Alna se réveilla bien avant l'aube, le cœur battant et les mains moites à l'idée de ce qui l'attendait. Marguerite, fidèle à elle-même, lui tendit un morceau de pain.
— Mange, tu vas en avoir besoin. Et tiens-toi bien, hein. Pas d'histoires avec ces gens-là.
— Oui, tante, murmura Alna, avant de déposer un b****r furtif sur le front de Glenda qui dormait encore.
Arrivée au château, elle retrouva un petit groupe de domestiques dans une salle étroite. Certaines semblaient calmes et habituées, d'autres tout aussi nerveuses qu'elle. Esme fit son entrée d'un pas vif et imposant.
— Vous êtes ici pour servir et obéir, dit-elle d'une voix ferme. La famille royale et leurs invités méritent le meilleur. Pas d'erreur, pas d'excuse. Alna, un mot.
Alna sentit son estomac se nouer alors qu'Esme lui adressait un regard appuyé.
— Rappelez-vous, c'est votre premier jour. Je ne tolérerai aucun écart. Est-ce clair ?
— Oui, Madame, répondit-elle, presque à voix basse.
Esme hocha la tête et leur fit signe de la suivre.
La matinée fut un chaos d'instructions et de tâches. Nettoyer ici, ranger là, être invisible mais efficace. Chaque geste d'Alna semblait surveillé par Esme, ce qui rendait son travail encore plus difficile.
Quand le moment arriva pour Alna de servir le thé dans le grand salon, ses mains tremblaient légèrement en portant le plateau d'argent. Esme lui avait murmuré sèchement :
— Ne faites pas honte à votre formation.
En entrant dans la pièce, Alna sentit immédiatement le poids des regards royaux et nobles posés sur elle. Mais celui qui la fit vaciller fut celui de la reine elle-même, assise avec une élégance imposante au centre du salon.
Alna se concentra pour poser délicatement les tasses sur la table. Pourtant, en servant l'une d'elles, une goutte de thé s'échappa et coula sur la soucoupe. Son souffle se coupa.
La reine, observant la scène avec une discrétion parfaite, inclina légèrement la tête.
— Est-ce votre première fois à servir ? demanda-t-elle doucement.
Alna sentit le rouge lui monter aux joues.
— Oui, Votre Majesté.
La reine hocha simplement la tête, ne montrant ni colère ni indulgence. Mais son regard se détourna vers Esme, lui lançant un message silencieux mais clair. Esme, qui avait tout vu, serra les lèvres en signe d'avertissement.
Alna finit son service avec une précision presque mécanique, tâchant de ne plus faire de faux pas.
Quand elle rejoignit la cuisine, les autres domestiques la regardèrent en silence, mais Sabine, une jeune femme blonde aux yeux malicieux, éclata de rire.
— Bravo, Alna, ta performance était mémorable. Une vraie perle pour Sa Majesté, plaisanta-t-elle, un sourire moqueur aux lèvres.
Alna sentit une boule se former dans sa gorge, mais elle s'efforça de répondre calmement.
— Je ferai mieux la prochaine fois.
Sabine haussa les épaules, toujours amusée.
— On verra bien. En attendant, ne fais pas trop honte à Esme, sinon elle t'arrachera la tête.
Le reste de la journée se passa dans un mélange de fatigue et de détermination. Lorsque le soleil commença à descendre, Alna retourna dans le dortoir avec un sentiment étrange : elle était épuisée, mais aussi un peu fière d'avoir survécu à son premier jour.
Avant de fermer les yeux, elle pensa à Glenda et à leur maison. Malgré tout, elle se promit de faire de son mieux, quoi qu'il arrive.
Le calme du dortoir n'apaisait pas Alna. Elle tournait et retournait dans son lit, incapable de trouver le sommeil. Peut-être était-ce l'épuisement mêlé à l'anxiété de son premier jour, ou l'inconfort de ce nouveau lieu si grand, si étranger. Après quelques minutes, elle se redressa en silence, les autres domestiques déjà endormies autour d'elle.
— Juste un peu d'air, murmura-t-elle pour se rassurer, en enfilant une cape légère. Pour vu que Esme ne me voit pas.
Elle sortit discrètement dans le couloir faiblement éclairé. L'endroit, la nuit, semblait encore plus immense. Les murs froids, les tapis étouffant le moindre bruit, tout donnait l'impression que le château lui-même retenait son souffle. Elle marcha, sans véritable but, pensant pouvoir retrouver son chemin sans difficulté.
