprise. Je me répète que je peux y arriver. J’étais quelqu’un de très sociable et joviale avant tout ça, je peux redevenir cette personne. Pour le côté jovial, il me faudra un peu plus de temps, je pense. C’est à moi. — Zora, vous êtes avec Travis. Je relève la tête et voit qu’il ne reste plus que moi et ce dénommé Travis, le beau gosse qui me sondait du regard tout à l’heure. Je n’avais même pas remarqué que nous étions seuls. Maintenant qu’il est plus proche de moi, je vois son regard intense de plus près et je ne peux que constater qu’il est froid et distant. Comme si quelque chose l’avait brisé lui aussi, à tout jamais. Il a le même regard que moi. Aurait-il lui aussi subi quelque chose d’aussi tragique que moi ? Je le détaille discrètement. Il porte un t-shirt noir, col V, d’où je vois s’échapper de l’encre noire, il est tatoué sur le torse mais aussi sur les bras, je ne sais pas ce qu’ils représentent, je ne veux pas trop insister, de peur qu’il ne se méprenne sur mes intentions. Il porte également un jean sombre qui descend bas sur ses hanches. Mais, attendez… Si je suis en duo avec lui, c’est qu’il a dû décrire quelqu’un comme moi dans son questionnaire ? Ou alors il n’a pas répondu à la question ? Qui aurait envie d’une petite boulotte pleine de cicatrices ? Même si elles ne se voient pas toutes, elles sont bien là et celle de mon visage est plus que remarquable. Je m’avance vers lui et lui fait un signe de la main auquel il ne daigne même pas répondre. Ça commence bien, il a fallu que je tombe sur plus silencieux que moi. Il prend les devants et s’avance vers notre atelier. Je remarque qu’il boîte mais je n’en suis pas certaine. Le chef nous explique que nous allons cuisiner des lasagnes. Pour ce faire, nous devons nous répartir les taches l’un l’autre et nous entraider pour cuisiner, à la fin nous devrons sortir de belles lasagnes du four. — Euh…. Travis, c’est ça ? Tu veux commencer par quoi ? J’attends, mais pas de réponse, il ne se rend même pas compte que lui poser cette question m’a demandé beaucoup d’effort. Finalement, il daigne lever les yeux vers moi et il grogne légèrement en me disant : — Comme tu veux. Non mais c’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Moi, à qui on a forcé la main, je joue plus le jeu que lui. À moins que ? C’est peut-être à cause de moi ? Il avait peut-être repéré quelqu’un dans le groupe et il est déçu de se retrouver avec moi. L’échange de regards de tout à l’heure n’était peut-être pas pour moi, finalement. Quelle conne ! J’ai cru qu’il me fixait alors qu’il devait probablement regarder Sarah. Je me sens bête tout à coup et je veux m’en aller. Mes yeux me piquent, j’essaie de chopper Sarah du regard pour lui faire comprendre que je veux quitter l’atelier. Mais elle est tranquillement en train de couper des tomates pendant que son « Monsieur Parfait » fait revenir la viande. Tant pis, quitte à devoir rester, je commence seule à cuisiner, et s’il ne veut rien faire, je m’en contrefiche. Je prends les tomates et commence à les couper finement pour en faire une sauce. Travis finit par se bouger un peu et s’occupe des oignons. Je jette un regard dans sa direction et suis étonnée de voir qu’ils n’ont aucun effet sur lui, alors que la plupart des personnes qui s’en occupent dans les différents duos ont tous la larme à l’œil. Il a suivi les recommandations du chef à la lettre et ceux-ci sont parfaitement coupés. Il serait donc un homme qui suit les règles et les applique sérieusement ? Je souris en pensant à son apparence rebelle alors qu’il se conduit si parfaitement. En tout cas, parfaitement en cuisine, pas avec moi. — Pourquoi tu souris…Zora ? Il me parle, tiens, c’est nouveau. Je remarque néanmoins un petit accent dans sa façon de prononcer les mots, comme s’il ne venait pas d’ici. Du genre américain, ou anglais peut être. Et sa voix me fait un drôle d’effet. Elle est grave et rocailleuse à la fois, comme s’il venait de hurler ou de fumer 15 cigarettes d’un seul coup. Un peu comme la mienne, mais encore plus grave. Je ne peux expliquer ce que je ressens car ça fait très longtemps que mon corps n’a pas réagi à la présence d’un homme. Je ne comprends pas tout. — Euh, je ne sais pas. — Oh que si, tu dois le savoir ! Tu ne le fais pas, enfin tu ne l’as pas fait depuis ton arrivée, sauf là, à l’instant. J’aimerais savoir pourquoi tu souris. Tiens, tiens. Il a su remarquer ce détail. Donc je n’ai pas rêvé tout à l’heure, c’est bien moi qu’il fixait. Mais pourquoi est-il si distant, alors ? Non pas que je veuille qu’il soit trop proche, mais un minimum. Ça me rendrait moins nerveuse. — Tu veux vraiment savoir ? — Oui, sinon je ne poserais pas la question. — Parce que je t’imagine en premier de la classe. Avec ton look, disons que ça ne colle pas ! — Ah… Eh bien, désolé de te décevoir. La conversation s’arrête là et il ne m’adresse plus la parole jusqu’à ce que nos lasagnes soient enfin prêtes. Ça ne me dérange pas plus que ça puisque les quelques phrases échangées étaient plutôt refroidissantes. John nous annonce que nous allons maintenant pouvoir déguster notre plat en tête à tête. Super ! Je vais encore devoir me le farcir pour le dîner, maintenant. C’est bizarre, moi qui déteste le monde, j’aurai plus apprécié de manger avec tous les autres, plutôt que seule avec lui. Même si le silence ne me dérange absolument pas, on peut dire que là, c’est un silence glacial qui pèse entre nous, comme si aucun de nous deux n’avait voulu se retrouver ici ce soir. Nous nous asseyons l’un en face de l’autre et je ne peux me soustraire à son regard. Il plante ses yeux dans les miens et j’y décèle une autre lueur. Comme si une part de lui venait de s’éveiller. Il est déroutant et mon corps réagit à son contact, d’une drôle de façon.
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