Alna terminait de nettoyer le couloir, le chiffon à la main, lorsque la silhouette de l'homme disparut au coin du mur. Une voix l'avait interpellé :
— Votre Altesse, la Reine souhaite vous voir.
Alna releva brièvement la tête, intriguée par le titre. "Votre Altesse ?" Elle fronça les sourcils mais n'eut pas le temps de réfléchir davantage. Elle devait terminer son travail avant d'aller manger.
Plus tard, à l'entrée de la salle à manger des domestiques, Esme l'arrêta net.
— Alna, où étais-tu ? Tu es en retard, lança-t-elle, les bras croisés.
Alna baissa les yeux, essuyant ses mains sur son tablier.
— Je suis désolée, Esme. Le couloir m'a pris plus de temps que prévu.
Esme haussa un sourcil, sceptique.
— L'heure du repas est l'heure du repas. Si tu ne finis pas ton travail à temps la prochaine fois, tu te passeras de nourriture, c'est clair ?
— Oui, je comprends, murmura Alna.
Esme la fixa encore un moment avant de soupirer.
— Heureusement pour toi, j'ai demandé à ce qu'on te garde un repas. Mais tu as cinq minutes. Pas une de plus, compris ?
— Merci. Je vais faire vite, répondit Alna en hochant la tête.
Elle se dirigea vers une petite table au fond, où une assiette l'attendait. Elle s'assit et commença à manger rapidement, mais les ricanements de Sabine et de sa b***e la mirent immédiatement mal à l'aise.
— Alors, Alna, tu as du mal avec un simple balai ? lança Sabine d'un ton sarcastique.
— Peut-être qu'elle n'est pas faite pour le travail, ajouta une autre fille en riant.
Alna ferma les yeux une seconde, tentant de maîtriser sa colère. Elle les ignora et continua à manger en silence.
— Tu ne réponds pas ? insista Sabine, son sourire narquois visible dans son ton.
Alna posa sa cuillère avec un soupir, relevant à peine les yeux.
— Je suis ici pour travailler, pas pour écouter vos idioties.
Les filles restèrent un instant silencieuses, visiblement prises au dépourvu par sa réponse. Mais Sabine reprit rapidement le dessus, éclatant d'un rire forcé.
— Tu es amusante, Alna. On verra combien de temps tu tiens dans ce château.
Alna termina son repas en silence, se levant aussitôt pour faire la vaisselle. Esme lui lança un regard sévère en passant, mais elle préféra ne pas répondre.
Alna frottait vigoureusement un grand plat en cuivre, concentrée sur sa tâche, lorsqu'une ombre se profila devant elle. Levant les yeux, elle aperçut Esmee, debout avec les bras croisés. Son expression neutre mais perçante fit frissonner Alna.
— Tu sais, Alna, quand je t'ai vue débarquer ici, je pensais que tu ne tiendrais pas une journée.
Le ton d'Esmee était coupant, mais quelque chose dans sa voix laissait transparaître une nuance inhabituelle. Alna suspendit son mouvement, incertaine de ce qui allait suivre. Esmee posa un doigt sur le bord d'une table comme pour vérifier la propreté, puis poursuivit :
— Mais... tu m'as surpris aujourd'hui. Le couloir est impeccable. J'ai vérifié les coins, même les plus difficiles d'accès, et je n'ai rien trouvé à redire. C'est rare.
Alna sentit un mélange de fierté et de soulagement l'envahir, mais elle resta prudente. Elle se contenta d'un léger hochement de tête, attendant la suite.
— Le prince Liam aura besoin d'une personne pour le service cet après-midi. Esmee fit une pause, laissant ses mots s'installer.
—C'est une tâche de confiance, que je n'attribue qu'à ceux qui savent se montrer compétents.
Alna sentit son cœur s'accélérer. Servir le prince ? Elle avait entendu parler de lui, bien sûr, mais jamais elle n'aurait pensé se retrouver si proche de la royauté.
— Je m'en occuperai, répondit-elle rapidement, sa voix un peu plus assurée qu'elle ne se sentait.
— Bien.
Esmee la fixa un instant de plus, comme pour juger si Alna était vraiment prête. Puis elle ajouta d'un ton plus sévère
—Ne fais pas de faux pas. Reste discrète, parle seulement si on te le demande, et assure-toi que tout soit parfait. Le prince n'apprécie pas les erreurs, et je n'en tolérerai aucune de ta part.
Alna hocha la tête une fois de plus, le cœur battant à tout rompre.
— Tu commenceras à préparer le service dans deux heures. Va te changer et sois prête.
Esmee tourna les talons et quitta les cuisines d'un pas rapide, laissant Alna seule avec ses pensées. Elle posa le plat qu'elle nettoyait, essuya ses mains, et expira lentement. C'était une chance inespérée, mais aussi une énorme responsabilité.
D'un pas résolu, elle quitta les cuisines pour se préparer. Une tâche aussi importante méritait qu'elle donne le meilleur d'elle-même.