Mais après quelques détours, les couloirs commencèrent à tous se ressembler. Les grandes fenêtres, les portes sculptées, les mêmes tapisseries. Alna s'arrêta brusquement, son cœur s'accélérant.
— Je suis où, là ? murmura-t-elle en sentant son stress monter. Idiote, mais qu'est-ce que tu fiches ici ?
Paniquée, elle décida de suivre un courant d'air frais qui semblait venir d'un escalier. En descendant, elle déboucha sur une large porte en bois qui menait à la cour. Le vent nocturne caressa son visage, glacial mais étrangement apaisant.
— C'est quoi ce délire ? souffla-t-elle en se serrant dans sa cape, ses yeux cherchant désespérément un repère.
Elle avança de quelques pas dans la cour silencieuse, mais son malaise ne faisait que grandir. Elle se sentait si petite, perdue au milieu de cette étendue de pierre et d'obscurité.
— T'es vraiment pas maligne, Alna, marmonna-t-elle à elle-même, les poings serrés.
Soudain, un bruit de pas derrière elle lui fit l'effet d'une décharge électrique. Elle se retourna d'un bond, les yeux écarquillés. Une silhouette se tenait à quelques mètres, à moitié dissimulée dans l'ombre.
— Qui êtes-vous ? lâcha-t-elle, la voix tremblante malgré elle.
La silhouette avança lentement, révélant un visage à moitié éclairé par la lune.
— C'est plutôt à moi de vous poser la question, répondit une voix grave et calme. Que faites-vous ici, à cette heure ?
Alna resta figée, incapable de répondre. La présence de cet inconnu, élégamment vêtu mais presque fantomatique dans la nuit, la laissa sans voix. Elle sentit son cœur cogner contre sa poitrine tandis que l'inconnu continuait de la fixer, les mains croisées dans le dos.
La silhouette s'approcha, laissant entrevoir un visage partiellement illuminé par la lueur blafarde de la lune. Alna, encore sur ses gardes, resserra sa cape autour d'elle et fronça les sourcils.
— Vous... Qui êtes-vous ? Peut-être un pervers qui s'adonne à des pratiques pas très catholiques dans le noir ! lança-t-elle, la voix plus assurée qu'elle ne l'était réellement.
L'inconnu s'arrêta, surpris, avant qu'un léger sourire ironique n'étire ses lèvres.
— Et vous, répliqua-t-il calmement, peut-être en escapade nocturne avec un amant résidant dans ce palais. Un garde, un cuisinier, et j'en passe...
Alna ouvrit la bouche, outrée par l'insinuation.
— Oh, c'est absurde ! s'exclama-t-elle, ses joues prenant une teinte légèrement rosée. Vous devriez vous excuser !
L'homme haussa un sourcil, visiblement amusé par sa réaction.
— Je pourrais en dire autant de vous, répondit-il posément, après m'avoir traité de pervers sans aucune preuve.
Alna se tut un instant, cherchant une réponse. Elle avait beau être fière, elle réalisa à quel point ses accusations avaient été précipitées. Mais elle refusa de baisser les yeux devant lui.
— Ce n'est pas pareil, marmonna-t-elle, boudeuse. Je me suis perdue... et je suis tombée sur vous.
L'inconnu la regarda, ses traits se détendant légèrement. Il semblait hésiter entre amusement et curiosité.
— Perdue, dites-vous ? Sa voix perdit de son ironie. Vous êtes nouvelle dans ce château, je suppose.
Alna ne répondit pas, se contentant de hocher la tête avec une petite moue. L'homme l'observa encore un instant avant de soupirer.
— Vous avez de la chance que ce soit moi que vous ayez rencontré et non quelqu'un d'autre. Certains n'auraient pas été aussi... compréhensifs.
— Et vous êtes qui, au juste ? demanda Alna avec défi.
L'homme esquissa un sourire mystérieux.
— Vous le saurez bien assez tôt. Maintenant, retournez à votre dortoir avant que d'autres ne vous trouvent ici, il est derrière le pommier.
Alna hésita, peu convaincue par ses mots, mais la fatigue et la peur de se retrouver face à quelqu'un de moins indulgent l'emportèrent.
— Je n'ai pas besoin de vos conseils, lâcha-t-elle avant de tourner les talons avec toute la dignité dont elle était capable.