Deux heures plus tard
Alna avait soigneusement ajusté son tablier blanc sur sa robe propre avant de se diriger vers le salon privé du prince. Chaque pas dans les couloirs lui semblait plus lourd que le précédent. C'était une grande responsabilité que lui avait confiée Esmee, et elle ne pouvait pas se permettre de décevoir.
Arrivée devant une porte majestueuse, elle hésita une seconde avant de la pousser doucement. À l'intérieur, la pièce dégageait une atmosphère feutrée, baignée de lumière tamisée. Le prince Liam était assis à son bureau, entouré de papiers et d'ouvrages, le regard rivé sur ce qu'il lisait.
Il ne lui prêta aucune attention lorsqu'elle entra. Alna s'avança prudemment et déposa son plateau d'argent sur une petite table proche de lui. Elle resta un instant immobile, incertaine de la marche à suivre, puis se décida à parler d'une voix posée, bien qu'un peu tremblante.
— Votre Altesse, comment souhaitez-vous votre thé ?
Le prince leva légèrement la main en guise de réponse, sans pour autant détourner les yeux de ses documents. Sa voix, basse et distraite, finit par s'élever.
— À la volée.
Alna marqua une pause, hésitant sur la signification exacte de cette expression. Ne voulant pas le déranger davantage, elle prépara avec soin une tasse de thé, y ajoutant une touche de miel comme on lui avait montré. Une fois prête, elle déposa la tasse devant lui, en silence.
Le prince ne sembla pas remarquer le geste, toujours absorbé par ses écrits. Alna fit un pas en arrière, les mains croisées devant elle, et attendit, essayant de calmer son appréhension.
Quelques instants plus tard, Liam tendit enfin la main pour saisir la tasse. Mais le geste fut maladroit : le bord de la table glissa sous ses doigts, et la tasse bascula.
Le liquide chaud se renversa directement sur Alna, tachant sa robe. Elle étouffa un cri de surprise, reculant d'un pas tout en regardant la large tâche s'étaler sur le tissu.
— Oh ! s'exclama le prince, levant enfin les yeux.
Il se redressa rapidement, observant la jeune femme avec une lueur d'inquiétude dans le regard. Puis il s'arrêta brusquement, ses sourcils se fronçant légèrement alors qu'il la détaillait.
— C'est toi.
Le murmure de Liam fit sursauter Alna. Elle releva timidement la tête, croisant son regard pour la première fois. Il y avait quelque chose de troublant dans la manière dont il la fixait, une reconnaissance qui ne faisait aucun sens pour elle.
— Pardon, Votre Altesse, je ne voulais pas... je vais nettoyer ça, balbutia-t-elle en essayant de masquer son embarras.
Mais Liam semblait avoir oublié l'incident. Il la dévisageait avec une curiosité manifeste, comme s'il cherchait à replacer un souvenir.
— Tu travailles ici depuis peu, n'est-ce pas ? demanda-t-il enfin, sa voix plus douce.
— Oui... depuis quelques jours seulement, répondit Alna, un peu hésitante.
Un léger sourire naquit sur le visage du prince, un sourire que la jeune femme trouva désarmant.
— Et tu traînes souvent dans les couloirs à des heures tardives ?
Alna écarquilla les yeux. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il évoque cette nuit-là.
— C'était vous ? murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.
Liam inclina légèrement la tête, confirmant sans un mot.
— tu es celle qui semblait apprécier le calme de la nuit.
Alna sentit ses joues s'enflammer. Elle baissa les yeux, embarrassée par la tournure que prenait la conversation.
— Je... Je ne savais pas que c'était vous. L’ombre de la nuit m’empêchait de vous voir pleinement.
Liam esquissa un sourire amusé, croisant les bras comme pour savourer la situation.
— Il semblerait que nous soyons quittes, alors. Vu que vous m'avez traité de pervers l'autre soir.
Les joues d'Alna virèrent au rouge vif. Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne lui vint. Elle se souvenait parfaitement de cette nuit-là, où elle avait murmuré ces mots sans réfléchir, persuadée qu'il s'agissait d'un inconnu.
— Je... Je ne pensais pas que... bégaya-t-elle, les yeux baissés.
— Vous étiez si sûre de vous pourtant, ajouta-t-il, visiblement amusé, une belle jeune femme qui tient des propos si disgracieux…
Alna se mordit la lèvre, partagée entre l'embarras et une étrange envie de sourire.
— Je suis désolée, Votre Altesse.
Liam laissa échapper un léger rire avant de secouer la tête.
— Ne le soyez pas. Vous n'aviez peut-être pas tort... dans un sens.
Alna releva brusquement la tête, mais il ne développa pas, son regard se reportant un instant sur ses papiers.
— Bien, vous pouvez disposer, dit-il finalement, reprenant une expression plus neutre.
Alna s'inclina légèrement, récupéra le plateau, et quitta la pièce. Alors qu'elle refermait la porte derrière elle, son esprit bouillonnait.
— quelle conne! Je suis, je comprends d’où venait cette familiarité dans sa voix.