Derrière elle, l'homme resta immobile, un éclat amusé dans le regard, comme s'il venait de découvrir un nouveau divertissement.
— Intéressante, murmura-t-il pour lui-même avant de disparaître dans l'ombre.
Alna, quant à elle, retrouva son chemin d'un pas rapide, espérant qu'Esme n'est pas remarqué son absence.
La cloche du dortoir des filles résonna, marquant le début d'une nouvelle journée de travail. Les matelas grinçaient à chaque mouvement alors que les domestiques s'étiraient, ajustant rapidement leurs uniformes froissés par la nuit. Quelques murmures circulaient, mais tout se figea lorsque la porte s'ouvrit brusquement.
Esme, la gouvernante, entra d'un pas ferme, le regard aiguisé comme toujours. Ses yeux scrutèrent chaque recoin du dortoir avant de s'arrêter sur une personne en particulier.
— Alna.
Sa voix sèche fit frissonner Alna, qui s'empressa de répondre :
— Oui, madame.
— Viens par ici.
Alna s'exécuta, avançant d'un pas rapide mais hésitant. Elle baissa la tête, les mains crispées contre les plis de sa robe, cherchant à montrer une attitude humble. Autour d'elle, les autres domestiques regardaient discrètement la scène, certaines étouffant un sourire.
Esme la fixa un moment, avant de déclarer d'un ton froid :
— Après ta maladresse d'hier avec le thé, je préfère que tu ne serves pas aujourd'hui. Tu t'occuperas du nettoyage des couloirs.
À ces mots, un léger rire se fit entendre dans le fond du dortoir. Alna sentit son visage s'empourprer, mais Esme réagit immédiatement.
— Silence ! tonna-t-elle, sa voix claquant dans l'air comme un coup de fouet.
Le calme revint instantanément. Alna prit une grande inspiration avant de murmurer d'une voix sincère :
— Je suis désolée, madame. Je ne voulais pas vous embarrasser. Je ferai mieux la prochaine fois.
Esme haussa légèrement un sourcil, presque étonnée de la réponse, mais elle hocha la tête avec sévérité.
— C'est bien de réfléchir comme ça, Alna.
Sans ajouter un mot de plus, elle tourna les talons et quitta la pièce, laissant derrière elle une tension encore palpable. Alna, la gorge serrée, retourna discrètement à sa place tandis que quelques murmures reprenaient autour d'elle.
Alna s'affala sur son lit dès qu'Esme quitta le dortoir, le poids de la honte et de l'épuisement s'abattant sur ses épaules. Elle laissa échapper un soupir mêlé de frustration et de découragement.
— Merde, lâcha-t-elle à voix basse, fixant le plafond du dortoir d'un air absent.
Mais elle n'eut pas le luxe de s'apitoyer longtemps. Peu après, elle se retrouvait dans le couloir, un seau d'eau en main et une serpillière usée de l'autre. Le silence des lieux contrastait avec le tumulte qu'elle ressentait à l'intérieur.
Elle s'arrêta un instant pour observer le long couloir étendu devant elle. Le sol semblait s'étirer à l'infini, comme un défi silencieux lancé par le château lui-même.
— Bon... on va voir qui est le plus têtu, murmura-t-elle pour elle-même, son regard déterminé.
Alna trempa la serpillière dans l'eau, essora d'un geste sec, puis se mit au travail. Chaque mouvement était précis, appliqué. La jeune fille frottait le marbre avec l'énergie de quelqu'un qui avait une revanche à prendre, prête à faire briller ce sol jusqu'à ce qu'il reflète son propre reflet.
Le bruit sourd de la serpillière glissant sur la pierre rythmait le silence du château. Elle sentait déjà son dos tirer, mais refusait de s'arrêter.
— Qu'ils voient un peu si je suis bonne à rien, tout ça pour une une goutte de thé ? Ridicule !marmonna-t-elle en redoublant d'effort.
L'éclat du sol commençait à lui donner raison.
Alna s'adossa contre le mur froid du couloir, épuisée après une demi-journée de travail intense. Ses bras lui semblaient lourds, ses genoux douloureux, mais elle avait réussi à rendre le sol si brillant qu'elle aurait presque pu s'y voir. La pause de midi arrivait enfin, et elle savait qu'elle devait rejoindre les autres en cuisine pour manger.
Elle passa une main sur son front pour essuyer la sueur qui perlait, puis se redressa lentement, son seau et sa serpillière toujours à portée. Mais avant qu'elle ne puisse quitter les lieux, des éclats de voix et des rires étouffés attirèrent son attention.
Un groupe de domestiques en charge des extérieurs traversait le couloir en discutant. Parmi elles, Sabine, reconnaissable à son port de tête hautain et son sourire narquois. Ses collègues semblaient pendues à ses lèvres, partageant son humeur moqueuse.
Sabine ralentit en voyant Alna, puis se tourna vers ses amies avec un sourire malicieux.
— Venez, on va l'embêter un peu, chuchota-t-elle d'un ton conspirateur, ce qui déclencha quelques ricanements complices.
Alna sentit un frisson d'appréhension lui parcourir l'échine. Elle baissa instinctivement les yeux, espérant qu'elles passeraient leur chemin, mais les pas de Sabine se dirigeaient déjà dans sa direction.
— Fais attention, murmura Sabine alors qu'Alna passait à côté d'elle. Ce palais n'est pas fait pour les petites rêveuses comme toi.
Alors qu'Alna avançait, le cœur lourd mais la tête haute, Sabine fit un geste brusque de la main, bousculant discrètement le seau qu'Alna portait. Le contenu se renversa d'un coup, éclaboussant le sol propre du couloir et mouillant le bas de la robe d'Alna.
— Oh, mais regarde ça, s'exclama Sabine d'un ton faussement innocent, mettant une main sur sa bouche comme si elle était choquée. Il faut vraiment être plus attentive, Alna.
Alna s'arrêta net, le regard fixé sur l'eau qui s'étendait en une flaque disgracieuse devant elle. Son cœur se serra sous la colère et l'humiliation, mais elle se mordit la lèvre pour ne rien dire.
— On ne peut pas lui faire confiance pour un travail aussi simple, murmura une des collègues de Sabine, déclenchant des rires étouffés.
— Allez, les filles, on va manger. On ne peut pas perdre notre temps ici, ajouta Sabine en lançant un dernier regard moqueur à Alna.
Elles partirent en riant, leurs pas résonnant dans le couloir. Alna resta immobile un instant, serrant ses doigts autour du manche de la serpillière. Elle prit une profonde inspiration pour calmer les larmes qui menaçaient de monter.
— Ce n'est rien... murmura-t-elle pour elle-même. Ce n'est qu'un seau d'eau.
Elle se baissa pour ramasser son seau, ses mains tremblantes. Pendant un bref instant, elle sentit la frustration monter en elle, mais elle la repoussa aussitôt. Elle n'allait pas leur donner ce plaisir.
Avec détermination, elle remit le seau à sa place, reprit sa serpillière et commença à nettoyer le désordre, ses gestes plus rapides et plus précis que jamais.
Alna continua à nettoyer le sol malgré la situation, les joues légèrement rouges de colère et d'humiliation. Elle murmura pour elle-même, presque en chuchotant :
— Qu'elle continue... La prochaine fois, je lui enlèverai sa belle chevelure blonde!
Elle poussa un soupir agacé, mais à ce moment-là, un rire clair et inattendu retentit dans le couloir. Alna s'arrêta net, les mains serrant le manche de sa serpillière. Elle se figea, son cœur battant légèrement plus vite. Une voix masculine s'éleva, moqueuse mais sans méchanceté.
— Elles finiront bien par te laisser tranquille, finit-il par dire.
Alna fronça les sourcils, légèrement agacée et embarrassée à l'idée que quelqu'un ait entendu ses paroles. Elle ne releva pas la tête, préférant se concentrer sur son nettoyage.
— j'espère, répondit-elle sèchement, sans adresser un regard à la source de la voix.
— En tant que domestiques, elles sont toujours aussi mesquines, ajouta l'inconnu d'un ton léger, presque amusé.
Intriguée malgré elle, Alna releva finalement la tête et tourna son regard vers l'origine de la voix. Elle aperçut, au bout du couloir, une silhouette masculine, adossée contre un mur. L'homme avait l'air détendu, mais elle pouvait distinguer une certaine tension dans son expression. Il semblait parler à une autre personne, visiblement agacée contre lui.
La voix de cet inconnu lui disait quelque chose, une familiarité qui piqua sa curiosité. Pourtant, elle ne parvenait pas à mettre un nom ou un visage précis dessus. Alna continua à l'observer, discrètement, tentant de deviner qui il était, mais elle hésitait à s'approcher ou à l'interpeller.